Entretiens sur le mouvement grec Peliti

14 oct. 2012

(Réalisés en avril 2012 par Nicholas Bell et Martina Widmer pour Radio Zinzine)

Panagiotis Sainatoudis, Peliti, Paranesti

Comment as-tu découvert les semences, comment cette histoire qui a mené à la création de Peliti a-t-elle commencé ?
Cela a commencé plus ou moins par hasard, quand un ami m'a donné un paquet de graines venant du monde entier. Ça s'est passé en 1991. Ce qui m'a ému c'est que dans ce paquet il y avait des graines provenant de tribus indiennes qui avaient disparu mais dont les semences de maïs existaient toujours. En 1991, j'étais étudiant mais je donnais aussi des cours d'agriculture écologique. C'était la première fois qu'on organisait en Grèce des cours d'agriculture écologique.

En 1992, alors que je distribuais les invitations au mariage de mon frère dans mon village, j'ai trouvé, dans une cour, une espèce locale de petit maïs noir. Cet événement m'a donné l'idée, chaque fois que j'allais chez quelqu'un remettre une invitation, de demander aux gens de me donner quelques graines. J'ai donc parcouru tout le village. J'ai recueilli différentes graines et cela m'a permis de voir mon village d'une manière totalement différente.

J'ai continué à m'intéresser aux semences et à bien d'autres choses. En 1993, je suis parti de Thessalonique, où j'habitais, pour aller vivre à Dasoto, un village de la région de Kato Nevrokopi.

A Dasoto, je vivais sans argent et sans électricité et je n’avais pas de travail ni de revenu. En 1995, j'étais dans une très mauvaise passe personnelle. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de me consacrer à la conservation des semences.

De 1995 à 2000, j'ai voyagé à travers toute la Grèce, à la recherche de gens qui cultivaient des variétés anciennes et qui possédaient leurs propres semences. J’ai fait tous ces voyages à pied ou en auto-stop, et sans un sou en poche.

De 1991 à 2000, j'ai réussi à collecter les semences de plus de 1200 variétés anciennes de toute la Grèce.

Lorsque tu as commencé à t’intéresser aux semences en 1991 et que tu es parti à leur recherche, quelle était la situation générale en Grèce ? Est-ce qu’il y avait encore des gens qui conservaient des semences dans les villages, ou était-ce déjà une tradition perdue?

En Grèce, on a beaucoup de chance car il existe une continuité dans l'agriculture et les semences de variétés locales n'ont pas toutes disparu, ni les petits producteurs. Bien sûr beaucoup de variétés ont disparu mais il y avait, et il y a toujours, beaucoup de cultivateurs qui conservent leurs propres semences.

J'ai toujours été persuadé qu'il existait encore des variétés locales. J'ai toujours vu les choses de façon positive. C'est ce qui m'a encouragé à chercher les gens qui possèdent des semences de ces variétés. En 1999, j'avais chez moi un nombre important de variétés, dans la maison où j'habitais à l'époque, à Karpi, dans la région de Kilkis au nord de Thessalonique. Mais comme je vivais à l'époque sans argent ni électricité, les semences que j'avais pu collecter commençaient à se détériorer.

Je donnais toujours une partie de ma collection de semences à des gens et à des monastères en Grèce. Mais malgré ça, il y avait toujours une grande partie de mes semences qui étaient détruites. C'est pourquoi j'ai lancé un appel à des paysans et des cultivateurs, qu’ils viennent à Karpi et qu'ils cherchent des semences des variétés que j'avais pu recueillir. Finalement, 40 cultivateurs sont venus de différentes régions de la Grèce. C’était toutes des personnes que j'avais rencontrées lors de mes différents voyages. J'avais tellement voyagé que j'avais pu rencontrer beaucoup de monde. J'écrivais aussi des articles sur le thème des semences dans des revues écologiques.

Mon problème n'a pourtant pas été résolu car j’avais une trop grande quantité de semences. Alors, en automne 1999, nous nous sommes une nouvelle fois réunis avec les cultivateurs.

Notre troisième rencontre eut lieu dans le village dans les Rhodopes où je m'étais installé entretemps. Pour cette troisième rencontre, j'avais invité les gens à camper une semaine sur place pour s'occuper des semences mais personne n'est venu. Cet échec s'est finalement avéré être une grande réussite parce que j'ai compris quelles erreurs j'avais commises. Mon attitude à moi n'allait pas lorsque j'ai invité les gens. Le fait que je traversais une très mauvaise passe dans ma vie est, je pense, la raison principale pour laquelle les gens ne sont pas venus. Je pense que le succès actuel de notre fête est dû à cet échec.

En 2000, la quantité de semences était encore trop importante. Je ne pouvais pas gérer tout ce stock. J'ai alors fait publier une lettre dans une revue pour demander à ce que soit créé un réseau de cultivateurs qui conserveraient certaines variétés. Et c'est comme ça qu'on a démarré, en 2000, le réseau de cultivateurs pour la conservation des variétés locales de Peliti.

Peliti signifie chêne en langue pontique, la langue des Grecs vivant près de la Mer Noire. J’ai choisi ce nom à cause d'un grand chêne qui se trouve au village de Dasoto. Les gens disaient dans le village : « On se retrouve au Peliti ! » Et ça me plaisait beaucoup ! Cet arbre était comme le lieu de rencontre des gens du village. Et c'est mon objectif : que Peliti soit un lieu de rencontre.

Poursuivons donc ton histoire. Tu as lancé un appel pour la création d’un réseau. Comment cela a-t-il fonctionné?

On a publié les noms de 25 cultivateurs dans la revue « Nea Selini » pour laquelle j'écrivais des articles. Ces cultivateurs, amateurs ou professionnels, avaient accepté de conserver des semences de variétés locales. Nous nous sommes mis d'accord sur le fait qu'ils devaient être prêts à donner gratuitement des semences à quiconque leur en demandait.

J'ai eu alors très envie de créer une publication de Peliti. Et donc en 2001, j'ai sorti pour la première fois une publication comportant le nom des cultivateurs. C'était un grand risque pour moi de faire ça car je n'avais toujours pas de travail quelque part. Je ne gagnais pas d'argent. Mais j'avais très envie de cette publication. C'est alors que s'est produit un petit miracle. Un monsieur un jour m'a appelé. Il avait entendu parler de ce que je faisais et il m'a demandé si j'avais besoin d'une aide financière. Et c'est lui finalement qui a financé cette publication.

Cette publication paraît maintenant une fois par an, en septembre, et elle comporte les noms des producteurs, répertoriés par région et par exploitation. Il y a désormais plus de 200 cultivateurs de toute la Grèce qui participent à ce réseau, et également environ 15 éleveurs. Nous faisons un tirage de 4000 exemplaires de cette publication.

A l’époque où tu commençais à établir le réseau, est-ce qu’il était nécessaire d’organiser des formations pour les cultivateurs ou savaient-ils déjà conserver les semences?

Dès le départ, on a dû faire face à un gros problème. Les gens n'avaient pas les informations suffisantes concernant la conservation des semences. En 1997, j'ai publié un tout petit livre contenant des informations sur la collecte et la conservation des semences. De nouvelles éditions de ce livre ont été publiées plus tard, avec quelques améliorations. La dernière édition date de 2008 et on prépare en ce moment une nouvelle édition.

Les gens ont besoin d'informations basiques, simples, pour comprendre comment collecter une graine, comment la conserver, comment la cultiver sans utiliser de produits chimiques. La plupart des gens qui s'adressent à Peliti n'ont aucune notion d'agriculture ni aucune expérience en ce qui concerne les semences.

En 2002, j'ai proposé à Nikos Bazis, qui est instituteur à Komotini, d'organiser une manifestation où on distribuerait des semences. Cette fête nous a beaucoup plu. Nous avons donc fini par consacrer le 7 avril comme date de la fête des variétés locales. Le mois d'avril c'est le mois en Grèce où l'on fait nos plantations dans nos jardins. Le jour de la fête, on distribue aux gens des plants dans des espaces publics ouverts. Ce n'est pas un jour particulier. C'est juste que la première fois que nous avons organisé cette fête, ça s'est passé un dimanche 7 avril. Et c'est comme ça que nous avons décidé d’organiser notre fête tous les 7 avril.

Cette année, en 2012, plus de 50 écoles, surtout des écoles primaires, y ont participé dans toute la Grèce. Plus de 2000 écoliers étaient présents et près de 20000 plants qui provenaient des jardins des écoles ont été distribués dans toute la Grèce.

Cette fête a démarré à Komotini, mais maintenant elle a lieu dans de nombreuses régions dans toute la Grèce. Elle a, par exemple, lieu à Egine où nous faisons également autre chose de très intéressant : les gens sont invités au mois de février dans un lieu public pour planter les graines. Ils prennent avec eux les petits pots dans lesquels on a semé les graines. Ils font pousser les plants chez eux. Et en avril, ils se retrouvent au même endroit pour distribuer les plants aux gens présents.

Pour nous, c'est très important que des écoliers participent à ce projet. Cela permet de créer des jardins dans les écoles. Ces derniers temps nous avons également commencé à élaborer une série de recettes en collaboration avec les écoles : comment on fait le fromage, de la pâte à tartiner, etc... afin que les écoliers transmettent les informations chez eux, à leurs parents.

Durant l'été 2011, j'ai participé à une rencontre internationale à Francfort lors de laquelle j'ai présenté le travail effectué dans les écoles. J'ai expliqué de quelle manière les écoliers vont distribuer des plants à leurs parents ou à des personnes âgées et j'ai expliqué pourquoi cela me semblait être un geste très important. Jusqu'à maintenant, c'était les experts, ceux qui possédaient le savoir, qui donnaient des semences aux cultivateurs mais là les choses sont bouleversées. Ce sont les élèves qui donnent les semences aux cultivateurs.

Venons-en maintenant à la rencontre de cette année. Combien de groupes locaux compte Peliti aujourd’hui?

Aujourd'hui, Peliti compte 11 équipes locales dans toute la Grèce. Et il y a un intérêt certain pour créer d'autres équipes locales. En ce qui concerne notre fête cette année, nous considérons que c'est un grand succès et nous voulons remercier toutes les personnes qui ont soutenu l'organisation de cette fête.

150 bénévoles y ont participé. Mais beaucoup de ces bénévoles travaillent toute l'année à l'organisation de la fête. Les préparatifs commencent dès le début de l'année et à partir du mois de février des bénévoles y travaillent de façon plus intensive. Nous avons également une autre équipe de bénévoles qui vient une semaine avant la fête pour s'occuper très activement de l'organisation de la fête. Ils viennent de Grèce et du monde entier.

C’est la première fois que vous organisez une rencontre internationale?

Depuis 2007, nous accueillons des conférenciers et des visiteurs qui viennent de l'étranger. Le nombre de personnes venant de l'étranger a augmenté depuis 2007 mais c'est cette année pour la première fois que nous organisons une rencontre internationale.

50 paysans ont participé à la fête. 2 organisations d'éleveurs étaient également présentes. Nous avons recueilli auprès de ces paysans 1,5 tonne de fruits, légumes et autres aliments pour pouvoir nourrir tout le monde à la rencontre.

Vous avez un nouveau projet cette année, celui de créer une nouvelle banque de semences…

Ce que nous voudrions organiser en ce moment c'est notre collection de semences. Nous avons environ 2000 variétés de semences. Ce qui est positif, c'est que désormais nous avons une personne qui peut s'occuper exclusivement de cette collection. Nous avons également un lieu où nous pourrons construire la banque pour conserver ces semences. Cette collection comprend des variétés provenant de Grèce et du monde entier.

Peliti a désormais ses propres terres et nous avons commencé en 2010 à faire les fondations de ce bâtiment sur nos terres. C'est un grand défi pour nous que de construire cette banque de semences pour Peliti.

J’aimerais savoir plus sur l’esprit, la philosophie qui guident Peliti. Nous avons remarqué un très fort sens du don…

Lorsque j'ai commencé Peliti, comme je l'ai déjà dit, je n'avais pas du tout d'argent mais je ne manquais de rien. Lorsque tout le monde donne à la société, alors tout le monde possède quelque chose. Voilà en gros notre philosophie de vie.

Un jour où je faisais de l'auto-stop, je disais à un conducteur qui m'avait pris avec lui que tout ce dont j'avais besoin (de la terre, une maison, de la nourriture, des engins), on me le donnait. Et il ne pouvait pas le croire!

Il fut un temps où je vendais les semences mais je me suis finalement rendu compte que les semences sont un cadeau de Dieu et ne sont pas des marchandises. Et comme j'ai reçu des semences gratuitement et ensuite je les ai données, j'ai souhaité que les gens à leur tour les donnent également gratuitement.

De ma propre expérience, du fait d'avoir vécu sans argent, j'ai compris que nous ne devons pas nous inquiéter de quoi que ce soit car Dieu, l'Univers, s'occupera toujours de nous. Nous considérons que chacun de nous est important et unique. Que chacun de nous peut changer le monde en faisant des choses très simples.

La première chose que nous devons faire c'est nous sentir responsables des choses qui nous arrivent. Lorsque nous avons demandé au Ministre de l'Agriculture : qui est responsable du problème des semences ? Il nous a répondu : les agriculteurs. Et quand nous avons demandé aux agriculteurs, ils nous ont répondu : les agronomes. Et quand nous avons demandé aux agronomes, ils nous ont dit : les consommateurs. Lorsqu'on dit que ce sont les autres qui sont fautifs, cela revient à dire qu'on ne peut rien faire. Ce sont les autres qui doivent faire quelque chose pour améliorer la situation. Mais lorsqu'on prend la responsabilité de ce qui est en train de se passer, des miracles peuvent alors se produire.

Est-ce que tu penses que cet esprit de don est nouveau en Grèce ou plutôt une tradition ancienne qui existait mais qui est en train de disparaître?

Quand j'étais petit, dans mon village, je me souviens que nous échangions des choses entre nous. Par exemple, à Pâques, nous donnions des œufs et en échange nous recevions des gâteaux. Si moi je t'aidais en travaillant dans ton champ, toi tu m'aidais le lendemain en travaillant dans le mien. C'est un vieux système dont je me souviens du temps où j'étais enfant, mais c'est également quelque chose que j'ai moi-même expérimenté souvent à Dasoto, quand je vivais sans argent et que je donnais de mon temps aux gens en travaillant pour eux, et qu'en échange ces personnes me donnaient à manger.

Nous pensons que c'est quelque chose qui peut se répandre. C'est pour cela qu'en 2002, avec ma femme Sophia, nous avons créé un nouveau réseau qui s'appelle le réseau panhellénique d'échanges sans argent. C'est la seconde action de Peliti. Nous avons deux actions thématiques : l'une concerne les semences et l'autre concerne l'échange de biens et de services sans argent. Ce réseau aujourd'hui fonctionne très bien et il a influencé beaucoup de gens et beaucoup d'autres réseaux. Car en fait c'est Peliti qui a créé le premier réseau d'échanges sans argent, à une époque où beaucoup d'argent circulait encore en Grèce. Nous avons ouvert une voie et beaucoup de gens s'intéressent désormais au domaine des semences et aux échanges sans argent.

Comment vois-tu tout cela dans la situation actuelle de crise qui rend la vie très difficile pour beaucoup de gens ? Est-ce que ça changera les choses pour Peliti ? Y aura-t-il plus de gens qui s’installeront à la campagne ou travailleront avec les semences?

Peliti envoie gratuitement des semences par la poste d'octobre à février. Entre octobre et décembre 2011, nous avons reçu 900 courriers. Ce nombre important de courriers est lié à la situation économique de la Grèce. Nous recevons énormément d'appels téléphoniques tous les jours de personnes qui demandent des semences. Nous recevons également beaucoup d'e-mails. Dernièrement, nous recevons plus de 100 messages par jour. Le volume de travail est tellement important à Peliti que nous ne pouvons pas y faire face.

Chaque jour, en nous servant de notre fourchette, nous choisissons quel genre de nourriture et d'agriculture nous voulons pour notre avenir. Acheter des citrons provenant d'Argentine revient à bannir les producteurs de citron de notre pays. En buvant tranquillement notre café dans notre canapé, on participe à la destruction des forêts tropicales, au transport de matières premières d'un bout de la planète à l'autre et l'on contribue à accentuer la pauvreté dans le monde.

Il est important de rester un moment à table, devant notre assiette, et de prendre conscience de ce qu'on soutient au travers de chacun de nos repas.

Aris Pavlos, Peliti, Egine

Je m'appelle Aris Pavlos. J'habite à Egine. Depuis 7 ans environ, avec d'autres personnes de l'île, nous nous efforçons de mettre en place des activités en collaboration avec Peliti. Egine se trouve à une heure d'Athènes, la capitale de la Grèce. Ce qui explique que beaucoup de gens possèdent ici des résidences secondaires. Les gens qui y habitent toute l'année sont 15000 environ. Mais à partir du printemps, et jusqu'à l'automne, la population augmente énormément pour atteindre 50000 personnes.

L'eau de l'île n'est pas de bonne qualité et la terre est relativement pauvre. Il y a très peu d'agriculteurs sur l'île. Ils font surtout pousser des pistachiers. Les pistaches d'Egine sont d'ailleurs très renommées.

Les personnes qui ont des jardins potagers le font surtout pour leur plaisir, comme loisir, mais pas dans le but de se nourrir. Ils ne se nourrissent pas de leurs propres légumes. Ils s'approvisionnent au supermarché. Par contre, dans la Grèce rurale, comme ici par exemple à Drama, où nous nous trouvons pour la fête de Peliti, beaucoup de personnes possèdent des jardins potagers et se nourrissent l'hiver des légumes qu'ils ont plantés eux-mêmes. Dans le reste de la Grèce, le plus souvent, les gens ne conservent pas de semences. Ils vont s'approvisionner dans le commerce.

Quand nous avons organisé la première fête à Egine, nous voulions faire beaucoup de choses avec les habitants mais nous avons vite compris que si nous nous limitions à donner des plants, nous n'allions pas réussir à sensibiliser les gens. Nous avons donc pensé à organiser une autre fête, deux mois avant la grande fête de Peliti, pour montrer aux gens comment planter les graines.

Cette fête-là se tient dans un lieu public, sur une place. Nous mettons à la disposition des gens des petits pots, des graines et du terreau. Nous leur expliquons comment procéder. Nous leur montrons comment planter les graines dans les pots.

Les gens se rendent compte immédiatement qu'ils ont beaucoup à apprendre. Il y en a qui viennent avec des gants pour ne pas se salir avec le terreau. Et d'autres mettent trop de graines dans les pots. Ils commettent beaucoup d'erreurs. En observant les autres et en faisant les choses eux-mêmes ce jour-là, ils seront capables de le faire tout seul la prochaine fois.

La première fois que nous avons organisé cette fête, il n'y avait pas beaucoup de monde. Peut-être 40-50 personnes. Nous leur avons montré comment planter les graines dans les pots. Lors de la distribution des pots, les gens voulaient emmener avec eux 4 ou 5 pots de chaque espèce parce que dans leur tête c'était pour planter dans leur jardin uniquement, pas pour ramener des plants.

Pour les aider à ne pas penser uniquement à eux-mêmes, l'année d'après nous leur avons expliqué qu'ils ne pouvaient emmener avec eux qu'un seul pot de la même espèce.

Ce sont les gens qui doivent nous ramener leurs propres plants quand nous organisons la grande fête. Par exemple, si quelqu'un emmène avec lui 50 semences de poivrons, il va essayer d'en obtenir des plants. Il peut en garder 4 ou 5 pour lui-même mais il doit amener le reste des plants avec lui lors de notre fête pour les distribuer aux gens.

Un autre problème que nous avons rencontré est que la plupart des gens qui prenaient des semences ne savaient pas vraiment quoi en faire. C'est pour ça que lors de la fête il y a des cultivateurs qui sont là pour expliquer, donner des informations, répondre aux questions. Certains prennent 40 semences. D'autres 30. Ca représente pour les gens une grande responsabilité. Comme s'il s'agissait d'enfants qu'il faut aider à grandir.

Nous aussi nous aimons nos « enfants », mais certaines personnes les aimaient un peu trop et les arrosaient trop souvent. Par conséquent, certains plants ont finalement pourri. Et alors qu'ils avaient pris avec eux 50 petits pots, ils étaient très tristes de ne ramener que 5 plants.

Certaines personnes qui avaient emmené avec eux des semences lors de notre première fête et pour qui ça ne marchait pas dans leur jardin pensaient que c'était la faute des semences de Peliti. Ils les comparaient avec celles qu'ils achètent dans le commerce qu'ils trouvaient plus résistantes.

Mais avec le temps, ils ont compris que c'était à eux de se sentir responsables des plants et capables de les replanter, s'ils voulaient en reprendre les années suivantes. Les gens sont désormais beaucoup plus sensibles à la façon de procéder. Ceux qui ont plus de connaissances les partagent avec les autres.

Cela fait 6 ans que nous organisons ce programme, et les gens ont fini par comprendre que plus ils apportent de plants, plus la quantité de plants distribués est importante. Si nous distribuons 3000 petits pots mais qu'ils ne ramènent que 500 plants, nous ne pourrons pas leur redonner autant de plants que l'année précédente.

Comment avez-vous rencontré Peliti?

Je connais Panagiotis depuis longtemps. Je l'ai rencontré en Thrace où j'étais instituteur et également photographe. Je prenais des photos lors d'une manifestation traditionnelle de lutte à Komitini où nous nous sommes rencontrés. Nous sommes devenus amis.

Panagiotis m'a demandé de prendre des photos pendant les différentes fêtes de Peliti mais au bout d'un certain temps, j'ai décidé de faire plus pour Peliti, de participer en tant que cultivateur et d'organiser des fêtes pour le groupe. Egine n'est pas un endroit facile pour cultiver mais c'est tout de même mieux que d'être dans une ville.

Le travail autour des semences et les fêtes que nous organisons avec toute notre équipe sont pour nous un véritable cadeau.

Pour la première fois cette année à Egine, beaucoup de jeunes ont rejoint notre équipe. Des trentenaires qui ont décidé de vivre sur l'île, de s'impliquer dans les activités de Peliti et de s'occuper des semences.

Je ne pense pas que cela soit dû uniquement à la crise. A l'étranger, on parle beaucoup de la crise en Grèce et les gens pensent que notre mode de vie est très dur. Il est possible que nous ayons moins de biens matériels maintenant, mais ça nous permet de mieux réfléchir à notre façon de vivre et de rendre notre vie plus belle, sans compter sur l'argent.

Quand on te sert chaque jour à manger, tu ne te demandes pas d'où vient cette nourriture. Tu ne te poses pas la question et donc tu n'y trouves pas de plaisir. Je dis ça car, comme nous n'avons pas beaucoup d'argent, nous sommes obligés de trouver plein d'autres solutions pour nous sentir heureux et pour avoir chaque jour une assiette de nourriture!

Vous avez dit que les semences sont comme un cadeau. Nous avons remarqué cet esprit très fort de don chez Peliti. Est-ce que c’est quelque chose de nouveau ou plutôt d’ancien et traditionnel ?

Au départ, les gens qui viennent à nos fêtes pensent que c'est plus simple d'échanger quelque chose contre de l'argent, que c'est plus compliqué quand il n'y pas d'argent. Le don permet de réfléchir sur l'essence de nos activités. C'est plus difficile pour quelqu'un de comprendre pourquoi c'est gratuit, et pourquoi il doit y participer. Ça l'oblige à réfléchir.

Quand on t'offre quelque chose, tu te sens reconnaissant mais aussi responsable car tu dois faire quelque chose de ce cadeau.

Entretien avec Chara Saïti, Peliti, Lefkada

Je m'appelle Chara Saïti et je représente le groupe local de Peliti, Peratia, situé sur l'île de Lefkada dans la mer Ionienne. (…)

Avant, j’habitais à Athènes avec mon compagnon, d'où nous sommes originaires tous les deux. Nous avons toujours voulu habiter dans la nature. C'est pour ça que nous avons quitté Athènes il y a 20 ans. Nous sommes allés vivre dans un tout petit village pour pratiquer l'agriculture biologique et vivre en autarcie.

A Lefkada nous avons créé une ferme auto-suffisante. Nous cultivons une grande variété d'espèces. Nous avons environ 3 hectares sur lesquels nous avons planté un peu de vigne, des oliviers, des arbres fruitiers, des légumes, du blé, des légumes secs, des céréales. Nous avons également des moutons, des chèvres, des vaches, des poules, tous des races autochtones. Nous avons encore plein d'autres choses, comme des plantes médicinales.

Quand nous avons commencé à cultiver nos terres, nous avons vite compris qu'il fallait avoir nos propres semences pour être libres. C'est comme ça que nous avons trouvé le groupe Peliti. Et depuis nous faisons partie de la famille de Peliti. Nous travaillons un peu comme des « gardiens » de ces semences. Des gardiens pour leur conservation.

Ça veut dire que Peliti est très connu à travers la Grèce. Il y a beaucoup d’îles et de régions en Grèce, mais vous avez pu trouver Peliti…

Maintenant, Peliti est très connu mais quand on a démarré la ferme, il y avait peu de gens qui s'y intéressaient. Ce n'était pas du tout connu. Nous les avons trouvés par hasard, après avoir cherché longtemps. Il y a 10 ans, Peliti impliquait très peu de personnes. De nos jours Peliti est très connu, en tout cas en Grèce.

Alors qu’est-ce que vous avez développé comme activités avec le groupe local de Peliti sur l’île?

Maintenant nous avons une vraie équipe locale et nous faisons beaucoup d'activités. Nous travaillons beaucoup avec des écoles où nous faisons des jardins. Nous nous y rendons une fois par semaine. Nous laissons les enfants créer seuls le jardin et nous leur montrons la façon de faire. Le but est de leur montrer ce qu'est une graine, une plante, un fruit et d'où viennent les semences. C'est en quelque sorte un jardin vivant dans les écoles. Nous nous rendons également là où on nous invite pour présenter Peliti. Nous donnons des semences, des plants que nous produisons nous-mêmes. Nous donnons également des conseils sur la culture de la terre à des jardiniers amateurs ou même à des professionnels qui s'intéressent à l'agriculture biologique.

Au sein de la ferme, nous organisons également des ateliers pour montrer aux gens comment nous travaillons. Cela s'adresse à des gens qui veulent connaître un moyen facile et simple de renouer avec la nature.

Nous avons trouvé énormément de variétés locales. Lefkada est une petite île isolée et il y a beaucoup de petits villages où vivent des personnes âgées qui ont conservé des graines. Grâce à eux, nous enrichissons la collection de semences de Peliti. Nous donnons toujours une partie de ces variétés à Peliti et nous en gardons une autre partie pour nous, pour les cultiver dans notre propre ferme.

Est-ce que vous avez remarqué un intérêt, depuis quelques années, de gens qui reviennent à la terre, comme vous l’avez fait il y a 20 ans, qui veulent reprendre une activité agricole?

Tout le monde parle de ça aujourd'hui en Grèce mais je ne suis pas sûre que ce soit si facile car les gens n'ont pas la connaissance suffisante. Ça se produit mais uniquement par besoin.

Et il faut avoir accès à des terres…

La plupart des gens possèdent des terres. Mais ils les ont laissées à l'abandon depuis très longtemps. Je voudrais dire qu'à Peliti, nous n’avons pas seulement trouvé des semences. Nous y avons trouvé aussi des gens.

Et puis j’ai remarqué cet incroyable esprit de don. Est-ce que c’est quelque chose de nouveau, de rare en Grèce, ou correspond-il à quelque chose de plus ancien, cet esprit de générosité, de don?

C'est une tradition ici. Ou plutôt c'était une tradition en Grèce que nous avions un peu oubliée avec l'américanisation de notre pays. Et maintenant, nous essayons de le retrouver.

Entretien avec Nikos Dompazis, Peliti, Komotini

Je m'appelle Nikos et je viens de Komotini qui se trouve près de la frontière avec la Turquie. Je suis instituteur dans une école primaire.

Je connais Panagiotis de Peliti depuis 2000. En 2002 il m'a proposé de développer un programme pour les écoles primaires, de semer des graines d'espèces locales avec les élèves, puis distribuer les plants aux gens.

Nous avons donc commencé en 2002 avec 2 écoles, 2 instituteurs et 35 élèves. Nous avons semé les graines, et au mois d'avril, une fois que nos plants avaient atteint environ 15 cm, nous en avons donné 150 aux gens. Nous avons fait ça chaque année et ça allait de mieux en mieux. De plus en plus d'écoles y participaient et nos plants étaient de meilleure qualité. Les gens entendaient parler de ce que nous faisions et donc il y avait de plus en plus de monde qui venait nous voir.

C'est la 11ème année que nous faisons ce programme. 52 instituteurs de 16 écoles différentes avec 730 élèves y ont participé. Nous donnons 2 plants à chaque élève et le 7 avril, le jour de la fête, des cultivateurs viennent de toute la ville et des villages alentours pour prendre le reste des plants.

Dans votre région, est-ce que la tradition de conserver et multiplier les semences existait encore ? Ou avait-elle disparu, ce qui veut dire que c’est votre action qui l’a renouvelée?

Non il n'y avait pas ça à Komotini. Et la geste d'offrir des plants aux gens n'existait nulle part en Grèce. Ou alors peut-être dans certains villages. En tout cas, avant que nous le fassions, les gens achetaient des plants déjà tout prêts dans des magasins.

Est-ce que le fait que cette activité a été menée dans beaucoup d’écoles a eu un effet contagieux ? Est-ce que des paysans ou des jardiniers ont commencé à faire leurs propres plants, sous l’exemple de leurs enfants?

Non, jusqu'à présent il n'y a pas eu de producteurs de la région qui ont distribué des plants de la même façon. A part un producteur qui cette année, lors de notre fête, a offert des arbres.

Comment fonctionne le groupe local de Peliti?

Au mois de janvier d'abord, nous proposons aux écoles de participer au programme et nous nous réunissons avec tous les instituteurs des écoles intéressées. Nous leur donnons des graines et nous leur expliquons comment faire.

Avant de rencontrer les instituteurs, nous faisons d'abord des démarches auprès de la Mairie pour qu'elle nous apporte son soutien financier (pour acheter ce dont on a besoin, du terreau par exemple). La mairie de Komotini nous apporte toujours son aide. Depuis 4 ans, une équipe de bénévoles du groupe local de Peliti vient nous aider les après-midi parce que nous avons beaucoup de travail. Nous produisons beaucoup de plants.

Cette année, uniquement dans mon école, nous avons produit 9000 plants, des aubergines, des poivrons et des tomates. Mais principalement des tomates. Toutes les écoles réunies, ça doit faire plus de 12000 plants.

Parallèlement, avec l'équipe de Peliti, nous organisons des ateliers pendant lesquels nous projetons des films vidéos expliquant comment obtenir des graines à partir de tomates, d'aubergines, de melons, de pastèques. On peut voir ces vidéos sur Youtube. Il existe aussi un DVD traduit en anglais.

Nous avons aussi des ateliers qui permettent d'apprendre à faire son propre levain, son pain, son savon, du fromage. Et parce que nous pensons que la faim et la misère ne pourront être résolues par le développement industriel, il nous semble important que les gens apprennent à produire eux-mêmes une partie de leur nourriture.

Pour pouvoir produire, il faut bien sûr des terres. A la ville, beaucoup de gens ne possèdent pas de terres. C'est pour cette raison que nous essayons d'organiser des jardins potagers urbains. Nous trouvons des gens qui ont des terrains ou des jardins mais qui ne les cultivent pas. Ces personnes nous les prêtent pour quelques années. Nous mettons une clôture autour de ces terrains. Nous délimitons des petites parcelles de 50 m2 que nous donnons aux gens pour qu'ils les cultivent. Nous leur donnons des graines et leur transmettons notre savoir.

Nous avons été frappés par l’esprit de don chez Peliti. On n’entend jamais parler d’argent. Cet esprit de don et de partage, est-il nouveau ou est-ce plutôt une tradition ancienne en Grèce?

Ça existait il y a très longtemps. Mon père vivait sans argent. A son époque, quand les gens voulaient acheter du sucre, ils prenaient du blé et ils allaient l’échanger contre du sucre chez l'épicier du coin.

L'idée d'échanger des produits sans argent - qui est aussi l'idée de Panagiotis – est pour moi magnifique, vraiment très belle ! J'étais très enthousiaste. Une belle vision des choses qui m'encourage à continuer ce que je fais actuellement.