ESPAGNE: La deuxième bataille de l?Ebre, une victoire?

de Nicholas Bell, FCE-France, 14 sept. 2004, publié à Archipel 118

Une bonne nouvelle nous est parvenue d’Espagne. Dans ses premières déclarations, le nouveau gouvernement socialiste a annoncé sa décision d’annuler le transfert de l’Ebre. Ce projet de déplacer 1.050 hectomètres cubes d’eau par an depuis ce fleuve vers l’arc méditerranéen et jusqu’à Almeria faisait partie du Plan Hydrologique National (PHN) lancé en septembre 2000 par le gouvernement de José Maria Aznar *.

Certainement le plus vaste chantier hydrologique jamais envisagé en Europe occidentale, ce plan prévoyait également la construction de 118 barrages, surtout dans les régions dépeuplées de l’Aragon.

Le projet a provoqué une énorme polémique en Espagne où de grandes manifestations ont réuni 400.000 personnes à Saragosse, capitale de l’Aragon, 250.000 à Barcelone et à Madrid pour protester contre ses énormes impacts sociaux et environnementaux. Les opposants étaient convaincus que l’objectif principal du gouvernement était de renforcer le processus incontrôlé de spéculation urbano-touristique et de production agricole intensive le long de la Méditerranée. L’impact environnemental serait énorme: des vallées et villages inondés, la destruction de rivières sauvages et surtout du delta de l’Ebre qui est le deuxième patrimoine en biodiversité de la péninsule ibérique. Les travaux avaient démarré dans l’urgence sous le gouvernement du Parti Populaire afin de mettre l’Union Européenne devant un fait accompli.

La «Marche Bleue pour une Nouvelle Culture de l’Eau», partie en août 2001 du Delta est arrivée le 11 septembre à Bruxelles où 10.000 Espagnols ont manifesté en revendiquant «pas un Euro pour le PHN» .

L’une des personnes les plus actives dans cette lutte est Pedro Arrojo, professeur d’économie à l’université de Saragosse et Président de la Fondation pour une Nouvelle Culture de l’Eau.

Selon Pedro, «après son étonnante victoire électorale, le Parti Socialiste nous a surpris en respectant certaines de ses principales promesses. La plus commentée au niveau international a été le retour rapide et total des troupes espagnoles de l’Irak. Mais le deuxième grand engagement électoral des Socialistes, l’arrêt du transfert de l’Ebre, est également devenu une réalité.

La question n’était pas évidente du tout, compte tenu de la démagogie politique développée autour du thème de la ‘soif’ de l’Espagne sèche. N’oublions pas qu’à Almeria, la consommation moyenne par habitant et par jour est de 3 tonnes d’eau (irrigation, terrains de golf et piscines compris). Le lobby pour le PHN est très fort, surtout dans la région de Valence et en Andalousie, pas uniquement dans le Parti Populaire et les milieux d’affaires, mais aussi à l’intérieur même du Parti Socialiste. On pouvait s’attendre à un recul, sous la pression politique et médiatique, mais le premier ministre Zapatero a tenu bon, en annonçant l’arrêt pur et simple des travaux de transfert.

La personne clé derrière cette décision est la nouvelle ministre de l’Environnement, Cristina Narbona. C’est la première fois que ce ministère est tenu par quelqu’un qui possède une véritable expérience et des connaissances en matière d’environnement. Il est aussi encourageant que Domingo Gimenez Beltrán, ancien directeur de l’Agence Européenne de l’Environnement, ait été nommé conseiller personnel de M. Zapatero.

Malheureusement, ce Plan ne prévoyait pas seulement le transfert de l’Ebre. Il y avait aussi les grands barrages qui n’ont pas encore été abandonnés. Cette question sera plus dure à gagner. Le débat à l’intérieur du PSOE a commencé, mais les mouvements d’opposition dans les régions de montagne peu peuplées n’ont pas réussi à peser autant sur les positions socialistes. Le ministère de l’Environnement a proposé des débats et des négociations sur les différents cas de conflit, mais la menace continue à planer sur la tête des habitants d’Artieda (projet de rehaussement du barrage de Yesa), de Jaca dans les Pyrénées, de Castrovido, à Burgos, en Castille, ou à l’embouchure du Jucar, où un autre transfert, le Jucar-Vinalopó, menace la durabilité de cette rivière et de l’Albufera de Valence.

En tout cas, le sourire et l’espoir sont revenus pour beaucoup d’Espagnols et la lutte continue...»

* voir Archipel No 86 et 87, septembre et octobre 2001