FRANC:«Nous n?avons pas à nous sentir responsables du monde dans lequel nous vivons»

4 avr. 2005, publié à Archipel 123

Les 28 et 29 octobre dernier se tenaient à Grenoble les Assises nationales des Etats généraux de la recherche (voir encadrés). Hasard des calendriers, mais aussi révélateur des questionnements auxquels la communauté scientifique est confrontée aujourd’hui, la même semaine avait lieu un colloque «Regard sur les technosciences», organisé par le groupe de réflexion interuniversitaire «Ethique appliquée à la Recherche en Sciences et technologies». Le texte qui suit a été distribué, entre autres, aux participants à ce colloque.

Il y a des discours, des écrits et des faits qui, pris séparément, paraissent innocents mais réunis, ne trompent pas. Des scientifiques affirment a posteriori , aujourd’hui encore, le bien-fondé qu’il y eut à organiser la recherche et le développement industriel qui ont produit la destruction totale de Hiroshima et de Nagasaki (avec plus de deux cent mille victimes dont cent mille tués), puisqu’on pouvait craindre que les nazis ne produisent la bombe atomique les premiers 1. Or, non seulement l’Allemagne nazie avait capitulé avant que l’on utilisât l’arme nucléaire, mais encore la reddition du Japon pouvait être obtenue sans bombardement atomique ni invasion (paix négociée). Ces deux essais in situ et en vraie grandeur devaient réaliser la suprématie des Etats-Unis et aussi cette «révolution scientifique» que célébrait le journal Le Monde dans son édition du 8 août 1945.

Sur ce sujet et la prolifération des armes nucléaires qui s’ensuivit, le philosophe Günther Anders entamait une réflexion puis une correspondance avec Claude Robert Eatherly 2; ancien commandant de l’armée de l’air américaine, ce dernier fut l’un des pilotes qui participèrent à cette forteresse volante qui largua une bombe atomique sur Hiroshima. Anders essaya de convaincre Eatherly, alors torturé par le remords et la culpabilité d’avoir participé à l’innommable, que notre époque exigeait de chacun de nous des actes qui échappaient à l’individu et dont on ne pouvait prévoir ou imaginer les conséquences. Mais, alors que nombreux sont ceux qui par cynisme ou pas s’installent dans la complaisance assassine, Anders dénonçait cette réalité, qu’il n’eut de cesse de combattre.

Socialement irresponsables

Ce haut degré de conscience morale, qu’ont su atteindre un philosophe désespéré ou un american boy, pouvons-nous l’attendre de la part de la caste des physiciens ou des mathématiciens? Pas si l’on en croit Richard Feynman. Evoquant les temps où il travaillait à la conception et à la réalisation de la bombe atomique, voici ce qu’il écrit: «Et puis, j’ai connu von Neumann, le célèbre mathématicien. Le dimanche, lui, Bethe, Bob Bacher et moi allions souvent marcher dans les canyons avoisinants. C’était fort agréable. Je dois à von Neumann d’avoir compris que nous n’avons pas à nous sentir responsables du monde dans lequel nous vivons. Depuis lors, je n’ai cessé de me sentir ‘socialement irresponsable’, et je me suis toujours bien porté. Cette irresponsabilité active qui est la mienne est née de ces conseils que von Neumann me donnait lors de nos promenades 3.»

En juillet 1959, Eatherly envoya à Anders une lettre dans laquelle, dans l’enthousiasme et l’espoir, il s’interrogeait: «Ne serait-il pas possible que vous et moi, et les milliers de pacifistes du monde entier puissions convaincre un seul groupe (celui des savants); ne pourrions-nous les convaincre de délaisser l’objet de leur prédilection (la recherche), d’écouter la voix de leur conscience, de s’allier à nous, de suspendre leurs recherches sur les armes atomiques jusqu’à ce qu’une commission internationale de juristes ait installé un gouvernement mondial, gouvernement sans organisations politiques, sans moyens militaires surpuissants? Seuls, les savants sont à même de réduire à l’impuissance le groupe des régnants en refusant de collaborer avec lui. Sans l’aide de la recherche scientifique, les puissances politiques et militaires dépériraient et mourraient.» La responsabilité des scientifiques et les relations qu’ils entretiennent avec la domination sont clairement désignées par ces propos. En revanche, sûrement par naïveté, Eatherly prête à la communauté scientifique des qualités et une conscience morale qu’elle n’a jamais prétendu détenir ou défendre; cette communauté scientifique n’a jamais non plus exprimé la moindre objection quant au rôle que la domination lui fait jouer. George Orwell, dans un article intitulé «Qu’est-ce que la science?» publié dans le journal Tribune du 26 octobre 1945 écrivait: «(…) est-il vraiment certain qu’un ‘scientifique’, dans l’acception étroite du terme, soit mieux à même que toute autre personne d’aborder les questions non scientifiques de manière objective? Il n’y a guère de raisons de le croire. Prenons un seul et simple critère: la capacité de résister au nationalisme. On affirme souvent de manière assez nébuleuse que la ‘science est internationale’, mais, dans la pratique, les travailleurs scientifiques de tous les pays se rangent derrière leurs gouvernements respectifs avec moins de scrupules que n’en éprouvent les écrivains et les artistes. Dans son ensemble, la communauté scientifique allemande n’a opposé aucune résistance à Hitler. Ce dernier a peut-être ruiné les perspectives à long terme de la science allemande, mais il n’en reste pas moins qu’il y eut bon nombre d’hommes compétents pour accomplir les recherches nécessaires dans des domaines tels que ceux du pétrole synthétique, des avions à réaction, des projectiles propulsés par des fusées et de la bombe atomique. Sans eux, la machine de guerre allemande n’aurait jamais pu être édifiée 4.»

A Los Alamos, des centaines de scientifiques, dont une vingtaine de lauréats ou futurs lauréats des prix Nobel se sont retrouvés à travailler autour du Projet Manhattan, sous la direction de Julius Robert Oppenheimer; un projet commun défini par une autorité administrative supervisée par des militaires. Parmi ceux-ci, un comité présentera au ministre de la guerre Henry Stimson un rapport défavorable à l’utilisation des bombes atomiques contre le Japon dans les conditions prévues. Ce rapport proposait au ministre de réaliser plutôt une démonstration dissuasive en zone inhabitée. Leo Szilard lança une pétition où il était demandé qu’on n’utilisât pas les bombes à moins que, les Etats-Unis ayant fait connaître les conditions qui seraient imposées après la guerre au Japon vaincu, celui-ci ne refusât sa reddition 5. Il avait été l’inspirateur de la lettre qu’Einstein envoya à Roosevelt en 1939, pressant le président de prendre des dispositions pour développer d’urgence les recherches qui permettraient de mettre au point l’arme nucléaire. Physicien nucléaire, il se tournera ensuite vers la biophysique et la biologie moléculaire.

C’est dans un tel contexte que sont apparus le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en octobre 1939 ou encore le développement de Grenoble comme ville scientifique, industrielle et militaire, avec la venue de l’ambitieux et pragmatique Louis Néel («un bon chasseur de monnaie» dira-t-on plus tard 6 au début de cette seconde guerre mondiale 7). Le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), quant à lui, fut créé en 1945 par le général de Gaulle et animé au tout début par le physicien Frédéric Joliot-Curie et l’ancien ministre de l’armement Raoul Dautry. Très vite, il allait développer un programme indépendant d’armes nucléaires. La première bombe nucléaire française explosera en 1960 au cours d’un essai aérien dans le désert saharien au sud de l’Algérie alors colonie française. Au total, dix-sept essais nucléaires dont quatre aériens auront lieu dans le Sahara algérien, entre 1960 et … 1966; soit quatre ans après les accords d’Evian qui reconnaissaient l’indépendance de l’Algérie 8.

La seconde guerre mondiale fut une période de précipitation qui imposa de façon décisive de profondes mutations dans l’esprit des savants transformés alors en chercheurs, intégrant de plus en plus la fonction d’inventeur breveteur 9, comme dans la façon et les moyens d’organiser et de mener le travail de recherche. Cette période imposera un modèle à la science.

Sciences et société industrielle

Les Assises nationales des Etats généraux de la recherche (…) sont héritières de ces mutations. Lorsqu’on consulte le rapport de synthèse grenoblois réalisé à partir des opinions recueillies sur un site Internet ouvert à cet effet, on voit que les préoccupations tournent toutes autour des moyens administratifs, techniques et financiers qu’il faudrait accorder à la recherche pour qu’elle se porte mieux. Mais qu’elle se porte mieux sans déborder du cadre esquissé plus haut: une recherche issue de la guerre et du développement industriel qui allait suivre. La science avait déjà cessé depuis longtemps d’être une aventure individuelle et patiente où l’on cherchait à observer, comprendre, et savoir, sans faire. L’homme de science moderne chercha plutôt à expliquer la matière et le monde, à agir sur eux, et à les transformer. La naissance de la Big science après la guerre débloqua des budgets et des investissements colossaux qui par leur massification même la pervertiront. La science se doit alors de répondre aux besoins de la société industrielle et par là même déploie, pour ses besoins comme pour les besoins de la société, une machinerie gigantesque, arrogante, et dévastatrice. Dès lors la science se rapproche de plus en plus de l’art de l’ingénieur inventeur; c’est pourquoi dans les inquiétudes des jeunes thésards revendicateurs et «sauveurs de la recherche» (nous nous référons au document de synthèse déjà mentionné) apparaît cette «nécessité» de voir s’ouvrir «des passerelles» entre leur formation et celle des jeunes ingénieurs et de «valoriser le doctorat auprès des industriels». Le travail dans les laboratoires s’organise comme dans l’industrie. Les scientifiques se voient constamment sous la pression de l’urgence de financements à trouver pour les thésards, de dossiers à constituer pour des appels d’offre de plus en plus nombreux, de publications scientifiques à faire ou de rapports d’expertise à rédiger 10, de tâches administratives ou de missions d’enseignement à assurer pour certains d’entre eux, de la concurrence féroce entre chercheurs d’un même laboratoire à supporter, du prochain congrès et des prochaines évaluations à préparer; ces évaluations d’eux-mêmes, des structures, des projets que réclament à cor et à cri nos «sauveurs de la recherche» (ils demandent aussi à être plus efficacement «gérés» comme «ressources humaines»). Le scientifique moderne finira tout naturellement par trouver de l’intérêt à ce que jaillissent problèmes, accidents et catastrophes, qu’il se proposera d’expliquer, et, qui sait, de prévenir, puisque cela le rendra indispensable devant le prochain comité d’évaluation. Problèmes, accidents et catastrophes deviendront alors moteurs du progrès scientifique. Après quoi notre scientifique moderne et revendicateur conviendra que la mission principale de la recherche serait la production de la connaissance 11; qu’il faudrait tout de même être à l’écoute des préoccupations du public et de la société; et ma foi que le monde de la recherche fonctionne avec une échelle de valeurs difficilement conciliable avec les critères marchands. Le monde de la recherche est soumis depuis déjà longtemps à des impératifs économiques et de rentabilité. Seule une fausse conscience cherchera à voiler cette évidence.

Ethique appliquée et critique d’accompagnement

En 2002, Claude Feuerstein, président de l’Université Joseph Fourier de Grenoble, par ailleurs initiateur du projet Biopolis qui essuyait alors les feux de la critique, recruta le philosophe Nicolas Aumonier pour «ouvrir [les] formations scientifiques et technologiques sur d’autres disciplines, et en particulier sur l’histoire et la philosophie des sciences». Ce dernier a créé, alors avec d’autres universitaires de Grenoble, un «Groupe de réflexion interuniversitaire éthique appliquée à la recherche en sciences et technologie». La réflexion de ce groupe est toutefois plus courte que le nom qu’il s’est choisi; et son activité semble consister en l’organisation de formations doctorales tels les modules d’éthique appliquée «Responsabilité dans la conduite de la recherche» ou encore «Bioéthique et biotechnologies – Risques et responsabilité». (…) Tous ces titres pompeux, toutes ces appellations emphatiques veulent attirer l’attention des universitaires «éclairés» sur le souci «éthique». Désormais, ceux-ci instruiront leurs étudiants de l’art et de la manière de se conduire et de se soumettre à certains jugements de valeur et de réalité, lorsqu’ils aborderont un travail. Et les promoteurs de machineries innovantes s’en réjouissent. Ils ne voient effectivement pas d’un mauvais œil qu’une prise en considération de ces problèmes accompagne leurs projets, puisque cela leur évitera l’affrontement brutal qu’ils ont à endurer face aux «états d’âmes» et aux questions morales qu’ils ne maîtrisent pas; les OGM ont servi de leçon et de laboratoire dans la gestion de la crise. En réalité, cette «éthique» et cette «critique» d’accompagnement bornent le domaine de ce que la société peut consentir à accepter. Les pouvoirs publics pourront ensuite, par étapes successives, réaliser l’objectif que la société rejetait à l’origine: l’exemple de l’extension du fichier ADN est révélateur d’un tel procédé. Cette «critique» et cette «éthique» menées par l’entreprise ou le laboratoire, comme celles conduites par certaines associations citoyennes, écologistes ou scientifiques, toujours prêtes à négocier la réglementation en vigueur ou son amélioration, ne contribuent, en fin de compte, qu’à rendre présentable et tolérable une situation de moins en moins maîtrisable.

L’analyse que faisait Anders en 1956, dans son livre «L’Obsolescence de l’homme», selon laquelle «l’entreprise est le lieu où l’on crée le type de l’homme ‘instrumentalisé et privé de conscience morale’» reste cruellement d’actualité. Quelles places peuvent alors prendre une critique et une éthique institutionnalisées au sein de l’entreprise? Cela paraît être une bonne façon de réduire toutes consciences critiques et morales en un ensemble de lois, de codes, de procédures et de conduites que la société devra supporter tout en s’affranchissant un peu plus, si ce n’est totalement, de son humanité.

A vouloir discuter seulement du seuil de tolérance, nous perdons l’espoir de jours meilleurs. L’intelligence est de retirer le mal et bien sûr d’abolir les conditions qui rendent possibles ce «cancer». Nous ne pouvons rien attendre d’un monde qui ne peut satisfaire que l’économie triomphante, ses gestionnaires de l’Etat et de l’industrie.

Henri Mora*

10 octobre 2004

* Correspondance: 45 Montée de la Rua, F-38140 Renage

  1. Un des exemples les plus récents étant le nucléariste François Lurçat. Selon lui, «les premiers responsables de l’apparition de l’arme nucléaire sont […] les dirigeants et les peuples qui ont favorisé ou toléré l’accession du nazisme au pouvoir». (De la science à l’ignorance, 2003, Rocher)

  2. Avoir détruit Hiroshima – Correspondance de Claude Eatherly le pilote d’Hiroshima, avec Günther Anders, 1962, Robert Laffont

«Sauvons la Recherche»

A l’issue des Assises nationales des Etats généraux de la recherche un rapport de synthèse (proposition de réforme) a été remis au gouvernement français le 9 novembre. Ces Assises ont été l’aboutissement du mouvement de protestation, très médiatisé, du printemps dernier, mené par le collectif «Sauvons la Recherche». Ce collectif a été soutenu, sinon instrumentalisé par les mandarins, membres pour certains de l’Académie des sciences et de l’Académie nationale de médecine.

Dans l’ensemble les réflexions et les revendications du collectif «Sauvons la Recherche» et des Etats généraux n’ont jamais posé la question des conséquences sociales, économiques, politiques ou encore mortifères de l’activité scientifique. Leurs discussions n’ont jamais traité de la dépendance du chercheur par rapport aux bailleurs de fonds. Elles ne se sont jamais intéressées à développer une critique, plus globale, des connaissances acquises et de la pensée scientifique réductionniste. Lorsque certaines de ces questions sont abordées par la communauté scientifique, c’est surtout pour mieux les évacuer, les ignorer ou encore les intégrer à ses projets technoscientifiques. (…) La même semaine où ont eu lieu les Assises se tenait le colloque «Regard sur les technosciences», organisé par le groupe de réflexion interuniversitaire «Ethique appliquée à la Recherche en Sciences et technologies» qui s’est créé afin de répondre aux questions éthiques, mais aussi aux problèmes des risques encourus, soulevés notamment par les biotechnologies, et qui se sont cristallisés à Grenoble par le projet Biopolis, pépinière de jeunes entreprises liées aux bio-industries.

A l’occasion de ces Assises, un groupe informel s’est constitué afin d’organiser quelques manifestations critiques («Objection de conScience – les cobayes prennent la parole») visant à nuire au consensus scientiste qui allait à coup sûr y régner. L’article ci-contre est extrait du recueil de textes paru à cette occasion et diffusé sous le titre: «Objecteurs de conScience face aux Etats généraux de la recherche». (…)

Les Etats Généraux de la Recherche sabotés

Jeudi 28 octobre, la première journée des Etats Généraux de la Recherche organisés à Grenoble a été interrompue par l’intervention de personnes de l’assemblée. C’est après le départ des élus et ministres, lors du début des travaux des Assises, qu’ont été scandés avec ironie les quatre mots: «Ordre, Croissance, Progrès, Rentabilité», accompagnés de sifflets et de bris de boules puantes. Peu avant, les officiels avaient présenté la recherche et l’innovation comme les fondements du bonheur et de la sécurité pour tous.

(…) L’ensemble des participants a rejeté cette mise en cause et certains chercheurs eux-mêmes ont empoigné les contestataires pour les évacuer brutalement. Des coups ont été portés sur certains opposants. L’un d’entre eux a été traîné au micro par (…) des responsables de «Sauvons la Recherche», et sommé de s’expliquer sous les invectives de la salle et de la tribune. Accompagnée de trois autres contestataires, cette personne a lu le tract diffusé à la salle et reproduit ci-après, avant d’être expulsée violemment.

Notons enfin que Marylin Vantard, membre du comité organisateur, a annoncé pour le vendredi 29 la venue de Nicolas Sarkozy – sur l’invitation des chercheurs – accompagné d’un fort déploiement policier.

Tract: Etats Généraux de la servitude, irresponsabilité et ignominie du milieu scientifique

Toute l’audace du mouvement citoyen des chercheurs aura été de demander que tout continue. Tout le courage des chercheurs n’aura finalement consisté qu’à demander la prorogation d’un statut protecteur. Il leur a suffi d’invoquer l’Etat et le service public pour que s’évanouisse la moindre velléité critique. Ils ont identifié leurs intérêts à ceux de l’Etat. Leur aveuglement volontaire sert à occulter les résultats visibles de leurs actes.

Ils ont tout fait pour éviter de faire un bilan de leur activité. Ils n’ont jamais parlé de la ruine de l’environnement et de ses effets pathogènes sur la vie. Ils n’ont jamais mentionné l’artificialisation de la vie, fatalement devenue le centre du métier de chercheur. Ils ont masqué le rôle de leurs découvertes dans le développement du contrôle social.

L’ampleur de la domestication est telle qu’ils ont pu présenter cette image pacifiée sans anicroche. Ils sont pourtant à la pointe du projet de domination totalitaire de l’économie sur la vie. A rebours des Etats Généraux de 1789, ils ont demandé le maintien d’une organisation semi féodale. Leur refus d’aborder les sujets en suspens montre qu’ils ont choisi leur camp: celui de l’Etat et de l’industrie. En serviteurs loyaux, ils s’emploient à renforcer la domination et notre dépendance à son égard.

Nous pensons que la recherche de la liberté et de l’autonomie est la seule qui soit digne de ce nom.

Nous crachons sur cette kermesse consensuelle qui prépare une nouvelle étape dans la soumission.

Coordination Nationale de Répression du Scientisme

Grenoble, octobre 2004

  1. Richard Feynman, Vous voulez rire, monsieur Feynman! , 2000, Odile Jacob. Prix Nobel en 1965, mort en 1988, Richard Feynman fut le physicien le plus brillant de sa génération. Quant à von Neumann, partisan convaincu de l’utilisation de la bombe atomique, il fut ensuite un des protagonistes du programme d’armement nucléaire des États-Unis

  2. George Orwell, Essais - articles, lettres, volume IV (1945-1950), 2001, Ivrea/Encyclopédie des Nuisances

  3. Le rapport et la pétition sont disponibles sur le site Internet Leo Szilard Online. Szilard dira plus tard, dans une interview publiée dans le U.S. News & World Report du 15 août 1960: «Nous aurions pu communiquer avec le Japon par les canaux diplomatiques habituels – disons par la Suisse – et expliquer aux Japonais que nous ne voulions tuer quiconque, et que nous proposions donc qu’une ville – disons Hiroshima – soit évacuée. Alors un seul bombardier viendrait et lâcherait une seule bombe.» Nous traduisons d’après la version électronique

  4. Propos tenus lors du colloque sur l’Histoire du CNRS des 23 et 24 octobre 1989 par Jacques Lautman, directeur scientifique du département SHS du CNRS. (http://picardp1.ivry.cnrs.fr/~jfpicard/politique_2.html)

  5. La loi du 10 mars 1941 confirme la nouvelle mission du CNRS qui devra, dès lors, unifier recherches fondamentale et appliquée, jusque-là séparées (CNRS et CNRSA). Son nouveau directeur, Charles Jacob, dévoile ses intentions: «Le CNRS doit contribuer à rapprocher la science de la production.» Nous pouvons compter parmi les autres institutions et projets scientifiques créés par le gouvernement de Vichy: l’Office national des statistiques (ancêtre de l’INSEE), l’Institut national de l’hygiène (ancêtre de l’INSERM) et la Fondation française pour l’étude des problèmes humains confiée à l’eugéniste Alexis Carrel. (Cf. Nicolas Chevassus-au-Louis, Savants sous l’occupation – Enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944, 2004, Seuil)

  6. Des expérimentations d’armes chimiques auront lieu sur la base de B2-Namous dans le nord du Sahara algérien, de 1972 à 1978. Mais cette fois, dans les tractations, le pouvoir algérien obtint que des techniciens algériens participent à ces essais, mais aussi que plusieurs spécialistes de l’armée algérienne soient formés à la guerre chimique, à l’École militaire des Armes spéciales de Grenoble. (Cf. Le Nouvel Observateur, 23 octobre 1997)

  7. Jusque-là, «personne n’a jamais songé à déposer un brevet sur les procédés d’hybridation, de greffe, de bouturage et même sur la technique de propagation in vitro des végétaux». (Gérard Nissim Amzallag, La Raison malmenée - De l’origine des idées reçues en biologie moderne, 2002, CNRS.) Avec les nanotechnologies et les nanosciences, nous voyons déjà déposer des brevets sur la matière pour laquelle on ne fait pas, à échelle nanométrique, de distinction entre le vivant et l’inerte

  8. L’expertise n’est qu’une sombre comédie dans laquelle le falsificateur tient le rôle des pouvoirs publics, le menteur celui de l’expert; le rôle des simples citoyens étant interprété par l’ignorant

  9. En général, cette connaissance se résume à décrire mathématiquement certaines situations, en simplifiant ces situations. (Cf. Olivier Rey, Itinéraire de l’égarement - Du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine, 2003, Seuil.) Elle consiste, dans quelques domaines comme la biologie moléculaire ou les nanobiotechnologies, à réduire la vie à de simples phénomènes physico-chimiques. La science née des Lumières promettait d’offrir à la connaissance et à la raison ses lettres de noblesse: un langage universel délivré de toutes ambiguïtés afin de comprendre le monde de manière totalement objective. Elle permettra surtout à la bourgeoisie d’asseoir son autorité et de détruire l’ordre ancien: l’obscurantisme et l’aristocratie. La société industrielle, que cette bourgeoisie progressiste s’est appliquée à mettre sur pied, développera une science qui élaborera, à partir du début du XXème siècle et surtout après la seconde guerre mondiale, une connaissance globalement utilitariste