FRANCE: Ni puce, ni soumise - Si les nanotechnologies sont la réponse, quelle était la question?

7 mai 2010, publié à Archipel 140

Nous sommes allé-e-s à Grenoble participer à la contestation de l’inauguration du premier centre européen de recherche en MIcro et NAnoTEChnologie (Minatec). Je vous livre quelques impressions, analyses et informations sur une semaine dense…

Nous savons tou-te-s que l’être humain – une invention intéressante – est néanmoins un peu faible, mortel, pas tout à fait fiable et surtout limité dans ses compétences. Nous savons aussi que les machines issues de l’esprit de ce même humain sont quant à elles parfaites. Alors histoire de rendre à l’être humain sa dignité et de le débarrasser de son complexe d’infériorité, nous allons améliorer ce pauvre humain. Enfin, quand je dis nous, je parle surtout des scientifiques et des industriels qui les financent.

De la science fiction?

Il est de notoriété publique que les premiers êtres humains génétiquement modifiés recevront sans doutquelques médailles d’or lors des prochains jeux olympiques de 2008. Difficile à croire? Kevin Warwick, chercheur en cybernétique de l’université de Reading déclarait en 2002: «ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur».

Nous savons aussi que la population a des besoins de consommation irrépressibles, totalement innés, et qu’il faut s’assurer de la bonne facture des dits biens de consommation, s’en assurer au niveau hygiénique, sanitaire mais aussi, pourquoi pas, réussir à anticiper sur les comportements de consommation, pour s’adapter, pour ne pas perdre sa place dans la compétition pourtant mortifère de la croissance économique mondiale. D’où les crèmes solaires à nanoparticules déjà sur le marché, même si nous en ignorons les dangers pour la santé, les futurs écran plats enroulables, les lunettes avec informations numériques sur les verres autonettoyants (ceux-ci existent déjà) et évidemment reliées à Internet. D’où les futurs réfrigérateurs intelligents commandant tous seuls du lait quand il en manque, les futures étiquettes intelligentes permettant de se passer de caissière mais surtout de savoir qui consomme quoi, quand. L’anglais du business est extrêmement présent dans ces sphères, et il est bon de rappeler que intelligence signifie renseignement, comme dans le I de CIA… Autre avènement promis dans ce nouveau monde, les poussières de surveillance qui permettront de contrôler aussi bien la présence de germes pathogènes (grippe aviaire par exemple) que les comportements déviants (comme de prendre quelque chose et de ne pas le payer) et ainsi de faire évacuer une salle pour éviter tous risques de contamination, ou d’interpeller les méchants déviants. Il est intéressant de rappeler qu’au début, la sécurité visait à protéger la production de marchandises, et donc la croissance, alors qu’aujourd’hui, le principal moteur de croissance est la sécurité elle-même: les délires de gauche avec la Loi de Sécurité Quotidienne ou de droite avec la Loi de Sécurité Intérieure ne sont pas seulement symptomatiques d’un totalitarisme rampant.

Ce que je décris là n’est en aucun cas de la science fiction. C’est juste de la recherche scientifique dont les applications commencent à se répercuter dans notre quotidien. Il serait fastidieux d’énumérer tous les obus «intelligents», les vidéo-caméras de surveillance «intelligentes», les puces «intelligentes» et toutes leurs applications. Pour vous donner une idée, voici ce qu’écrivait l’hebdomadaire Télérama le 7/01/04: «Ce matin du jeudi 23 janvier 2031, M. Lavenir s’éveille, stimulé par les délicats parfums de son nanoréveil olfactif. Deux minutes plus tard, il termine son premier check-up de la journée: analyse de sang, cholestérol, tension, électrocardiogramme. Tout est OK, dit le nanolabo. Lavenir ordonne alors aux nanorobots nettoyeurs de se secouer les puces, enfile son tee-shirt téléphonique bardé de composants nano-électroniques et appelle sa femme. Le son est parfait. Décidément, sa nouvelle oreille bionique est au point.

(…) En toute quiétude, il peut regarder l’hologramme 3D haute définition du Championnat du monde d’échecs

opposant Fritz 999 à Hal-02. Cela fait bien vingt ans que les hommes ont abandonné aux machines le jeu des

rois. » Voilà le monde qu’ils veulent nous imposer et une chose est sûre, c’est que Grenoble est bien placée au

niveau mondial et que Minatec est une pièce maîtresse dans le dispositif général pour développer cette nouvelle

révolution industrielle. (…) Minatec est développé par le Commissariat à l’Energie Atomique de Grenoble (CEA),

l’Institut National Polytechnique de Grenoble (INPG) et les collectivités territoriales. C’est sans doute parce que

M. Destot, maire de Grenoble, est un ancien du CEA que la manne d’argent public a pu être ainsi débloquée

pour ce projet à 193 millions d’euros, dont au moins 127 d’investissement public1.

Comme le déclarait un élu grenoblois: «Ici, les élus sont vaccinés à la high-tech. Cela leur permet de ne pas se

poser des problèmes éthiques» . Dont acte. Ni problème éthique, ni débat public. Qui a demandé aux 420.000

habitant-e-s s’il voulaient accueillir 19 sites Seveso,

4 sites nucléaires, 3 laboratoires P3, plus les cuves d’AZF-Toulouse qui n’avaient pas explosé le 21 septembre

2001 (Chiffres de 2002)? (…) La mainmise du CEA sur Grenoble est énorme. Pour donner une idée, le CEA a

créé sa branche informatique, le CEA LETI qui lui-même a enfanté 28 start-up , il dépose environ 110 brevets

par an. Des milliers d’emplois directs, et beaucoup plus d’indirects, le chantage est total, et la capture de la ville

intégrale.

Mais qu’est-ce donc?


Mais revenons aux nanotechnologies et aux promesses de révolution qu’elles portent. Le préfixe nano fait référence au milliardième de mètre, soit un cent millième de l’épaisseur d’un cheveu. Jusqu’à récemment, l’approche scientifique était de miniaturiser de plus en plus en partant du haut, avec la fameuse loi de Monroe selon laquelle les capacités de calcul des ordinateurs doublent tous les 18 mois. Ceci était vrai jusqu’à ce que nos valeureux scientifiques tombent sur le mur de l’atome, qu’il a bien fallu dépasser. On est donc passé de l’approche top down décrite ci-dessus à celle nommée bottom up , du bas vers le haut, qui part des atomes considérés comme des briques élémentaires et les manipule pour construire différents gadgets. Pour parler des nanos, on peut aussi utiliser le terme de technologies convergentes. On connaît les différentes disciplines qui constituent ce que l’on appelle de manière générique les sciences: biologie, électronique, physique (avec ses différentes déclinaisons: quantique, nucléaire, mécanique….), chimie, biochimie, génétique etc. Le terme de convergence décrit un des buts fondamentaux du projet nanotechnologique: la réunification des différentes disciplines scientifiques. La connexion neurone-électronique a déjà été réalisée et on imagine sans mal les perspectives qu’ouvrent ces recherches. Comme on s’est mis a parlé des OGM, on commence a parler des OAM, Organisme Atomiquement Modifié. Bien évidemment, la taille extrêmement petite des ces différents outils (en particulier celui qui a la palme de l’utilisation actuellement, le nanotube de carbone ultra résistant et méga léger) peut poser quelques problèmes et quelques risques. Ce n’est sans doute pas pour rien que les assureurs refusent d’assurer les risques sanitaires et environnementaux des nanos. Il a déjà été prouvé que le danger pour les poumons serait similaire, voire supérieur, à celui de l’amiante, et que ces tous petits matériaux pouvaient franchir la barrière sang-cerveau. On va sans doute au devant d’une nouvelle catastrophe. Mais comme le disaient les Opposant-e-s Grenoblois-e-s aux Nécrotechnologies (le collectif OGN qui a organisé la contestation): «Nous n’avons pas peur, nous sommes en colère!» . En colère, car pour 10% de recherche médicale qui permettra d’envoyer des nanorobots détruire les cellules cancéreuses par exemple, 90% de la recherche aura ou pourra avoir des applications militaires. (…) Lors de la visite à Minatec avant l’inauguration en mars 2006 de la ministre de la Défense française, on pouvait lire «A l’occasion de cette visite, Michèle Alliot-Marie rencontrera les médecins et les chercheurs du service de santé des armées engagés dans la recherche sur les neurotoxiques de guerre, la thérapie cellulaire, la lutte contre le bioterrorisme, ainsi que les chercheurs et ingénieurs du CEA (pôle Minatec) impliqués dans le programme de lutte contre le terrorisme NRBC2». Comme d’habitude, l’emballage médical est utilisé pour faire avaler la pilule totalitaro-militaire. (…) Pour preuve de l’importance militaire, il suffit de lire l’accord signé entre la Délégation Générale pour l’Armement (DGA) et le CEA qui donne à celle-ci accès aux dernières trouvailles de Minatec, lui permettant d’orienter les sujets de thèses et les recherches. Et nos chercheurs, purs de toute contamination, concoctent d’ores et déjà des obus «intelligents», des microdrones (valables autant pour les zones de combat que pour le maintien de l’ordre), des textiles camoufleurs et communicants qui pourront, par exemple, changer automatiquement de couleurs et informer précisément sur la qualité de l’atmosphère ambiante (pollution bactériologique ou chimique) ainsi que sur le positionnement exacts des soldats.

Un projet idéologique

L’objectif du projet nanotechnologique est l’autoréplication et l’autocomplexification des machines. Un nanorobot, de facture assez simple, en fabriquera un autre tout seul, plus compliqué qui lui-même en fabriquera un autre plus compliqué qui lui-même…; jusqu’où? Ceci est le projet idéologique ; dans la pratique, on en est encore loin. On commence tout juste à mettre en place l’autoréplication des machines. Pour l’autocomplexification, on verra plus tard, peut-être que ce ne sera techniquement pas possible. Peu importe, le but est là, et qui nous dit que ces robots «intelligents» ne nous trouverons pas horriblement vieux jeu et par conséquent obsolètes? (…)

Et comme les têtes pensantes de ce projet ne veulent pas reproduire les erreurs commises en tentant de passer les OGM en force, ils ont créé un laboratoire de l’acceptation sociale: Minatec IDEAS©. Composé, au départ, du CEA LETI, de ST Microélectronics et de France Telecom Recherche et Développement, celui-ci intègre des chercheurs en sciences «dures» et en sciences sociales. Selon leur propre site web: «l’objectif de cette méthode consiste à s’assurer que les objets et les services imaginés auront du sens pour les utilisateurs; seront utiles

dans leur quotidien; seront faciles à comprendre et à utiliser [et] auront une valeur économique acceptable» .

EDF, Essilor, Rossignol et Teamlog viennent de rejoindre cette plate-forme de propagande et de génération

d’assentiment populaire.

Opposition Grenobloise aux Nécrotechnologies


Alors quoi, face à ce délire pourtant bien réel? Bien peu, quelques jours et quelques centaines de personnes. Mais la petite semaine contre Minatec et son monde (30, 31 mai et 1er et 2 juin) vient de loin. Depuis quatre ou cinq ans, un petit groupe de personnes mènent ce qu’elles nomment une enquête critique. Il-le-s épluchent toutes les plaquettes publicitaires, les articles de journaux et les magazines municipaux pour recouper et informer. «Pièces et main-d’œuvre» a produit nombre de textes et d’analyses et a perturbé nombre de conférences publiques3. Par ailleurs, à Grenoble, différentes luttes ont convergé vers la création de ce collectif OGN: l’occupation du parc Paul Mistral4, les «400 couverts», toute une ruelle squattée en plein centre ville, une zone autonome temporaire qui a duré plus de trois ans.

Les 28 et 29 octobre 2004, les Etats Généraux de la Recherche avaient été perturbés par «objection de conScience», un regroupement informel. En décembre 2004, le chantier Minatec avait été symboliquement bloqué avec l’occupation d’une grue. Puis en octobre 2004, juin 2005 et mai 2006 ont été diffusés trois pastiches. Le premier parodiait le «Métroscope», journal de la communauté de communes de Grenoble, la Métro, et dénonçait les liens recherche-industrie-armée-politique. Il a été distribué à plusieurs milliers d’exemplaires dans les boîtes aux lettres. Le second, «Libertys», imitation du bulletin d’information du Conseil Général, annonçait que l’Isère et Grenoble avaient été choisis pour une expérience grandeur nature de la nouvelle carte d’identité à puce, avec aussi une option de puce sous-cutanée pour les étourdis. (…) En mai 2006, parut le faux «Tunnelis», inspiré du magazine interne du CEA «Métropole», qui annonçait la création d’un super dôme de 270 km de long dans lequel s’épanouirait une vie totalement artificialisée et socialement contrôlée. Ce dernier faux visait à dénoncer la mise en place du sillon alpin, qui tend à créer une seule ville de Genève à Valence, dans lequel différents pôles de compétitivité seraient mis en place, avec ici les biopuces, là la microélectronique etc.

Le collectif OGN ne vient donc pas de rien, même si c’est un CDD, un Collectif à Durée Déterminé, juste pour le temps de cette mobilisation qui a commencé dès janvier avec des projections un peu partout en France. Au total une cinquantaine de soirées (Milan et Genève inclus), environ 2.000 personnes touchées.

Au programme…

Un programme officiel tenait lieu de colonne vertébrale autour de laquelle se sont organisées beaucoup d’actions contre l’inauguration de Minatec. Prévue pour le 1er juin avec Chirac, reporté au 2 avec Villepin, l’inauguration c’est finalement faite avec un simple secrétaire d’Etat, en l’occurrence celui de l’Industrie (et pas de la Recherche), qui avait amené dans ses bagages l’annonce d’un grand débat citoyen sur les nanotechnologies. Dès le lundi 29, les opposant-e-s ont commencé à se faire entendre en perturbant une réception au musée dauphinois qui ouvrait le Minatec Crossroads (rencontre du business et des chercheurs en marge de l’inauguration). Un repas à 100 euros se tenait le soir à une vingtaine de kilomètres de la capitale iséroise, les voies d’accès ont été bloquées par des barricades. Le Conseil Général a été visité le mardi, histoire de dénoncer l’implication publique dans ces projets. Une réunion de l’INPG a aussi reçu des œufs et de la farine au sein même de Minatec. La ville a été peu à peu graffitée, avec en particulier un tag énorme (des lettres de plusieurs mètres) sur les remparts de la Bastille, le fort qui domine la ville. On pouvait lire: «CEA BASTA». Un campement avait été installé sur le campus de la fac.

Le mardi se tenaient des débats publics, sur le puçage animal et bientôt humain, sur la nouvelle carte d’identité INES, sur la biométrie…

Le mercredi Kenny Arkana, rappeuse proche du collectif de Marseille la «Rage du peuple» donnait un concert endiablé et le soir une grosse assemblée sur les nanos et les raisons de s’y opposer réunissait 400 personnes dont des chercheur-euse-s du CEA, suffisamment courageu-se-s pour venir discuter avec nous et nous dire qu’il-les ne peuvent rien faire à l’intérieur du CEA, tant la pression est grande. (…)

Le jeudi, manif. Un petit millier de personnes, et une déambulation dans le centre ville. Cela a commencé avec des affiches collées, puis des graffitis et vers la fin des bris de publicités, distributeurs d’argent ainsi que la vitrine d’une banque. (...) La militarisation de la ville était très impressionnante. Une fille a reçu une flash-ball, tirée à bout portant, qui lui a déchiré la joue. (…) Le lendemain, rien n’était possible, tant les flics empêchaient tout regroupement de plus de trois personnes. (…) Une voiture de la Brigade Anti-Criminalité a foncé dans un groupe d’une vingtaine de personnes, miraculeusement sans faire de blessé-e-s.

Le campement de la fac a été expulsé au petit matin, avec plus de voitures de CRS que de tentes. Et on met plus de flics dans un fourgon que de personnes dans une tente… Deux blessés légers, avec interpellation et procès pour outrage à agent (…) prévu pour le 10 janvier. Par ailleurs, deux personnes d’OGN ont été interpellées, placées en garde à vue quelques heures, leur domicile perquisitionné, à la recherche d’armes (sic!). L’une a été inculpée de «participation à attroupement illégal après dispersion» , l’autre d’«appel à destruction de biens en réunion» et d’«appel à attroupement illégal armé» . Leur premier procès se tiendra le 20 novembre prochain. Le 2ème, pour leur refus de prise d’ADN, aura lieu plus tard. (…)

Les opposant-e-s n’étaient pas assez nombreu-se-s, d'accord. Il-les auraient pu trouver des actions plus efficaces, peut-être. Mais je trouve symptomatique que les scientifiques soient désormais obligés de se protéger derrière des flics surarmés, ce qui montre le vrai visage du monde qu’ils nous façonnent, de même que je trouve satisfaisant qu’ils ne ressentent plus l’impunité totale qui étaient la leur il y a quelques années.

Pour finir, et pour la bonne bouche, les deux slogans que j’ai préférés: **

«Ni puce, ni soumise» et «Sauvez une éprouvette, mangez un chercheur» .

Cédric Bertaud

Radio Zinzine*

* Cet article est paru dans son intégralité dans l’«Ire des Chênaies», hebdomadaire de Radio Zinzine

F-04300 Limans

  1. 113 des collectivités locales – Conseil général PS-PC-Verts, Mairie PS et Communauté de Communes Gauche plurielle; ces chiffres d’investissement public sont de 2002, quand le budget de Minatec n’était que de 170 millions d’euros

  2. Nucléaire, radiologique, biologique et chimique

  3. Pour plus d’infos <www.piecesetmaindoeuvre.com>, site de bricolage pour la construction d’un esprit critique à Grenoble

  4. Occupation des arbres contre la destruction de ce parc municipal pour construire un grand stade