MIGRATIONS: Pourquoi l’Angleterre?

de Philippe, Calais, avril 2016, 26 mai 2016, publié à Archipel 248

Dans cet article, un des auteurs de Passeurs d’hospitalité, un blog d’information sur la situation à la frontière franco-britannique tente de donner un éclairage sur les raisons pour lesquelles tant de migrant-e-s veulent passer au Royaume-Uni et sur la réalité complexe qui les attend de l’autre côté de la Manche...

C’est une question qu’on se pose souvent en regardant la situation à Calais et sur le littoral, à la frontière britannique. Pourquoi toutes ces personnes veulent-elles aller au Royaume-Uni? Mais il y a un effet de loupe déformante: bien sûr, les personnes qui ont traversé une partie de l’Europe et se trouvent bloquées à la frontière britannique veulent aller en Grande-Bretagne, mais quand le nombre d’exilé-e-s entrant en Europe se compte par centaines de milliers, les personnes bloquées à la frontière britannique se comptent par milliers. C’est finalement peu, surtout si on considère la population du Royaume-Uni, la richesse de son économie, ou les liens historiques avec de nombreux pays liés à son passé colonial.
Des raisons de traverser à remettre en question
Les raisons de vouloir aller au Royaume-Uni sont à la fois positives et par défaut. Des raisons positives, telles que des liens familiaux ou amicaux, l’existence d’une communauté déjà installée, une représentation du pays permettant de s’y projeter pour y construire son avenir, une connaissance de la langue ou tout au moins une familiarité qui donne le sentiment de pouvoir se l’approprier. Des raisons par défaut liées aux politiques de non-accueil des pays traversés. Les pays d’entrée dans l’Union européenne n’ont pas mis en place de politique d’accueil. Mais des pays tels que la France ont aussi mis en place une politique de dissuasion, faite de difficultés d’accès aux guichets, de complexité des procédures et d’hébergement tardif. Les exilé-e-s sont donc poussé-e-s à chercher plus loin la possibilité d’être accueilli-e-s.
Concernant les personnes requérant d’asile, par rapport à la France, le taux de réponses positives est presque le double au Royaume-Uni, leur demande est enregistrée sans délais, elles sont hébergées immédiatement. Par contre, le risque d’être renvoyé-e vers un autre pays européen responsable de la demande d’asile selon le règlement européen Dublin III ou d’être expulsé-e en cas de réponse négative à la demande d’asile sont plus importants au Royaume-Uni qu’en France.
Les mineur-e-s isolé-e-s étranger-ère-s sont pris-e-s en charge sans délais au Royaume-Uni, et ne sont pas laissé-e-s à la rue, alors qu’en France, les obstacles à la prise en charge se sont multipliés au fil des années. Inversement, il y a de meilleures chances d’obtenir un titre de séjour à la majorité en France, même si les choses se dégradent, qu’au Royaume-Uni.
De fortes restrictions dans la politique d’accueil
Mais le contexte général s’est fortement durci au Royaume-Uni, avec la course électoraliste que le gouvernement conservateur livre à l’UKIP (United Kingdom Independance Party), dont l’axe principal est le rejet des étranger-ère-s. Le gouvernement s’est donné comme objectif de réduire l’immigration nette, c’est-à-dire la différence entre les arrivées et les départs, au-dessous de 100.000 personnes par an. Objectif arbitraire, en total décalage avec l’état de l’économie et de la société britanniques, qui est très loin d’être atteint, mais qui entraîne des mesures de plus en plus coercitives.
Dans les domaines où il est possible de fixer des quotas, comme les visas pour les études ou pour le travail, le gouvernement les réduit. Quitte à ce que les universités protestent, parce que les étudiant-e-s étranger-ère-s sont une source de revenus et de rayonnement international.
Pour ce qui est du regroupement familial, pour lequel des quotas ne peuvent pas être établis parce que le droit à la vie privée et familiale est garanti par les conventions internationales, le gouvernement a décidé d’un plancher de revenu en-dessous duquel il n’est pas possible de faire venir les membres de sa famille, ce qui rend l’exercice de ce droit impossible pour une grande part des étrangers.
En ce qui concerne le droit d’asile et le droit des mineurs en danger à recevoir une protection à partir du moment où ils sont sur le territoire britannique, le gouvernement renforce le contrôle des frontières. Il accentue la politique d’externalisation de ces contrôles sur le territoire des pays voisins, la France, mais aussi la Belgique. Cela s’est traduit depuis 2014 par un investissement financier important dans des aménagements et équipements (grilles, matériel de détection) et l’éloignement des exilé-e-s de la zone frontalière, et une coopération policière renforcée. Mais aussi par des démarches conjointes franco-britanniques dans le cadre des institutions européennes pour obtenir un durcissement de la politique anti-migratoire et des contrôles aux frontières extérieures de l’Union.
Mathématiquement, tout un versant de cette politique est aussi d’augmenter les départs du Royaume-Uni. D’où une politique de pression ciblant officiellement les personnes sans titre de séjour, mais qui s’exerce largement sur les communautés immigrées. L’objectif affiché est de rendre la vie impossible aux personnes sans titre de séjour.
Il y a d’abord eu les camions publicitaires «go home» circulant dans les quartiers à forte population immigrée, portant le message de rentrer volontairement dans son pays d’origine sous peine d’être expulsé-e, et les rafles menées dans ces mêmes quartiers sur la base de contrôles au faciès.
S’y ajoute une nouvelle loi sur le séjour des étrangers rendant l’accès aux soins plus difficile pour les personnes sans titre de séjour, et faisant obligation à des prestataires privés de vérifier la régularité du séjour des personnes auxquelles ils délivrent une prestation, sous peine de sanctions pénales. Ainsi les banques à l’occasion de l’ouverture d’un compte, ou les bailleurs de logement à l’occasion d’une location. Ces prestataires privés n’ayant pas de compétences en matière de législation du séjour auront tendance à se couvrir en refusant leur prestation dans les cas qui leur semblent douteux, précarisant du coup la situation de personnes ayant en fait un droit au séjour.
Le référendum organisé par le gouvernement sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union européenne est un moyen de faire pression sur celle-ci et obtenir des dérogations supplémentaires aux règles communes. Certaines concernent les règles de séjour des ressortissants de l’Union européenne au Royaume-Uni, en termes d’accès aux prestations sociales et au regroupement familial. Il s’agit là aussi d’une pression pour dissuader les citoyen-ne-s européen-ne-s de venir ou de rester au Royaume-Uni.
Reste à savoir jusqu’où cette politique, contre-productive même dans le cadre d’une économie néolibérale, sera tenable.