IRAK : Peut-on libérer un peuple en l?occupant et en l?asservissant?

de Sohair MOHIDIN (Présidente de la GUPS), 30 juin 2003, publié à Archipel 106

Sohair Mohidin est présidente de l’Union générale des étudiants palestiniens à Paris, elle nous livre une vision de la guerre et de ses enjeux, qu'en ont les populations des pays arabes.

C’est une des questions qui se posent dans le monde arabe et au sein des cercles militants anti-guerre dans le monde entier. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la vie actuelle des Irakiens pour avoir une réponse. Sous l’occupation militaire américaine, c’est l’état de désarroi qui domine le peuple irakien. Mais ce désarroi n’est pas total. Car les manifestations hostiles à la présence américaine montrent à tous ceux qui s’aveuglent que les Irakiens ne veulent pas de cette occupation. Un autre signe cinglant de ce refus de l’occupant est l’assassinat de Abdel Majid Al Khouy, un des chefs chiites en exil, dans la ville de Al-Najaf après son retour au pays sur un tank américain. Ni les Irakiens ni les peuples arabes ne sont dupes. Les premiers sont conscients de l’atrocité de cette guerre et de ses répercussions sur le court et long terme, et du fait que ce n’est pas pour une transition démocratique que les Américains ont débarqué en Irak. Loin de là, il s’agit d’un néo-colonialisme qui vise à faire éclater l’unité du territoire et du peuple irakien, à s’emparer de ses richesses et à réduire le pays à une simple colonie. Pour les seconds, il s’agit de renforcer le projet d’expansion de l’Etat d’Israël et son existence même en tant qu’entité militaire et économique au détriment des peuples arabes. Qu’a-t-elle apporté, cette "bénédiction" américaine au peuple irakien? La chute de la dictature? Bien évidemment, mais qu’en est-il de ce chaos qui ruine le pays? Rien! En fait, contrairement à ce que l’on peut imaginer, les Américains profitent de cet état de chaos et en sont les moteurs. Les vols des musées, des ministères et des institutions publiques, les tueries arbitraires, l’enlèvement des femmes deviennent le quotidien de tous les Irakiens. L’insécurité totale règne et ronge le corps de la société. Le système de services est en panne, les Américains refusant jusqu’à présent de recourir aux anciens cadres du parti Baas. Avec 2 millions de personnes jusqu’alors responsables de la gestion de l’ensemble du secteur public, ils constituent pourtant une fraction importante de la population irakienne. Une catastrophe humanitaire est en train de se produire en Irak, au vu et su du monde entier. La pénurie en eau potable, la nourriture, l’électricité, les médicaments, tout disparaît pour satisfaire une politique qui vise à soumettre le peuple irakien à cette nouvelle réalité. Le retour de l’opposition irakienne "corrompue" et "collabo" aux yeux des Irakiens, sous l’aile de son créateur américain, constitue un autre malheur pour les Irakiens. A l’instar de Chalabi, ces dirigeants mercenaires contribueront à la division du pays en formant des milices armées sous prétexte de rétablir l’ordre. Le vrai rôle de ces milices sera de réprimer tout soulèvement populaire contre l’occupation américaine et de noyer le pays dans un bain du sang. Les Etats-Unis mènent aussi une autre guerre sur un autre front, celui de la désinformation. Les Irakiens étant coupés du monde, les Américains en profitent pour créer une chaîne télévisée baptisée "Middle-East TV" à l’exemple de celle mise en place dans les années 80 par les Israéliens aidés des phalangistes libanais. Son objectif: pratiquer un lavage de cerveau et prêcher auprès des Irakiens de collaborer avec "les libérateurs occupants" ! Le voilà, l’Irak d’aujour-d’hui, libre de la dictature, colonisé par les Etats-Unis. Dans l’Histoire contemporaine de l’humanité, c’est un grand deuil d’être témoin de l’enterrement du Droit international incarné par l’ONU. C’est une honte pour la communauté internationale d’autoriser cette prostitution politique étasunienne basée sur l’unilatéralisme et la violation de la souveraineté d’autres Etats, avec à chaque fois un prétexte différent. La nation arabe se sent menacée dans son existence culturelle et géopolitique. Il s’avère que les prochaines recherches d’armes de destruction massive seront effectuées en Syrie ou/et en Iran ou/et au Liban. Des leçons à tirer de cet acte d’extrême démocratie américaine? Il n’y en a pas. Car il n’existe pas d’indice pour savoir quand les Américains mèneront leur prochaine "guerre sainte" . Il reste à signaler que les attentats terroristes perpétrés récemment à Riad en Arabie Saoudite contre des complexes résidentiels habités par des Américains, des Britanniques et d’autres étrangers, portent un message clair et net pour le gouvernement saoudien et pour les Etats-Unis. On pourrait l’interpréter ainsi: "Nous ne voulons plus de votre présence sur notre territoire national et dans notre région" . La réaction de la nation arabe à cette occupation militaire de l’Irak, avec une liberté d’expression étouffée, la même répression de la pensée libre au sein des régimes totalitaires arabes, la situation en Palestine qui ne cesse de s’aggraver face à l’offensive coloniale et répressive israélienne: tout contribue à alimenter la colère du peuple arabe. La perversité de la politique étasunienne au Proche-Orient va nourrir une haine pour l’Occident et un extrémisme sans précédent. Les peuples arabes ont une envie de passer des ténèbres à la clarté. Comme tout autre peuple dans le monde, ils en seront capables parce qu’ils aspirent à la liberté et à la démocratie et ont en eux les ressources pour y accéder sans le soutien des Etats-Unis.