ISRAEL - PALESTINE: Betray your race1 Une lutte israélienne contre le mur

de Katharina Morawietz FCE - Suisse, 13 sept. 2012, publié à Archipel 207

Depuis bientôt dix ans, le groupe Anarchists against the wall (AATW, Anarchistes contre le mur), proteste, aux côtés de villages palestiniens, contre la construction du mur de séparation entre Israël et les territoires occupés, et contre la politique de colonisation israélienne. Yossi, qui participe aux actions d’AATW depuis le début, est en tournée en Europe pour faire passer des informations alternatives sur le conflit israélo-palestinien. Il présente, entre autres, le film «Bil’in, mon amour» qui dépeint la résistance du village de Bil’in.

Ce texte se base sur un entretien avec lui.
Le mur autour des territoires palestiniens serait déjà achevé si son tracé n’était pas régulièrement modifié, au gré de l’implantation de nouvelles colonies, mais les AATW continuent de manifester avec les Palestiniens contre ce mur, contre les routes de l’apartheid, réservées aux Israéliens, et contre le racisme aux checkpoints. Yossi constate que «le plus important effet de notre collaboration est qu’aujourd’hui, plus personne dans les milieux de la gauche israélienne ne peut décemment parler de paix et de justice sociale sans inclure une collaboration avec les Palestiniens.» Il a lui-même grandi dans une banlieue de Jérusalem, où le contact avec les Palestiniens se limitait à des relations avec des serviteurs qui nettoyaient, jardinaient, vendaient l’hummus2. Dans les années 1990, les quelques contacts des militants politiques avec des Palestiniens se limitaient essentiellement à des poignées de mains amicales. Seul le parti communiste collaborait directement avec les activistes palestiniens. Plus tard, ni le mouvement anti-globalisation ni les groupes écologiques ne sont parvenus à une réelle prise de contact.

Surmonter sa peur

Ce n’est qu’à la construction du mur, à partir de 2002, quand les villages palestiniens organisèrent la résistance, qu’une collaboration avec certains Israéliens s’est mise en place. Le moment était propice: les structures politiques palestiniennes étaient affaiblies, Arafat assigné à résidence et les villages palestiniens relativement coupés des villes et des organisations politiques par la présence militaire israélienne. Les gens devaient se débrouiller eux-mêmes s’ils ne voulaient pas regarder les bras croisés les militaires les couper de leurs champs et de leurs plantations et détruire de manière ciblée leur agriculture. Dans beaucoup de villages sont nés des comités populaires réunissant familles et partis pour organiser la résistance. Les «Anarchistes contre le mur» ont été invités à participer aux protestations. Pour la majorité des Israéliens, c’était la première fois qu’ils collaboraient avec des Palestiniens. «Tu peux toujours avoir des idées de gauche, mais en tant qu’Israélien, se débarrasser du sentiment de peur face à un village palestinien, c’est un processus décisif. Et il démarre seulement si nous collaborons.» Yossi raconte à quel point on lui a seriné pendant toute son enfance que les villages palestiniens étaient dangereux. Pour les Palestiniens aussi, il a été difficile de faire confiance aux anarchistes israéliens. Anarchiste est une injure en arabe et beaucoup d’activistes sont punks, gays et lesbiennes. Yossi raconte: «Nous sommes mal habillés et beaucoup d’entre nous mangent vegan3. Dans un premier temps, cela a provoqué une certaine méfiance.» Dès que les Palestiniens ont vu que les anarchistes, dans des situations délicates, ne fuyaient pas et n’avaient pas recours à leurs privilèges mais se faisaient arrêter avec eux, ils ont commencé à leur faire confiance.
Ainsi, depuis 2002, l’AATW participe aux protestations et aux manifestations contre le mur. Au plus fort de la lutte, il y avait plusieurs actions par semaine. Actuellement, entre six et dix villages sont actifs et beaucoup d’actions sont menées à Jérusalem. La tâche la plus importante de l’AATW est dans ce cadre d’accompagner les manifestations de Palestiniens, car tant que des Israéliens sont parmi les manifestants, l’armée israélienne ne tire pas à balles réelles. En outre, les démonstrations de solidarité des anarchistes ont provoqué dans les premières années un choc chez les soldats, qui ne comprenaient pas comment des Israéliens pouvaient se battre aux côtés de l’ennemi. Yossi se souvient, sarcastique: «Parfois les soldats israéliens qui venaient de nous tirer dessus pendant la manifestation nous demandaient si nous n’avions pas peur dans les villages palestiniens. Une situation surréaliste.»

Non violente mais radicale

La lutte dans les villages est surtout non violente. «Le rapport de force est clair. L’armée est surpuissante et peut imposer sa volonté», dit Yossi. Selon lui, la violence, comme par exemple les attentats-suicides, entraînerait la violence au sein même de la société palestinienne, ce que condamnent beaucoup de Palestiniens, et, dernier argument, mais non des moindres, la violence serait plutôt l’affaire d’hommes jeunes alors que, dans les villages, des personnes plus âgées et des femmes veulent aussi participer. «Les actions directes non-violentes permettent à tous de participer à une résistance radicale» explique Yossi. Les AATW voulaient collaborer avec le plus possible de villageois, avec les femmes et les personnes plus âgées, ce que permet la structure des comités populaires. Ils sont attentifs à ne pas privilégier le contact avec un groupe plutôt qu’un autre. Cependant la situation diffère d’un village à l’autre. Dans certains, les femmes participent, dans d’autres pas. Dans certains villages, les jets de pierre sont aussi contestés, dans la mesure où ils entraînent une répression plus forte et qu’alors la présence des anarchistes est moins efficace.
Au cours des dernières années, la situation des activistes israéliens est devenue plus tendue. «Au début, les soldats étaient déconcertés par notre présence parce qu’ils nous reconnaissaient en tant qu’êtres humains», raconte Yossi. Les anarchistes avaient alors une certaine marge de manœuvre et pouvaient parler avec les soldats. «Aujourd’hui, nous sommes catalogués comme traîtres et comme danger pour Israël.» Les soldats ont interdiction de parler avec eux et sont de plus en plus agressifs. Les soldats employés au mur viennent en outre de catégories défavorisées de la population telles que les Juifs d’origine éthiopienne et russe, alors que les anarchistes sont principalement issus de la bourgeoisie cultivée: la haine des privilégiés entre en jeu là aussi. Avec le temps, de nombreux membres de la première génération d’AATW ont dû s’exiler, d’une part parce qu’en Israël ils sont exposés à la répression, d’autre part parce qu’ils ne peuvent pas supporter l’exclusion sociale. «Nous trahissons les structures qui nous privilégient et vivons selon la devise ‘betray your race’». Yossi lui-même a émigré il y a quelques années en Europe, mais retourne cependant régulièrement en Israël pour garder le contact. Il est pessimiste sur l’évolution de la situation sur place. «Nous nous trouvons dans une impasse politique.» La construction de colonies dans les territoires palestiniens a rendu impossible la solution à deux Etats indépendants, et pourtant beaucoup de Palestiniens espèrent encore leur propre Etat. «Beaucoup croient que c’est le chemin le plus sûr pour se débarrasser de l’occupation israélienne.» Les Palestiniens luttent contre une oppression nationale et pour une autodétermination nationale. Cette coloration nationaliste ne dérange-t-elle pas les anarchistes? Ils se placent du point de vue qu’Israël, l’Etat dans lequel ils sont privilégiés, oppresse les Palestiniens. C’est le point déterminant pour eux. «Le nationalisme n’est pas notre tasse de thé, mais c’est la décision des Palestiniens. Nous luttons avec eux pour leur libération», dit Yossi. Mais parmi les Palestiniens, certains se demandent aussi si avoir leur propre Etat serait réellement la solution, car aujourd’hui même, la lutte pour le pouvoir entre le Fatah et le Hamas génère violence et répression au sein de la société palestinienne.

L’apartheid est-il l’avenir?

Pour l’AATW, l’évolution du conflit est problématique. Yossi craint la solution de deux Etats car en Israël, elle va de pair avec l’idée d’un échange de populations pour rendre Israël entièrement juif. Cela concernerait environ un demi-million de colons dans les territoires palestinien et les 20% de Palestiniens dans la population israélienne. Les AATW combattent ces tendances à l’apartheid. En Israël, ils développent des campagnes de sensibilisation, par exemple en affichant les photos du célèbre collectif de photographes Actives stills4. Ils organisent des réunions d’information et tentent de faire passer dans les médias une contre-information à la propagande d’Etat. C’est dans cette perspective que Shai Carmeli Pollack, de l’AATW, a tourné le film Bil’in my love, diffusé en Israël au cinéma et à la télévision en 2006. Le film accompagne les anarchistes dans le village de Bil’in, où la population, avec des formes de résistance radicales et pleines de fantaisie, se défend contre l’occupation. Il montre la dureté des confrontations, le manque de perspectives de la situation et l’injustice de la politique de colonisation israélienne. Il fait avant tout le portrait de certains des opposants et leur laisse beaucoup d’espace pour expliquer leur point de vue. Le film est toujours d’actualité – entre autres parce que la population Bil’iner continue de protester contre le mur. Yossi et d’autres membres d’AATW le diffusent encore volontiers, lorsqu’ils sont invités à des soirées d’information.

Site des Anarchistes contre le mur: www.awalls.org
Infos sur le Film: Bil’in Habibti (Bil’in mon amour), Réalisation: Shai Carmeli Pollak. Documentaire 2006. DVD disponible; Durée: 84 min., à commander directement sur le site de AATW, rubrique «contact us».

  1. <http://activestills.org>