KIOSQUE: Bonnes femmes, mauvais genre Revue Z N° 10*

de Les amis de Klark Kent, 27 oct. 2016, publié à Archipel 252

Le 28 avril 2016, à Marseille. Bien après la fin du parcours officiel, la manifestation contre la loi Travail part en petites foulées jusqu’au cours Julien, où une grêle de grenades lacrymogènes atterrit sur les terrasses, pleut jusque dans les tasses de café, noyant dans une brume toxique le square où les enfants jouent. Une heure plus tard, à l’entrée du tunnel qui sépare le centre-ville du quartier de la Belle-de-Mai, un cortège de lycéen.nes est visé à hauteur de visage par les Flash-Ball de la police, et des amies en escapade sur la voie ferrée terminent au poste.

Ce printemps, en plein mouvement social, l’équipe de Z, composée pour ce nouvel opus d’une dizaine de rédactrices, d’un rédacteur et d’un graphiste, enquêtait à Marseille, au prisme de questionnements féministes. Sans y prendre garde, nous avions d’ailleurs loué, pour nous réunir, un appartement situé... place des Marseillaises. Au même moment, un an après le procès du Carlton à l’issue duquel Dominique Strauss-Kahn a été relaxé malgré de fortes présomptions de viol sur des prostituées, treize femmes politiques sortaient du silence pour dénoncer les agissements sexistes du député écologiste et vice-président de l’Assemblée Denis Baupin. Des «histoires de bonnes femmes», a commenté le député Pierre Lellouche. Nous nous débattions alors justement dans nos propres histoires de bonnes femmes: échafauder des plans alambiqués pour faire garder sa fille, découvrir que sa grossesse «n’évolue pas», soutenir une copine frappée par son compagnon, se faire rattraper par une maladie touchant principalement des femmes... Pour une fois, la matière quotidienne de nos tourments intimes devenait matériau de travail, piste d’enquête, source de la critique sociale.
Il y a pourtant des choses que nous ne vivons pas, fortes du privilège d’appartenir à cette majorité qui ne ressent pas le besoin de se nommer: les rédactrices de Z sont presque toutes hétéros, presque toutes blanches, presque toutes issues de la classe moyenne. Pour les femmes pauvres, les ouvrières, les lesbiennes, les Noires, les Sourdes, les musulmanes, les obstacles se croisent et parfois s’additionnent au point de menacer leur droit d’exister socialement.
Le programme de la course à la compétitivité dernièrement incarnée par la loi Travail est connu: mise au pas de la main-d’œuvre et précarisation généralisée. Pour l’appliquer, guerre de classes et division sexuelle fonctionnent main dans la main. En face, nous voudrions savoir nous défendre en tant que femmes et d’un même mouvement remettre en cause la notion même de «femme». Tenir ensemble ces deux bouts de la pensée féministe n’est pas chose aisée : il nous reste du boulot... L’absence de la question de la transidentité dans ce numéro en constitue une limite.
Sans attendre l’articulation parfaite, le Z No10 déboule avec un équipage de femmes qui s’arment pour un monde meilleur; celles qui affrontent le mépris, le paternalisme et les stéréotypes pour arracher ce qui leur est dû; celles qui déploient une inventivité foisonnante pour réinvestir leurs corps et transmettre leurs savoirs. Leur soif de justice et leur désir de solidarité, patiemment, pulvérisent un à un les stigmates du mauvais genre.

* 220 pages, 13 euros, en vente dans toutes les bonnes librairies ou sur le site de Z: www.zite.fr

Vous trouverez également sur le site le sommaire détaillé ainsi que les numéros précédents.