L'ORIENT COMPLIQUE: Tour d'horizon

de Isabelle Bourboulon, 12 oct. 2016, publié à Archipel 251

Dimanche 31 juillet, la séance plénière abordait quelques composantes de cet «Orient compliqué» avec les explications et témoignages de Stéphane Lacroix, chercheur rattaché au Centre d’Etudes et de Recherches Internationales (CERI), spécialiste de l’Arabie saoudite, Loulouwa al Rashid, politologue d’origine irakienne, Fadwa Souleimane, actrice et poétesse syrienne, et Pinar Selek, sociologue turque.

Une lecture trop idéologique de l’Arabie saoudite
Selon Stéphane Lacroix, la politique saoudienne a, jusqu’à récemment, été dictée par le pragmatisme, celui de la préservation de ses propres intérêts, et résulte d’une alliance entre le sabre et le goupillon – autrement dit, d’un partage des tâches entre chefs politiques et leaders religieux. Alliée des Etats-Unis depuis 1945 (ce sont les Américains qui ont fondé la compagnie pétrolière Saudi Aramco), l’Arabie saoudite a essentiellement mené une politique conservatrice contre toutes les formes de changements: contre Nasser pendant la guerre froide, avec l’Iran du Shah dans les années 1960-1970, et contre l’Iran de Khomeiny qui, aux yeux des Saoudiens, incarnait un islam révolutionnaire.
A partir des années 1990 et de l’invasion du Koweït, un certain retournement se produit. Paradoxalement, les Saoudiens se méfient des islamistes sunnites qui prônent un système sous la coupe de la charria. Ils soutiennent le coup d’état militaire du Général Sissi en Egypte et la révolution syrienne comme le moyen de se débarrasser d’un allié de l’Iran, Bachar El Assad.
Aujourd’hui, l’arrivée au pouvoir d’un nouveau prince héritier de 30 ans, Mohammed ben Salmane, pourrait faire évoluer la situation dans le pays. Il a adopté un plan de «com» visant à révolutionner le royaume wahhabite par le haut à coups de nouveaux milliards de dollars et a rendu public un plan de réformes néo-libérales colossal.
Le poison confessionnel dans la société irakienne
Concernant l’Irak, Loulouwa al Rachid rappelle que ce pays a aussi eu son «printemps», même s’il vit une situation de guerre permanente depuis les années 1980. En 1991, au milieu de la confusion née de l’invasion occidentale, un soulèvement dit «intifada» a en effet eu lieu à la fois au nord du pays (c’est l’expérience kurde d’autogouvernement) et au Sud (où ce soulèvement est écrasé car la coalition refuse d’y créer une zone d’exclusion aérienne, comme dans le Nord). Ce soulèvement et la répression qui a suivi ont laissé un véritable traumatisme dans la société irakienne.
Après une période de nationalisme incarnée par Saddam Hussein, le nouveau régime irakien a instrumentalisé l’islamisme et exacerbé l’opposition entre chiites et sunnites. Jusqu’au surgissement de l’Etat Islamique (EI) à Mossoul, en 2014, sur fond de déliquescence de l’Etat, d’épuisement de la société civile à cause des guerres et des invasions, de déplacements massifs de populations (3 millions et demi de déplacés) et d’exode de réfugiés.
Un régime autoritaire cautionné par l’Occident
C’est ainsi que Fadwa Souleimane définit la situation en Syrie. Réfugiée en France, ce qui se passe en Syrie l’atteint émotionnellement à tel point que, d’emblée, elle transmet son indignation à son auditoire. Les Occidentaux dont la politique dans la région est motivée essentiellement par l’accaparement des ressources pétrolières, entretiennent la fable de peuples arabes incapables de se gérer eux-mêmes et légitiment les régimes autoritaires. «La Syrie est un pays éduqué qui a eu la chance de vivre en sécurité pendant longtemps, mais qui a la malchance d’être situé à côté d’Israël et d’être une clé d’entrée dans la région», résume Fadwa. Pour régler le conflit syrien, elle n’accorde aucune confiance aux Nations unies dont le Conseil de sécurité est trusté par cinq «grandes puissances qui s’arrangent entre elles et laissent faire les massacres». De Daech, elle estime qu’il s’agit d’une construction internationale car la pensée salafiste est exogène à la Syrie. «Un jour les Syriens se relèveront, mais d’ici là c’est une honte pour l’humanité», conclut-elle.
La résistance des militants turcs
L’enfance et l’adolescence de Pinar Selek sont dominées par des souvenirs de prison. Son père a été en prison, elle-même l’a été – il y avait à ce moment-là 40.000 prisonniers politiques. Les confréries musulmanes (cf. la confrérie Gülen, autrefois alliée d’Erdogan et aujourd’hui son pire ennemi), dont certaines épousent les intérêts des puissances économiques dominantes, jouent un rôle important en Turquie.
Depuis le récent coup d’état, le chaos s’est installé avec la multiplication des arrestations dans tous les secteurs de la société, la création de milices aux côtés de l’armée, et surtout le développement d’un capitalisme néolibéral de plus en plus sauvage. D’ailleurs, la bourgeoisie turque n’est plus nationale mais liée à des intérêts transnationaux.
Au milieu de cette situation chaotique et dangereuse, les militants turcs parviennent malgré tout à trouver les ressources leur permettant de se protéger. Pinar explique que si, pendant les années 1980, la sphère militante était dominée par les mouvements d’extrême gauche, aujourd’hui de nouveaux mouvements ont émergé (féministes, libertaires, LGBT) qui constituent des réseaux ayant leur propre force d’organisation, indépendamment de leurs structures d’origine. Ces réseaux militants innovent de nouvelles formes de lutte et trouvent des adaptations tactiques à la répression. L’occupation de la place Taksim (2013) a été possible grâce à cette organisation en réseau.