A Bruxelles se prépare en ce moment une réforme d’ensemble des directives européennes concernant le commerce des semences et des plants. Le projet de règlement non officiel exclut des variétés rares et traditionnelles du marché et menace de sanctions administratives les petits paysans qui échangent ou donnent ces semences. Les variétés industrielles sont au contraire assurées d’étendre leur domination.
Des cerises anciennes, des tomates du jardin de grand-mère, des pommes de terre rares – de nombreuses variétés anciennes de fruits, de légumes et de céréales pourraient bientôt disparaître pour toujours. L’origine du danger immédiat n’est pas dans la diminution continue des espèces qui a mené à des pertes importantes dans l’agriculture, mais dans le «nouveau décret européen sur les semences». Depuis 2008, l’Union européenne travaille à une harmonisation des directives européennes pour la circulation des semences et des plants. La douzaine de directives existantes doivent aujourd’hui être remplacées par un seul décret européen. Un seul projet de ce nouveau décret a été publié récemment, en novembre 2012. Dans toute l’UE, les ONG lancent l’alarme: ces futures réglementations sont préjudiciables aux paysans, elles mettent les jardiniers sous tutelle, réduisent le choix des consommateurs et portent atteinte à l’environnement. Si le décret européen est adopté dans son contenu actuel, cela signifie la fin de nombreuses espèces rares et anciennes essentiellement cultivées par des petites exploitations pratiquant la vente directe.
Le droit européen pour la circulation des semences réglemente, techniquement parlant, la mise en circulation de matériel de multiplication; c’est-à-dire qu’il décide qui est autorisé à diffuser telle graine ou tel bulbe ou telle bouture à d’autres.
Au cœur de la directive et aussi du nouveau décret il est stipulé que les autorités délivrent des autorisations de mise sur le marché pour certaines variétés et effectuent des analyses sur le matériel de multiplication. Ces autorisations de mise sur le marché impliquent de nombreux contrôles avec les mêmes procédures que pour des produits touchant directement à la santé humaine, comme les médicaments. Pour qu’une variété de légume, de fruit ou de céréale puisse être mise sur le marché, elle doit être inscrite et certifiée par les autorités, ainsi que son matériel de multiplication. Les variétés anciennes, traditionnelles et rares n’ont aucune chance d’être autorisées. Elles seront fortement discriminées par ce projet de décret.
L’obligation d’une autorisation de mise sur le marché pour les variétés, y compris pour leur diffusion et en ce qui concerne la propagation des espèces traditionnelles, impliquera, pour les personnes désireuses de transmettre leurs semences ou leurs plants, des taxes et des frais administratifs élevés. Ceci ne concerne pas seulement la vente, mais aussi l’échange et le don de semences. Selon la commission européenne, à l’avenir les paysans auront seulement le droit de donner des semences et des plants de variétés autorisées. De plus ils devront être enregistrés en tant qu’entreprises professionnelles. Les petites exploitations paysannes qui travaillent avec des variétés traditionnelles – souvent il s’agit de nombreuses variétés différentes par espèce – devraient investir dans un emploi à plein temps rien que pour venir à bout de la bureaucratie, sans parler des coûts d’inscription. Des grandes multinationales de l’agro-business, qui proposent peu de variétés qu’elles commercialisent en gros, ont un avantage certain.
Discrimination contre les variétés rares et anciennes
Mais l’obstacle véritablement infranchissable est le «test DHS». C’est la condition préalable à l’autorisation officielle d’une variété. Il doit vérifier qu’une variété est conforme aux critères de Distinction, d’Homogénéité et de Stabilité, c’est-à-dire si la plante et ses fruits correspondent à un standard. Ces critères se basent sur les variétés industrielles dont nous connaissons les fruits sur les étals des supermarchés: ils sont à peu près identiques. C’est le paradigme de l’augmentation de la production, non de sa durabilité, qui dicte la politique de la PAC (Politique Agricole Commune). De par leur constitution biologique, les variétés rares, anciennes ou paysannes ne peuvent surmonter ce test DHS. Elles se caractérisent par une grande variabilité génétique – la diversité plutôt que l’uniformité. La multiplicité génétique n’est pas un inconvénient à mettre à l’écart. La diversité est à la base de l’évolution et de l’adaptation à des conditions changeantes comme le climat, les parasites et les maladies.
Dans son projet, la commission européenne maintient les limitations déjà existantes. A l’avenir, les variétés rares, traditionnelles et anciennes de semences et de plantes ne seront autorisées à être multipliées que dans leur «région d’origine» et diffusées en quantité limitée. Ces restrictions cantonnent leur culture aux frontières politiques. Elles vont à l’encontre de l’objectif de l’UE d’encourager la diversité des plantes cultivées. Elles ne sont pas non plus conformes à une «économie de marché libre», réclamée à grands cris par les multinationales. La production de semences et de plants de variétés anciennes est régulée par la demande; il n’y a pas de surproduction. A l’opposé, l’agriculture industrielle doit faire de la publicité pour vendre ses tonnes de produits.
En Autriche
Les directives encore en vigueur de l’UE sont appliquées par certains Etats de manière favorable à la diversité, par d’autres non. En Autriche, le fait d’échanger des semences de variétés rares de dépend pas des lois du marché, tant qu’il s’agit de petites quantités. Dans la pratique, l’échange non lucratif contre de l’argent est accepté – une zone grise du droit dans laquelle se meut l’organisation de conservation autrichienne Arche de Noé. Dans de nombreux autres pays de l’Union ce n’est déjà plus possible. Le nouveau décret de l’UE fait disparaître toute liberté d’interprétation. Si un règlement favorable à l’industrie voit le jour, l’avenir d’Arche de Noé et de ses 6.500 variétés est aussi incertain que celui de toutes les autres organisations ou personnes privées qui conservent des vieilles variétés et diffusent les semences.
En tout cas il est certain que la législation prévue menace d’amendes et même d’interdiction d’activité les paysans qui diffuseraient des semences de variétés non enregistrées. Ils ne pourront plus échanger librement leurs semences. A l’avenir, si un paysan veut échanger des semences de variétés non autorisées ou les donner à son voisin, il sera passible de sanctions. Il pourra seulement le faire dans l’illégalité. Selon Beate Koller, directrice d’Arche de Noé, «ce serait la fin de nombreuses variétés rares. Du fait de la menace de sanctions, elles ne seront plus accessibles. Les cultiver, acheter la semence ou donner leurs fruits reste autorisé, mais sera rendu impossible par une restriction de l’accès aux semences. C’est l’équivalent d’une mise hors-la-loi de ces variétés».
Le projet sera présenté à l’UE en 2013
La proposition officielle de la commission sera déposée au milieu de 2013. Puis elle sera transmise au Parlement européen et au Conseil de l’Europe. Ensuite les ministres de l’agriculture des pays membres et les députés européens doivent approuver le décret, qu’ils peuvent aussi modifier. Leur accord est nécessaire pour l’entrée en vigueur du règlement. Tout le processus va durer au moins plusieurs mois, peut-être plus. La bonne nouvelle est qu’il existe une marge de manœuvre assez grande pour améliorer le nouveau décret de manière substantielle et assurer la survie de nos variétés rares. Si le cadre législatif peut finalement empêcher la disparition de la diversité des plantes cultivées ou lui donner davantage de possibilités de se développer, c’est une bonne opportunité.
L’industrie fait du «bon travail»
Les intérêts de l’agro-industrie sont plus fortement représentés à Bruxelles que ceux des petits paysans. Le budget à Bruxelles de Via Campesina, le représentant le plus important des intérêts des petits paysans progressistes, est d’environ 150.000 euros par an. C’est 17 fois moins que les dépenses de lobbying du bureau bruxellois de Bayer CropScience, une des multinationales avec le plus gros chiffre d’affaires (CEO 2012, p.10). Le remaniement de la législation européenne sur les semences est marqué par les intérêts de l’industrie. Isabelle Clément-Nissou, collaboratrice du Groupement National Interprofessionnel des Semences (GNIS), de France, dirige la révision de la proposition de loi. Mais le dernier mot n’est pas encore dit. Le processus d’harmonisation dure déjà depuis longtemps – depuis 2008. La résistance des organisations de conservation de semences et des petits paysans ne peut plus être ignorée. Le président d’Arche de Noé, Christian Schrefel, raconte: «Lors d’une rencontre avec différentes parties prenantes à Bruxelles, j’ai eu l’impression que les industriels semenciers sont de plus en plus nerveux – ils se demandent pourquoi le décret n’est pas déjà adopté depuis longtemps».
En analysant les propositions de la commission européenne, Arche de Noé en arrive à la conclusion qu’une réglementation du marché et ses contrôles officiels sont une relique du passé. Les contrôles officiels ont une raison historique: quand les Etats ont ouvert leurs marchés aux semences étrangères, il y a 50 ans, ils ont eu très peur des fraudes. Pour ne pas être inondés de semences de moindre qualité, les producteurs ont du être enregistrés et le matériel de multiplication contrôlé. Aujourd’hui c’est dépassé. La meilleure qualité – et donc la protection contre les fraudes – est garantie pour le paysan par les producteurs de semences eux-mêmes, même sans contrôle officiel. Selon Beate Koller d’Arche de Noé «la meilleure régulation serait qu’il n’y en ait aucune. La commission européenne l’a même envisagé comme une option dans son papier d’'options et d’analyses' de mai 2011.»
Que fait Arche de Noé?
L’association Arche de Noé, engagée pour la conservation et le développement des plantes paysannes cultivées, demande que l’échange et le don de semences propres reste légaux. Les variétés rares et anciennes doivent être exemptes d’enregistrement.
La banque de gènes de l’association et de ses 10.000 membres à Schiltern en Basse-Autriche, conserve environ 6.500 variétés, surtout de légumes. L’association cultive également un jardin de multiplication pour des espèces rares. De plus, la conservation des variétés est organisée de manière décentralisée dans les jardins et les fermes des membres.
Les restrictions d’accès toujours plus grandes aux semences non hybrides ont incité l’association à renforcer son engagement au niveau politique. Deux «lettres ouvertes» signées par des milliers de citoyens de toute l’Europe ont déjà été transmises à des responsables à Bruxelles. Chaque jour, de nouvelles signatures arrivent sur <www.seedforall.at>.
Signez-les aussi!
Du 19 au 21 avril, Arche de Noé a organisé à Vienne un atelier sur le thème: «Comment préserver nos semences», auquel ont participé des organisations de conservation de semences d’Allemagne, d’Arménie, d’Autriche, de Bulgarie, de Croatie, du Danemark, de Finlande, de Grèce, de Hongrie, de Lettonie, de Macédoine, des Pays-Bas, de Pologne, de Roumanie, de Slovaquie, de Slovénie, de Suède et de Turquie. La rencontre avait pour objectif la mise en réseau des organisations fortement engagées dans leurs pays respectifs pour le maintien de la diversité des plantes cultivées. Nombre d’entre elles manquent de ressources pour analyser la nouvelle législation européenne sur les semences. L’analyse commune des propositions de l’UE a été le contenu le plus important de l’atelier, elle a permis une démarche commune au niveau européen. Un premier atelier avait déjà eu lieu en novembre 2012 pour inciter les associations de conservation de semences à s’adresser aux politiques et aux médias de leurs pays. Pour plus d’informations:
http://seedpolicy.arche-noah.at/en/homePréserver la diversité!
La préservation de la diversité des plantes cultivées est bien davantage qu’une action charitable pour quelques «pauvres petites plantes» qui autrement disparaîtraient. Les variétés traditionnelles sont souvent localement adaptées, et sont la base d’une agriculture plus écologique, urgente et nécessaire, économe en pesticides, en engrais et en eau. La diversité des plantes cultivées est un trésor. Elle assure l’adaptation de notre agriculture aux changements climatiques, à de nouvelles maladies ou aux parasites. La productivité de notre agriculture et la sécurité alimentaire dépendent directement de cette diversité. Les résultats d’une estimation de la FAO sont dramatiques: depuis 1900, environ 75% des variétés utilisées en agriculture ont disparu, éliminées par des variétés à haut rendement. Selon des estimations officielles, la disparition des espèces coûtera aux Européens en 2050 la somme inimaginable de 1,1 milliard d’euros par an.