HAUT-PARLEUR: 40 ans de Longo maï, ça se fête!

11 sept. 2013, publié à Archipel 218

A l’occasion des 40 ans du mouvement Longo maï, le bimensuel politique et culturel suisse Vorwärts a publié une interview de Kathi Hahn, l’une des fondatrices de Longo maï, et plus tard du Forum Civique Européen, réalisée par Mischa Müller. Nous la reproduisons ici.

Comment es-tu arrivée à Longo maï?

J’ai rencontré à Vienne (Autriche) au printemps 1970, c’est-à-dire 3 ans avant le démarrage de la première coopérative, le groupe Spartakus, un des groupes fondateurs de Longo maï. Je viens d’une famille communiste et avec cet arrière-plan familial, il n’est pas étonnant que je sois tombée sur ces gens. J’ai trouvé très attractif de ne pas seulement être active politiquement mais aussi de vivre ensemble, et c’est pour cela que j’ai emménagé à 15 ans dans cette communauté. Il s’en est suivi deux années mouvementées au cours desquelles nous avons organisé des actions d’apprentis, une grande campagne contre des centres de rééducation, des manifestations et des camps d’été internationaux. Nous y avons noué des amitiés avec des groupes similaires, en particulier le groupe d’apprentis suisse Hydra, avec lequel il y a eu dès le départ des échanges intenses.

Mise à part notre orientation antifasciste, nos activités étaient placées sous le slogan «Epanouissement libre – autogestion». Début 1972, nous étions soupçonnés, dans un article de journal, d’être le prolongement de Baader-Meinhof en Autriche. Nous ne voulions pas prendre le risque d’être criminalisés en tant que terroristes. Au lieu de passer dans la clandestinité, nous sommes allés en Suisse chez Hydra. Pendant un an, nous avons parcouru l’Europe en petits groupes mobiles que nous appelions «interbrigades». Nous avons tenté de mettre en réseau les bribes de résistance du mouvement ouvrier. Ou bien nous organisions des campagnes de solidarité avec des entreprises menacées de fermeture et occupées.
On avait souvent l’impression d’arriver trop tard. La restructuration en cours à l’époque a entraîné la disparition de branches professionnelles et la marginalisation de certaines régions. C’est dans ce contexte que l’idée de Longo maï est née.

De quelle manière Longo maï est-il politiquement actif, au-delà du fait que plusieurs personnes mènent ensemble une ferme biologique?
C’est justement typique de Longo maï: lier l’action politique à une vie alternative autodéterminée. Pour nous les coopératives ne représentaient pas un projet de «retour à la terre». Nous voulions créer une base de survie pour être indépendants et ainsi avoir un meilleur point de départ pour nos activités politiques.
Nous avons appris la nouvelle du putsch au Chili en septembre 1973, alors que nous avions démarré depuis quelques mois notre première coopérative à Limans en Provence. Il allait de soi pour nous de lancer avec des amis en Suisse l’Action Places Gratuites pour les réfugiés chiliens. Personne ne s’est demandé si on en aurait la force, en effet la survie de Longo maï en cette phase initiale était loin d’être assurée. La palette des actions politiques menées au cours de toutes ces années est très large. L’asile et la migration étaient des préoccupations majeures. Dans les années 1980, nous étions aussi actifs dans plusieurs pays européens pour faire reconnaître les radios libres non commerciales.
Quelques mois après la chute du mur de Berlin, nous avons créé le Forum Civique Européen avec d’autres personnes engagées aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest.
Après la désintégration de la Yougoslavie dans les années 1990, nous avons mené une campagne de soutien aux déserteurs qui avaient refusé de participer aux guerres nationalistes, et nous étions pendant une décennie l’organisation partenaire du réseau d’information AIM de journalistes indépendant-e-s dans les Balkans. Au cours des 10 dernières années, les questions telles que la souveraineté alimentaire et des semences, mais aussi la dénonciation de l’agriculture industrielle et la solidarité avec les migrants qui résistent et s’organisent contre les conditions inhumaines du système agro-industriel, sont des points forts.

En quoi consiste la richesse d’avoir plusieurs fermes dans différents pays?

Voyager, être chez soi dans différents pays parce ce qu’on y a des amis, changer de lieu si on veut, faire la connaissance d’autres cultures ou langues… Tout cela appartient pour moi à la qualité de vie de notre archipel de fermes de Longo maï.

40 ans de Longo maï, tu en étais et tu en es toujours, un petit retour en arrière?

Au début, la frontière entre «intérieur et extérieur», «appartenir ou non» était assez hermétique. Aujourd’hui elle est perméable: il y a des «anciens» avec lesquels nous entretenons des relations étroites, et qui nous rendent visite régulièrement. Ou bien des ami-e-s séjournent quelques mois par an dans une coopérative. Les nouveaux arrivés ne doivent plus couper les ponts et se décider pour un «ou bien, ou bien». Au fond je trouve ce développement très positif. Mais il porte en lui un risque de dislocation, et je me demande si Longo maï existerait encore si on avait agi de la sorte au tout début.
Bien sûr, le contexte politique a beaucoup changé lui aussi au cours des 40 dernières années. Les crises du système s’aggravent, si bien que beaucoup de gens ne nous voient plus comme des illuminés hors du temps.

Ruralité et musique: quelle forme prend cette amitié?

Nous chantions déjà avant Longo maï, par exemple des chansons antifascistes de Erich Mühsam, Bert Brecht, Kurt Tucholski… et nous avons continué à le faire dans les coopératives. Et nous savons bien faire la fête aussi. Ainsi le groupe culturel de Longo maï, Comedia Mundi, a joué lors des différentes fêtes, des airs tsiganes ou balkaniques jusqu’aux musiques de danse du monde entier. Dans les années 1980, Comedia Mundi partait en tournée avec des pièces de théâtre musical autoproduites.
La réalisation d’émissions musicales sur Radio Zinzine qui émet 24 heures sur 24, depuis la plus ancienne coopérative à Limans depuis 1981, est une autre forme d’activité dans ce domaine. Dans cette coopérative il y a également une chorale à laquelle participent des gens de Longo maï mais aussi des amis de la région. Mais on chante et on fait de la musique aussi dans les autres coopératives.

Comment réagissent les coopératives aux divers intérêts, idées et souhaits des nouvelles générations?

Bien que les coopératives soient très différentes en taille, activités et nombre de personnes, elles ont cependant en commun que les membres de la génération fondatrice qui se trouvent sur tous les lieux approchent de l’âge de la retraite. C’est pourquoi se posent partout les mêmes questions: comment vit-on à plusieurs générations sur le même lieu? Comment transmettre le savoir-faire, les connaissances et les expériences, comment partager les responsabilités? Et comment laisser de la place et laisser les jeunes faire selon leurs propres idées? Plus de questions que de réponses, car nous sommes en plein processus de transmission, qui est parfois laborieux.

Quels sont tes souhaits pour Longo maï?

Que nous restions en mouvement, et donc un mouvement, qui continue à intervenir politiquement et dans la société. Et que nous réussissions d’une part à transmettre les expériences du passé, et d’autre part à rester ouverts à de nouvelles personnes, idées et projets.

Longo maï – Que cela dure longtemps!

L’ancien salut provençal a fait ses preuves comme nom des Coopératives européennes: 40 ans de vie autogérée et communautaire dans neuf coopératives établies dans des régions montagneuses et marginalisées de France, de Suisse, d’Autriche, d’Allemagne orientale et d’Ukraine; plus la Finca Sonador au Costa Rica, projet initialement destiné aux réfugiés d’Amérique centrale. Aujourd’hui, plus de 200 adultes de diverses nationalités vivent dans les coopératives européennes avec leurs enfants et des jeunes de tous âges. Longo maï est politiquement indépendante et sans attache religieuse. Chaque coopérative est basée sur l’agriculture, l’élevage, l’artisanat, la transformation des matières premières locales et la vente directe des produits. Les recettes alimentent une caisse commune pour subvenir aux besoins de la coopérative et des coopérateurs en donnant la priorité à des valeurs humaines telles que l’entraide et la solidarité dans la vie quotidienne. Chaque coopérative se gère elle-même. Les questions qui concernent tout le monde sont discutées et décidées en commun. Des réseaux de solidarité se sont formés autour des fermes grâce à des années de collaboration avec la population locale. Au-delà du contexte régional, les coopératives reçoivent de nombreuses personnes de divers pays et cultures. Avec d’autres personnes engagées, les membres de Longo maï ont lancé différentes initiatives, tels que le Comité européen de défense des réfugiés et immigrés (CEDRI) et le Forum civique européen (FCE), et des campagnes de solidarité diverses.
Pour plus d’informations: www.prolongomai.ch

L’utopie des indociles, 40 ans Longo maï

Une exposition réalisée par Andréas Schwab, de Palma 3, à Berne
C’est à l’apport politique original de Longo maï qu’est dédiée l’exposition «L’utopie des indociles – 40 ans Longo maï». L’exposition sera présentée du 19 octobre au 2 novembre au Ackermannshof à Bâle et du 3 au 21 décembre au Grütli, la maison des arts, à Genève. Puis, en 2014 à Zürich, Lausanne et Berne, avant d’aller en Provence puis à Berlin. Pour correspondre au caractère international de Longo maï, l’expo sera entièrement bilingue français/allemand. Quelques événements culturels, poétiques et politiques accompagneront l’exposition, lectures de livres, conférences, concerts…
L’exposition est répartie en quatre domaines thématiques, qui reprennent les questions les plus importantes pour Longo maï, et sont traitées de manière à éveiller l’intérêt. L’autogestion au quotidien, l’agriculture et l’artisanat, l’économie autour et dans les coopératives, la politique en pensée et en action. Axée sur le présent, elle montre la communauté d’aujourd’hui en tant qu’expérience et critique vécue de la société actuelle. Toutefois, elle ne se borne pas à offrir des réponses, mais vise aussi à amener visiteuses et visiteurs à formuler leurs propres questions. Dans chacun des quatre domaines les différents éléments sont représentés par des objets très divers: documents filmés, affiches et disques du passé, des photographies actuelles des coopératives, des outils, des produits, des interviews et des documentaires, des articles de presse, des portraits vidéos de nombreuses personnes vivant à Longo maï…
Le programme complet de l’exposition «L’utopie des indociles – 40 ans Longo maï» et des soirées accompagnant l’exposition est sur <prolongomai.ch>
Bertrand Burollet
Longo maï