La marche pour la dignité: Des réfugiés de l'Allemagne fédérale résistent contre les lois répressives

de Herma Ebinger, EBF Deutschland, 15 déc. 2012

Le 13 octobre 2012, entre 3000 et 5000 personnes manifestaient à Berlin pour réclamer l'abrogation des lois d'asile racistes, la fermeture des Lager et l'accès à des logements décentralisés, l'arrêt des expulsions et l'abrogation de la Residenzpflicht (assignation à résidence dans le Kreis). Une marche de protestation de réfugiés à travers l'Allemagne, avait précédé cette manifestation. C’est le suicide de Mohammad Rahsepar, un jeune de 29 ans, dans le camp de réfugiés de Würzburg, qui a déclenché ce mouvement de protestation. En réaction, huit réfugiés de Würzburg entamaient une grève de la faim et pour sortir de l'anonymat décidèrent de monter un campement de protestation sur la place publique dans le centre-ville. Leur action inspira d'autres réfugiés qui firent de même dans d'autres villes allemandes, comme à Bamberg, Aub, Passau, Düsseldorf, Berlin, Regensburg et Nuremberg. En août, lors du «Break Isolation Camp», les réfugiés se sont concerté pour donner une suite commune aux deux événements et se sont décidé pour une marche de protestation sur Berlin. Leur intention était de renforcer la pression sur les responsables politiques des ministères, de la chancellerie et du parlement, en se rendant là où les décisions politiques sont prises, tout en mobilisant, chemin faisant, d'autres réfugiés pour la lutte commune. C'est exprimé dans leur déclaration de la manière suivante : «Nous mobilisons au niveau national pour rompre l'isolement, protester contre les expulsions et les Lager, pour la fermeture de tous les foyers de réfugiés et pour se libérer de la servitude de la Residenzpflicht dans toute l'Allemagne. (…) C'est maintenant le moment de se soulever, car nous ne voulons pas être plus longtemps les témoins passifs de la mort de l'un d'entre-nous. Car le traitement inhumain infligé aux demandeurs d'asile peut mener à la mort de chacun d'entre-nous. Nous quittons les frontières établies et les cages qu'on a construites pour nous, car nous croyons que le concept de la vie dans les foyers de demandeurs d'asile est injuste. (…)

C'est le droit de tout un chacun de choisir librement son domicile... »

La marche de protestation a commencé le 8 septembre à Würzburg. Après quelques 700 kilomètres et plusieurs stations, les réfugiés et leurs soutiens arrivèrent, en bus et à pied, à Berlin.

Entre le 30 septembre et le 4 octobre, les réfugiés protestataires firent des haltes dans plusieurs lieux du Mecklembourg-Vorpommern. Les réfugiés grévistes se sont rendus au, tout à la fois, centre d'enregistrement et camp d'expulsion de Horst ainsi qu'aux camps de réfugiés de Wismar, Bad Doberan, Rostock et Wolgast, soutenus dans leur démarche par la Campagne Stop_it !*du Mecklembourg-Vorpommern. L'intérêt de la visite était surtout d'informer les autres réfugiés sur le mouvement de protestation actuel et ses revendications.
Les gérants des différents foyers du Mecklembourg n'ont pas vraiment apprécié la visite des réfugiés, exception faite de celui de Rostock. Ainsi, les réfugiés protestataires et leurs soutiens de Hambourg et de Rostock étaient à peine arrivés devant le camp d'isolement de Horst, que la présence policière à l'entrée du camp était renforcée (jusqu'à cinq bus d'intervention). Les policiers se tenaient en faction avec ostentation, devant la porte de sortie, à l'intérieur du camp. Son accès a été interdit aux activistes et tout contact avec eux a été empêché par des intimidations et des menaces. Des réfugiés sont toutefois venus en groupes jusqu’à la clôture, pour comprendre ce qui se passait à l’extérieur. Finalement, une table ronde polyglotte a quand même pu avoir lieu, devant la clôture, malgré les tentatives d’intimidation. Celle-ci a suscité un grand intérêt parmi les réfugiés de Horst dont quelques-uns ont rejoint le bus de protestation.
Les réfugiés protestataires ont porté leurs messages également à Wismar et à Bad Doberan et là encore, des réfugiés du lieu, entre autre des mères avec leur bébé, les ont rejoint spontanément sur le chemin de Berlin.
Le 3 octobre, le bus de protestation arrivait à Rostock où il fût accueilli chaleureusement par les activistes du foyer et de la Campagne Stop_it ! L’étape de Rostock avait été annoncée par un rassemblement de solidarité, dans la même ville, le 19 septembre, au cours duquel des représentants de la Campagne Stop_it !, de l’IWW Rostock (Industriel Workers of the World), un activiste réfugié et porte-parole du parti de la LINKE sur les questions de la migration, Hikmat Al-Sabty ont critiqué les lois racistes et les politiques inhumaines allemandes et européennes, tout en expliquant les difficultés rencontrées par ce mouvement de protestation.
La dernière étape du bus au Mecklembourg a été le foyer de réfugiés de Wolgast, ouvert fin août 2012. La situation des demandeurs d’asile à Wolgast a récemment fait couler beaucoup d’encre. La gérance du camp de réfugiés (European Homecare**) n’avait pas l’air très enchantée de la visite du bus contestataire, jusqu’à essayer d’en interdire l’entrée aux visiteurs, en menaçant d’appeler la police. Malgré les circonstances défavorables, les activistes ont réussi à informer les réfugiés de Wolgast sur l’évolution du mouvement de protestation. Parmi ces derniers, quelques-uns trouvent déjà maintenant que l’hébergement imposé de Wolgast est sans perspective, insécurisant et discriminant et ont décidé in extremis de rejoindre le mouvement de protestation. Juste avant le départ, la direction du camp de réfugiés a essayé de pénétrer dans le bus, entre-temps pratiquement plein, pour savoir quel réfugiés de Wolgast avaient rejoint les contestataires. Les gérants ont de plus menacé d’alerter la police, accusant le chauffeur du bus et ses passagers de vouloir « kidnapper » les réfugiés de Wolgast contre leur volonté.
La marche a fait halte dans plusieurs autres villes en dehors du Mecklembourg pour continuer à informer sur les conditions indignes dans lesquelles doivent vivre les réfugiés.
Sur leur chemin, les réfugiés ont également du faire face aux menaces de néonazis. Comme par exemple devant le parlement de Thuringe à Erfurt, où ils effectuaient une halte. Là, ils ont été harcelés par dix partisans du NPD et heureusement ils ont réussi à s’en protéger. Ou bien comme à Potsdam, où le NPD vint à contre courant de la marche de protestation avec un véhicule équipé d’un haut-parleur éructant des tirades haineuses qu’heureusement les réfugiés et leurs soutiens sont arrivé à couvrir avec leurs slogans.
A peine deux jours après la marche, le ministre fédéral Friedrich cherchait querelle en lançant un nouveau « débat sur l’asile ». L’augmentation du nombre de réfugiés venant de Serbie et de Macédoine en était le point de départ. Friedrich a émis l’opinion que le récent jugement de la cour constitutionnelle, stipulant que les prestations sociales pour les demandeurs d’asile étaient trop faibles, aurait rendu l’Allemagne « attractive » pour les réfugiés. La somme du « Hartz IV » (allocation sociale pour les personnes en fin de droits, de 360 euros), sur laquelle le jugement se base pour l’augmentation, satisfait à peine aux besoins élémentaires d’une personne, l’attraction est donc relativement limitée. Ce n’est pas le cas des causes de l’exil, comme la guerre, la faim l’oppression des minorités. La bagarre pour le respect du principe constitutionnel qui stipule que la dignité de tout un chacun est inaliénable, continue…

P.S- campement et grève de la faim à Berlin : interpellations, saisies de tentes, matelas et sacs de couchage par la police – pour plus d’informations sur l’actualité du mouvement de protestation, consulter : www.refugeetentaction.net

*La Campagne Stop_it ! Réseau de réfugiés, groupes antiracistes et soutiens individuels au Mecklembourg-Vorpommern qui se bat contre le racisme et pour la fermeture définitive des camps

**European Homecare European Homecare GmbH – Entreprise familiale dont le siège social se trouve à Essen, dans le Nordrhein-Westfalen ; fondée en 1989 pour la gérance de foyers de réfugiés et de sans-abri ; entre-temps active dans d’autres pays européens