MIGRATIONS: Les migrants subsahariens au Maroc

de Emanuel Mbolela, 20 janv. 2017, publié à Archipel 253

D’un côté, on évoque de façon dramatique et exagérée les centaines de milliers de migrants subsahariens qui vivent au Maroc dans en attendant d’envahir l'Europe. On parle d’afflux massif, d’invasion des clandestins. Mais en réalité tous ces chiffres et tous ces qualificatifs visent à obtenir des appuis financiers, des dividendes politiques et diplomatiques de l’Europe, ou ils sont publiés en Europe à travers les medias populistes pour susciter la peur dans l’opinion et justifier la mise en place de sa politique migratoire sécuritaire.

L’on comprend dès lors que les chiffres de migration dite irrégulière qui sont avancés sont à prendre avec beaucoup de méfiance pour plusieurs raisons: quand il s’agit d’obtenir des dividendes politiques et financiers ou de justifier des politiques sécuritaires, on parle de centaines de milliers de migrants. Mais quand il s’agit d’assumer les conséquences de ces politiques, les drames dans la Méditerranée par exemple, on parle de naufrages d’une dizaine de «clandestins».
La sécurité, pour quand?
Comme cela ne suffisait pas, l’Europe parle maintenant de Hot spots ou de centres hors du territoire de l’Union, destinés à confiner les potentiels migrants en direction de l’Europe et accueillir ceux et celles que l’Europe expulserait. Dans cette logique l’Europe ne cesse d’inventer un vocabulaire destiné à rassurer l’opinion publique hostile à cette approche sécuritaire. L’on entend maintenant parler de pays d’origine et tiers sûrs. Que les juristes ne soient pas surpris de voir des pays comme la Turquie, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie figurer sur la liste de pays désignés comme sûrs par l’UE. Dans l’entendement de Bruxelles, le qualificatif de pays d’origine et tiers sûr ne consiste plus à désigner les pays qui garantissent les droits et libertés élémentaires de citoyens, mais plutôt ceux qui acceptent de souscrire à la logique de la politique d’externalisation de gestion de frontière. Ainsi, pour l’UE, un pays sûr est celui qui accepte à la fois de bloquer ses émigrants potentiels et d’accueillir ceux et celles que l’Europe réadmettrait dans ces pays parce que y ayant transité.
C’est dans ce cadre que l’Europe qualifie le Maroc de pays sûr et confie à ce pays la mission de jouer le rôle de gendarme de ses frontières. L’idée étant de se déresponsabiliser de ses engagements internationaux en faisant assumer le sale boulot aux autres. Pour y parvenir l’Europe met en jeu des milliards d’euros pour inciter les pays à coopérer. Ce qui m’étonne dans la conclusion de ces accords c’est le fait que les sommes d’argent astronomiques sont mises en jeux pour traiter de questions qui touchent les personnes humaines au point que je me demande si les signataires ne seraient pas, eux aussi, devenus des mafieux au même titre que ces passeurs qu’ils qualifient de crapuleux?
Un pays tiers sûr?
Le Maroc est qualifié de pays sûr alors que la situation des migrants subsahariens dans ces pays est alarmante: non accès au marché du travail, arrestations et refoulement se font maintenant de villes frontalières telles que Nador, Tanger vers les métropoles: Casablanca, Rabat, Fès. Les personnes arrêtées sont ramenées dans ces grandes villes où elles sont abandonnées dans les rues. Tandis que celles qui n’ont pas de papier sont refoulées à Oujda à la frontière Algérie-Maroc où elles sont jetées dans un canal de 7 mètres de profondeur creusé pour empêcher l’entrée au Maroc de migrants venant de l’Algérie. On refuse de délivrer un passeport aux réfugiés pourtant reconnus et par le Maroc et par le UNHCR. L’accès dans les hôpitaux reste encore limité et n’est effectif que si le migrant malade est accompagné d’un militant d’une organisation qui s’occupe de migrants. La scolarisation des enfants migrants n’est pas possible parce que malgré la décision des autorités autorisant l’admission des enfants migrants dans les écoles, il n’y a pas de mesures d’accompagnements tenant compte de la précarité dans laquelle vivent les parents des enfants. De plus, dans certaines écoles on continue à refuser les enfants. Les actes de violences tels que des agressions, des insultes, discriminations, violences physiques sont quotidiennement infligés aux migrants par la population. Les migrants sont arrêtés et emprisonnés pour mendicité alors que cette pratique ne concerne pas seulement les migrants subsahariens mais aussi les Marocains et les Syriens, qui sont aussi touchés par la pauvreté et la précarité. Mais seuls les Subsahariens sont arrêté, emprisonnés puis reconduits à la frontière.
Que l’Europe désigne le Maroc comme pays d’origine et tiers sûr ne me surprend pas parce que ceci s’inscrit toujours dans une approche sécuritaire. Néanmoins cette attitude de l’Europe face aux tragédies humaines révèle au grand jour le manque de sincérité et l’hypocrisie des Etats sur cette problématique de migration et projette une lumière crue sur l’écart scandaleux qui se creuse toujours plus entre le discours sur le droit et la démocratie et la réalité sordide des politiques sécuritaires.
Soutien véritable
Manque de sincérité d’abord parce que les dirigeants de l’Europe savent bien que les migrants contribuent plus à l’économie de leur pays d’origine que ses «aides au développement». Ainsi en 2013 la Banque Africaine de développement estimait à plus de 67 milliards de dollars américains le transfert annuel de migrants vers l’Afrique. Tandis que l’aide européenne se montait à une vingtaine de milliards distribués à 54 pays africains. On sait aussi que ce sont les envois de migrants qui touchent directement les ménages les plus défavorisés. Ils constituent les principales sources de revenus de nombreuses familles et permettent d’atténuer les tensions sociales sans parler de la mise en place des activités génératrices de revenus. Quant aux aides publiques au développement, la plus grande part reste entre les mains de donateurs: elle sert au paiement de leurs experts et fournisseurs et l’autre partie atterrit dans les poches des dirigeants qui l’emploient à acheter les biens à l’étranger et à consolider leur pouvoir.
Un changement de mentalité nécessaire
L’hypocrisie quant à elle, réside dans une approche qui se limite à élaborer des lois toujours plus contraignantes, répressives et discriminatoires tout en prétendant s’attaquer aux causes qui poussent les gens à partir. Peut-on fermer la porte aux migrants tout en laissant cette même porte grande ouverte au butin de pillage de leur pays d’origine?
Cette politique répressive ne peut rien changer profondément, par contre elle n’aboutit qu’à déplacer les routes migratoires et à augmenter le nombre de victimes. Voilà ce qui doit interpeller l’Europe et mettre fin aux expulsions et favoriser l’adoption d’une politique humaniste respectueuse des droits fondamentaux des migrants. Ce n’est pas à coups de sommes d’argent ou avec la militarisation de frontières que l’on pourra mettre fin à la migration. Il faut par contre avoir le courage d’affronter les vrais problèmes. Les causes qui poussent les gens à partir. Du moment que les conflits armés sont entretenus pour enrichir les marchands d'armes, tant que les pillages de ressources naturelles de pays d’origine sont organisés par les multinationales avec la complicité des dirigeants européens, les dirigeants africains qui excellent dans la mauvaise gouvernance continueront à bénéficier des soutiens de l’Occident; les gens continueront à partir.
Aide concrète
Quant à nous, pour faire face aux souffrances de femmes migrantes de l’Afrique subsaharienne qui viennent d’arriver au Maroc sans savoir où dormir, nous avons créé un centre d’hébergement de femmes et enfants appelé le Baobab. Le centre a une capacité d’hébergement de 20 personnes. Mais la demande est toujours croissante. En ce mois de septembre nous avons mis en place un projet de scolarisation des enfants et nous sommes parvenus à intégrer 30 enfants à l’école. Nous sommes à la recherche d’hommes, de femmes et d’organisations qui peuvent accepter de parrainer les études des enfants au Maroc.
Emmanuel Mbolela*

*Persécuté pour des raisons politiques, Emmanuel Mbolela (né en 1973) a fui la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) en 2002. Il a voyagé six ans durant lesquels il a affronté les mêmes difficultés que des milliers d’autres migrant-e-s: racket des douaniers, business des passeurs, embuscade dans le désert du Sahara, travail au noir à Tamanrasset pour financer la suite du voyage et enfin la nasse marocaine, où il est resté bloqué pendant quatre ans.
Après maintes péripéties, Emmanuel Mbolela a fini par obtenir l’asile politique en Hollande en 2008. A partir de là, il a très vite rencontré des réseaux d’activistes pro-réfugiés en Allemagne (association AEI: Afrique Europe Interact). Son récit, à paraître en français le 2 février 2017 aux Editions Libertalia sous le titre Réfugié, a été publié d’abord en allemand sous le titre Mein Weg von Kongo nach Europa (Mandelbaum Verlag en 2014).