Depuis l’été 2017, pour éviter les contrôles de police dans les Alpes-Maritimes, l’usage de la route mi-gratoire périlleuse à travers les cols enneigés des Alpes, depuis l’Italie, s’est amplifié. Les exilé·es tran-sitent en général quelques jours à Briançon avant de prendre un autocar ou un train pour poursuivre leur chemin ou trouver refuge en France et déposer leur demande d’asile. Par rapport à l’aide sous toutes ses formes et la répression policière, il y a eu dans le Briançonnais énormément de changements, rebondissements, transformations tout aux long de ces années. On peut décrire la situation et tout ce qu’on ressent aujourd’hui, mais demain, sûrement, ce sera d’autres gens, d’autres problématiques, peut-être même d’autres lieux qu’il faudra appréhender et connaître.
Fin 2021
Le 24 octobre 2021, le refuge associatif Les terrasses solidaires, qui offrait un gîte aux personnes en exil, confronté à des arrivées qui dépassaient sa capacité d’accueil, plafonnée à 60 personnes, fermait ses portes. La nuit avant sa fermeture, 230 personnes se trouvaient sur place et sont allées à la gare de Briançon, en attendant de poursuivre leur route. Face à cette situation, l’évêque de Gap a généreusement ouvert la paroisse Sainte-Catherine pour mettre provisoirement à l’abri les exilé·es et celle-ci s’est vite transformée en campement de fortune avec deux grandes tentes installées pour accueillir près de 100 personnes. Un réseau d’hébergeurs/euses solidaires a aussi été mis en place et la mobilisation citoyenne a grandi.
La semaine du 8 novembre 2021, après une chute de neige, les températures descendent à -10 degrés. Toujours en attente de solutions pérennes, les associations et citoyens solidaires multiplient les actions et interpellations pour avoir une réponse des pouvoirs publics, face à cette crise humanitaire: lettre à la préfète et interpellation lors d’une réunion à Guillestre, interpellation du cabinet Wargon*, tentative de mise à l’abri des exilé·es dans un ancien centre de vaccination, banderoles, lancement d’un réseau d’hébergeurs/hébergeuses solidaires, tracts distribués dans les marchés, etc. Samedi 13 novembre, Médecins Sans Frontières (MSF) installe une tente gonflable d’une centaine de mètres carrés dans le jardin de l’église Sainte-Catherine de Briançon. Un équipement, chauffé au gasoil, que MSF réserve en général aux crises humanitaires à l’étranger.
Mardi 16 novembre, l’association Tous migrant·es saisit le tribunal administratif de Marseille selon la procédure urgente du référé-liberté, dans le but de contraindre les pouvoirs publics à mettre en œuvre un accueil et un hébergement d’urgence des personnes migrantes arrivées sur le territoire. En outre, il n’existe aucun dispositif spécial de protection pour les femmes seules. C’est la première fois que l’État est attaqué en justice à Briançon. Le jugement, tombé le mardi 30 novembre, rejette la requête. Le tribunal administratif suit ainsi la logique préfectorale, celle d’un État qui renie ses responsabilités, qui se défausse de son devoir de mise à l’abri et en fait reposer tout le poids sur des citoyen·es et des associations. Le tribunal refuse d’enjoindre l’État d’aider les personnes exilées dont les droits sont bafoués.
La préfète des Hautes-Alpes dénonce l’action des associations comme responsable d’un fumeux appel d’air. Selon Martine Clavel, «l’accroissement de l’offre d’hébergement des Terrasses solidaires est bien identifié des réseaux de passeurs». La préfète oppose une fin de non-recevoir à la demande des associations pour l’ouverture d’un lieu d’accueil, géré par les autorités, qui serait en capacité de compléter l’action des Terrasses les jours où la capacité d’accueil de ce lieu serait atteinte: «les contrôles renforcés dans le Briançonnais nous permettent a ce stade une gestion maîtrisée des flux et aucun dispositif d’accueil ne sera initié par nos soins».
Maraudes et refuge
Briançon est à quelques kilomètres de la frontière franco-italienne et des hommes, femmes et enfants arrivent épuisé·es et transi·es de froid chaque nuit. Le seul accueil prévu par l’État français est celui de la police, qui refoule sans permettre la demande d’asile à la frontière, pourtant prévue par la loi. En ce moment, les conditions climatiques sont rudes, et ce n’est que le début de l’hiver. Les température vont jusqu’à -10 et il y a de la neige. Nous sommes ici sur un territoire de montagnes, inhospitalier et dangereux. C’est pour cela que les maraudes continuent, afin de permettre aux personnes en exil de ne pas se perdre, tomber, se blesser ou tout simplement pour les habiller correctement.
On rencontre beaucoup de familles, souvent entre 10 à 20 adultes et enfants en bas âge. Iels viennent d’Afghanistan, d’Irak… les hommes seuls sont généralement des nord africains. Le nombre de passage par jour est très aléatoire, mais peut facilement atteindre 40 personnes. Quand iels peuvent enfin trouver refuge après, parfois, plus de dix heures de marche, iels ont la possibili-té de manger, se changer et se réchauffer sur Briançon. En effet, les Terrasses ayant rouvert depuis début décembre avec une capacité de 60 lits, tout est mis en place pour la mise à l’abri de ces personnes. Ce sont des dortoirs avec des lits de camps et des bénévoles solidaires sont toujours présent·es pour la préparation des repas, l’installation des lits, la réception des vêtements et matériels de première nécessité.
Cette prise en charge demande énormément de gestion, c’est pourquoi il y a aussi des salarié·es du refuge qui ont pour mission de coordonner. Justement, cette coordination se fait également avec le campement à l’église Sainte-Catherine, où la tente de MSF existe toujours, au cas où la jauge du refuge serait dépassée, d’où la nécessité de la présence de gardes de nuits, salarié·es, aux Terrasses et à l’église. Il n’y a par ailleurs que deux toilettes sur place, aucune douche et un accès limité à l’eau potable.
Heureusement, la solidarité et tous les appels à l’aide sur la situation briançonnaise portent leurs fruits. Il y a un renouvellement permanent des bénévoles, ce qui est salutaire. En effet, les acteurs et actrices de cette solidarité sont très vite fatigué·es voire en burn out, surtout les ai-dant·es habitant la région qui sont confronté·e à toutes les difficultés dues à la répression et aux conditions climatiques. Les différents groupes, associations, bénévoles doivent se coordonner en fonction de situations, toujours plus complexes et changeantes.
La crise sanitaire demande encore un peu plus de gestion, car tous les exilé·es qui prennent le train doivent pouvoir faire un test covid avant de continuer leur route, et cela est pris en charge par Médecins du monde. Bien sûr, ce n’est pas tout… En effet, cette population que les associa-tions et bénévoles accueillent et aident, ne parle pas notre langue, donc la communication est souvent limitée. De plus iels ne restent pas longtemps dans le briançonnais, ce qui implique l’éternel recommencement des explications, conseils, etc… Avec en plus tout le «travail» annexe que cela demande: gestion du fioul, du bois de chauffage, des arrivages d’habits à dispatcher, des bénévoles à accueillir qui ne restent en moyenne que 2 semaines… Sans oublier la gestion des médias, des communiqués de presse, les requêtes, les éventuelles arrestations à suivre, les diffé-rentes réunion d’organisation (par exemple: le procès des 7 de Briançon, l’organisation de la journée de la migration, la saisie du tribunal administratif pour la requête, les conférences, les projections, l’accueil et le suivi des parlementaires qui viennent à la frontière).
La répression
A Montgenèvre, les maraudeurs et maraudeuses, venu·es de toute la France, font toujours l’objet de contrôles d’identités, de poursuites en voiture ou à pied et parfois d’arrestations de la part de la gendarmerie, avec des effectifs toujours plus important afin de «protéger» cette fron-tière. Médecins du monde, qui est d’une grande aide, assure certaines gardes de nuits avec les maraudeurs et maraudeuses. Évidemment, il y a aussi une véritable traque de la police envers les exilé·es. Iels sont renvoyé·es à la PAF, police aux frontières, puis en Italie. La seule réponse de l’État à ce jour: un ren-forcement massif de la militarisation à la frontière, rendant la traversée dans les montagnes extrêmement dangereuse (courses poursuites en terrain montagneux, emprunt de chemins non tracés et toujours plus hauts dans la montagne). Un exemple parmi tant d’autre d’une des conséquences tragiques de cette situation, la séparation de deux femmes enceintes, transférées à l’hôpital de Briançon, alors que leurs enfants et conjoints, ont été refoulé·es en Italie au même moment. Il est inhumain et illusoire de penser résoudre la question de l’exil par la militarisation de la frontière alors que ces familles fuient la guerre, la faim, la violence et les persécutions.
La répression policière illustre la volonté de déstabiliser toutes les personnes qui agissent sur place, donc il est important de faire reconnaître le droit à l’aide, sans passage de frontière et sans association de malfaiteur. Quand, en période de confinement, les maraudeurs et maraudeuses de-vaient montrer patte blanche pour pouvoir se déplacer vers Montgenèvre, c’est-à-dire avec une autorisation de sortie venant de l’association Tous migrant·es dont iels étaient membres, la police, en les arrêtant, savait bien évidement qu’iels étaient là pour les maraudes. Il est donc toléré qu’une aide se fasse dans les montagnes auprès des exilé·es, mais alors pourquoi tant de pression envers cette solidarité? Sûrement pour qu’à travers les maraudeurs et maraudeuses, iels retrouvent les exilé·es… Les solidaires sont régulièrement accusé·es de mettre en danger les gens dans la montagne, alors que s’iels ont peur, c’est bien de la police, d’où les énormes détours pris en haute montagne, dans la neige, pour échapper aux refoulements. Et étant donné qu’il n’y a jamais de passage de frontière, l’aide ne peut et ne doit pas être remise en question.
Évidemment, toute forme d’organisation avec l’Italie est interdite (même pour apporter des vê-tements), cela pourrait s’apparenter à de l’association de malfaiteurs! De l’autre coté de la frontière, à Clavière ou à Oulx, la situation est telle que les exilé·es ne peuvent presque plus se préparer à affronter cette longue route ou se reposer car les maintes tentatives d’avoir un lieu adapté sont réprimées. Nous savons pourtant qu’à part les éventuelles morts, il y a 100 % de réussite au passage de la frontière car, aujourd’hui ou demain, les exilé·es refoulé·es reviendront et retente-ront la traversée. A quoi bon les mettre en danger par une présence policière disproportionnée? Ou encore pourquoi s’obstiner à penser que ce pays, la France, ne peut pas être ouvert à tous et toutes, pour s’y installer ou juste pour passer.
Le Collectif Refuges Solidaires, Tous Migrant·es, Médecins du monde, les Terrasses Solidaires, Les solidaires de Briançon, le Secours Catholique, Caritas France, les bénévoles, réitèrent sans cesse leurs demandes auprès des pouvoirs publics pour:
- un véritable espace de dialogue et de concertation avec les associations, citoyens, citoyennes et personnes concernées;
- la mise en place d’un système d’accueil d’urgence digne, en complément du refuge solidaire au sens de l’art 345-2-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles;
- l’accès à des tests COVID-19 afin d’assurer une mission de santé publique et la continuité des parcours;
- un accès facilité aux moyens de transports. Nos montagnes ne deviendront pas des cimetières.
Noëlle Damaj, membre FCE - France
- Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, chargée du logement.
Contacts Associations signataires: communication(chez)tousmigrants.org Presse: presse.solidaires.briancon(chez)gmail.com ou Sam 07 58 65 05 56 MSF: Julie Damond julie.damond(chez)paris.msf.org ou 06 81 27 74 71 (weekend), Assia Shihab: assia.shihab(chez)paris.msf.org ou 06 83 31 55 39 (lundi au vendredi)