MIGRATIONS: Réfugié,une odyssée africaine

de Paul Braun, Membre du FCE France, 6 août 2017, publié à Archipel 261

Du 17 au 24 mai 2017, le Forum Civique Européen a organisé une tournée de présentation dans le sud de la France avec Emmanuel Mbolela autour de son livre paru au mois de février de cette année (Réfugié, une odyssée africaine, éd. Libertalia, 264 pages, 10€). Nous avons organisé des réunions publiques dans les villes d’Embrun, Grenoble, Lyon, Die, Sillans-la-Cascade, Arles et Aix-en-Provence.

En plus des soirées publiques, nous avons fait des présentations dans une école primaire et plusieurs collèges. La rencontre avec les élèves fut très riche et permit de donner aux enfants une information à laquelle il·elle·s n’ont habituellement pas accès et qui fait contrepoint aux mensonges et stéréotypes racistes largement diffusés par la presse, autant en ce qui concerne la situation dans les pays d’origines, les raisons de l’exil que sur la situation quotidienne des réfugié·e·s en Afrique et en Europe.
Les élèves, mais aussi les adultes ont été très marqué·e·s par la manière très personnelle qu’a Emmanuel Mbolela de raconter: son engagement politique au Congo va le contraindre à prendre le chemin de l’exil, un voyage de six ans à travers l’Afrique, racket des douaniers, embuscade dans le désert du Sahara, travail au noir à Tamanrasset pour financer la suite du voyage et enfin la nasse marocaine, où il est resté bloqué pendant quatre ans.
Dans les discussions qui suivaient les présentations, Emmanuel ne s’est pas contenté de décrire la situation humanitaire catastrophique que vivent les migrant·e·s au cours de ce périple, il insiste notamment sur la situation des femmes, doublement victimes parce que servant systématiquement de monnaie d’échange auprès des douaniers, policiers et bandes armées et ayant en plus la charge de traverser le désert et la Méditerranée avec des enfants souvent issus de viols.
Emmanuel Mbolela rappelle souvent dans les débats que tout cela est aussi la conséquence d’un système économique mondial néo-colonial ainsi que de la politique migratoire européenne qui externalise la surveillance de ses frontières vers le Maroc, l’Algérie et la Lybie, exigeant aujourd’hui aussi une fermeture des frontières entre les pays de l’Afrique noire. Pour continuer à piller le sous-sol africain et en même temps traiter les migrant·e·s comme un problème de flux ou de surnuméraire qu’il faudrait régler administrativement ou de manière militaire, les grandes puissances économiques sont prêtes à tout.
La France par exemple a entamé les derniers mois un nombre croissant de procédures d’expulsion envers des demandeur·se·s d’asile en provenance du Soudan, ne tenant pas compte de la situation de guerre qui sévit dans plusieurs régions de ce pays, notamment le Darfour. Comme d’autres, la France négocie actuellement avec le général Omar El Bechir qui est le seul chef d’Etat en exercice poursuivi par le Tribunal Pénal International (TPI) pour des accusations de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
La France viole ainsi les dispositions des conventions internationales interdisant le renvoi d’un·e demandeur·se d’asile dans son pays d’origine, si cela doit mettre sa vie en danger.
Avec des grévistes de la faim soudanais
Lors de notre tournée de lecture avec Emmanuel Mbolela, nous avons rencontré un grand nombre de personnes qui n’acceptent pas cette politique migratoire inhumaine et qui s’organisent pour aider l’accueil de ceux et celles qui sont jeté·e·s sur les routes. La revendication est la libre circulation pour tout le monde; pourquoi serait-ce un privilège des riches blanc·he·s de pouvoir voyager partout et à tout moment, et pourquoi devrions-nous accepter que nos gouvernements puissent nous dicter qui on a le droit d’accueillir ou non chez nous?
Une des soirées au cours de notre tournée était organisée par un comité d’accueil des migrant·e·s à Embrun, petite ville des Hautes-Alpes. Il se trouvait qu’au moment de notre passage, un groupe d’une bonne vingtaine de migrant·e·s, placé·e·s dans un centre d’accueil de cette ville, était en grève de la faim depuis plus d’une semaine pour protester contre l’expulsion de deux d’entre eux vers la Norvège sous le règlement européen Dublin III. Cet accord prévoit le renvoi des migrant·e·s vers le premier pays d’Europe où il·elle·s ont été enregistré·e·s. La prise des empreintes digitales dans les pays européens à cet effet se fait de plus en plus avec usage de la force.
Amnesty International, par exemple, affirme dans un rapport* que des policiers italiens ont eu recours à des pratiques «assimilables à de la torture» pour obtenir les empreintes digitales de migrant·e·s. Les migrant·e·s en grève de la faim à Embrun revendiquaient donc de ne pas être renvoyé·e·s vers le premier pays européen où ils avaient été enregistré·e·s, mais de pouvoir déposer une demande d’asile en France, conformément au principe selon lequel une personne persécutée peut demander l’asile dans le pays de son choix.
La rencontre entre les grévistes de la faim et Emmanuel était touchante et enrichissante. L’expérience d’Emmanuel de la mise en place d’une auto-organisation des migrant·e·s subsaharien·ne·s au Maroc, dans un contexte politique et économique très dur, ne pouvait qu’encourager ces migrant·e·s. Leur lutte continue, pour rendre publique et refuser cette politique d’enfermement et d’isolement mise en place par l’Etat qui cherche à limiter le contact et la communication entre personnes illégalisées et soutiens solidaires.
Maisons d’hébergement pour migrantes à Rabat
Ces tournées de présentation avec Emmanuel Mbolela autour de son livre ne servent pas uniquement à donner un autre regard sur les causes et la réalité de la migration mais aussi à soutenir politiquement et financièrement les projets d’aide aux migrant·e·s à Rabat, notamment les maisons d’hébergement pour migrantes. Sous l’impulsion d’Emmanuel et avec l’aide du réseau Afrique Europe Interact, une première maison d’hébergement pour migrantes, qui subissent très souvent des violences durant leur voyage, était ouverte à Rabat en février 2015. Depuis, il y a trois appartements avec une capacité d’accueil de plus de trente femmes, en partie avec enfants, avec logement temporaire et une aide alimentaire et médicale. Cela permet à ces femmes de sortir de la rue et d’échapper à des réseaux d’exploitation ainsi que de se rétablir physiquement après un périple éprouvant à travers le désert. Ces centres, nommés «Baobab», permettent également aux femmes subsahariennes de tisser des liens au Maroc, d’accéder à des informations et d’échanger sur les expériences en vue de la poursuite de leur voyage ou de leur séjour au Maroc. Mais malheureusement, le grand nombre de demandes oblige à limiter la durée d’hébergement à deux ou trois mois. Aujourd’hui, la priorité serait de trouver une perspective à plus long terme, mais la militarisation des frontières européennes ainsi que le soutien aux divers régimes autoritaires ne laissent que peu de marge de manœuvre.
Dans ce contexte, l’association des migrant·e·s subsaharien·ne·s à Rabat aimerait mettre en place un centre social et culturel pour répondre à plusieurs besoins. Il s’agirait de créer un lieu de rencontres et d’échanges pour les migrant·e·s subsaharien·ne·s mais aussi pour la population marocaine locale qui vit dans une situation très précaire. Des cours de langues et d’alphabétisation pourraient être proposés aux migrant·e·s, tout comme aux autochtones.
Actuellement déjà, une priorité est donnée à la scolarisation des enfants migrant·e·s mais il manque une infrastructure pour bibliothèque et soutien scolaire pour que le séjour, bien souvent plus long que prévu au Maroc,ne soit pas perdu pour les jeunes enfants. Pour lutter contre l’isolement et le racisme dont sont victimes les migrant·e·s subsaharien·ne·s, il faudrait créer un lieu ouvert à tou·te·s dans le quartier où se trouvent déjà les maisons d’hébergement pour femmes, lieu où on pourrait faire la cuisine et pourquoi pas un jour ouvrir un restaurant subsaharien, ce qui n’existe pas encore à Rabat. La situation est très compliquée et les gens qui luttent sur place n’ont que très peu de moyens. C’est pour cela aussi qu’Emmanuel poursuit ses tournées de sensibilisation dans différents pays européens. Il sera en Suisse pour une série de soirées publiques du 18 au 26 octobre 2017.

http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/11/03/migrants-amnesty-denonce-des-cas-de-torture-par-des-policiers-italiens_5024447_3214.html