Du 6 au 8 octobre 2017 s’est tenue à Leipzig la conférence «Autonomie et solidarité! Conférence sur la migration, le développement et la crise écologique» qui avait pour but de créer des liens entre les activistes des mouvements climatiques locaux et les initiatives autonomes africaines. Le réseau «Afrique-Europe-Interact» (AEI) était l’un des organisateurs de la rencontre qui a rassemblé quelque 700 participant·es.
Nombre de réfugié·es d’Afrique étaient là pour représenter les initiatives auto-organisées du continent, alors que d’Allemagne, ce sont surtout les cercles intellectuels du mouvement pour le climat qui étaient présents. Après la conférence, nous avons eu un entretien avec Diory Traoré du Mali, venue pour la première fois en Europe.
C’est essentiellement autour des questions suivantes que Diory Traoré mène son combat: que pouvons-nous dire à celles et ceux qui n’ont pas fui? Comment expliquer aux jeunes pourquoi ils devraient rester ici, sans devenir complices de la politique européenne de dissuasion? Avons-nous le droit de leur dire qu’ils devraient rester?
Diory est engagée dans une association qui défend les droits des migrant·es au Mali. Cette association a vu le jour en 2009, lorsque beaucoup de Maliens ont obtenu une carte de séjour en France, mais que, lorsqu’ils ont voulu l’utiliser pour rendre visite à leur famille au Mali, le retour en France leur a été refusé.
L’association est composée de nombreuses femmes dont les maris et/ou les fils ont pris le chemin de la migration. Ces femmes s’attachent à sensibiliser celles et ceux qui veulent émigrer. Chaque samedi, elles animent une émission de radio d’une heure (notons qu’au Mali, les émissions radio sont payantes). Cette émission est avant tout un moyen d’informer les femmes restées au pays sur le sort de leur mari et de leurs fils. Nombreuses sont celles qui survivent en cultivant des légumes sur des lopins de terre abandonnés et en gagnant un peu d’argent grâce à la vente de gravier et de sable qu’elles lavent dans les rivières. L’association les aide du mieux qu’elle peut.
La région frontalière avec le Sénégal est traditionnellement une région de migration. Depuis toujours, nous raconte Diory Traore, quand les gens ont besoin de quelque chose, ils vont le chercher et reviennent avec. Cette tradition est très répandue en Afrique et a toujours fonctionné dans les deux sens – les gens partaient et revenaient. Mais aujourd’hui, celles et ceux qui partent ne reviennent jamais.
Les raisons de partir
Pour Diory, nombreuses sont les raisons pour lesquelles les jeunes ne voient aucune perspective en Afrique. Même après les études, ils ne trouvent pas de travail; seul·es celles et ceux qui entrent dans la fonction publique peuvent prétendre à une certaine sécurité de l’emploi.
Les gouvernements africains veulent imiter la politique agricole européenne, bien que celle-ci soit responsable de l’exode rural. Le changement climatique a des conséquences dévastatrices sur l’agriculture – comme par exemple les saisons pluvieuses et sèches jusque-là régulières qui sont aujourd’hui imprévisibles.
Les fonds de développement européens n’arrivent jamais jusqu’aux personnes concernées. Les fonds destinés à combattre les causes de la migration servent en réalité à la mise en place de structures frontalières de contrôles de la migration et à la création de camps dans lesquels les migrant·es sont détenu·es. Les richesses minières sont pillées par des entreprises étrangères – un pillage accompagné couramment de guerre, de peur et d’insécurité. Déclarée région de conflit, le Kidal, dans le nord du Mali, est occupé et contrôlé par l’armée française et la mission Minusma de l’ONU, sous tutelle allemande. Même l’armée malienne n’y a pas accès. Les ressources minières sont ainsi exploitées, sans le moindre contrôle de l’Etat malien.
Rester ou partir?
Dans cette situation, nombre de jeunes gens se posent la question de «rester ou partir»? Et ce ne sont pas les récits sur les dangers du voyage qui arrêteront celles et ceux qui décident de partir. On n’arrêtera pas cette migration en délocalisant les frontières extérieures de l’Europe dans les pays africains ou en Libye. D’autant plus que des contrôles frontaliers entre les pays africains vont être mis en place sous la pression de l’UE détruisant ainsi la migration traditionnelle au sein de l’Afrique, alternative à la migration vers l’Europe.
C’est pourquoi de nombreux Africains présents à la conférence ont exprimé une opinion peu commune: que le mieux, pour l’Afrique, serait que l’Europe reprenne tout ce qu’elle y a apporté et laisse les Africain·es en paix. Ils ne veulent plus de l’aide européenne. De plus, l’Afrique doit persister dans son refus de payer sa soi-disant dette et apprendre à tirer parti de ses ressources naturelles pour un développement du continent dans son ensemble. Cette position a manifestement pris plus d’un·e participant·e à rebrousse-poil!
Téléphone d’urgence et manifestations
Dans l’immédiat, il est urgent pour Diory Traore d’empêcher de nouvelles morts sur la route vers l’Europe. Son association diffuse un numéro de téléphone1, où les migrant·es peuvent demander de l’aide en cas d’urgence. Jusqu’à présent, le réseau fonctionnait essentiellement pour le sauvetage en Méditerranée mais il commence désormais à construire une infrastructure pour que les migrant·es en détresse dans le désert puissent également en profiter. Jusqu’à présent, la seule organisation qui portait secours aux migrant·es dans le désert, «l’Organisation Internationale pour la Migration» se contente de les reconduire dans leur pays d’origine, sans leur laisser le moindre choix. C’est pourquoi un réseau indépendant est indispensable.
L’association de Diory Traore, conjointement avec 14 autres associations maliennes, a manifesté contre l’expulsion des migrant·es depuis l’Europe. Lorsque l’Allemagne a par exemple voulu expulser 400 malien·nes pour faire de la place aux réfugié·es arrivant de Syrie, elles ont manifesté avec plusieurs milliers de personnes devant l’ambassade allemande à Bamako. Parallèlement plusieurs centaines de personnes manifestaient devant le ministère des Affaires Etrangères à Berlin. Finalement, seuls deux Maliens ont été expulsés et l’ambassade du Mali en Allemagne refuse de délivrer les documents officiels nécessaires aux expulsions.
De même, un grand nombre de manifestant·es étaient là pour accueillir Madame Merkel à Bamako, mais aucun média allemand n’a relayé cette information. C’est pourquoi l’association de Diory Traore cherche des partenaires dans les médias européens, qui pourraient diffuser ses informations.
La prochaine conférence se tiendra en Afrique, car il est beaucoup plus facile pour un Européen de s’y rendre, que l’inverse. En effet, Diory a dû aller jusqu’à Dakar au Sénégal, pour obtenir un visa à l’ambassade de Suisse, grâce auquel elle a pu voyager jusqu’à Leipzig. A l’ambassade allemande à Bamako, les demandeur·es doivent payer pour chaque demande de visa, qu’ils l’obtiennent ou non. Diory conclut notre entretien sur cette phrase: «La migration illégale n’existe pas, chacun a le droit de voyager où bon lui semble.»
Complément d’information
En marge de la conférence, deux intervenants ont été pris à partie par la police. Les conférenciers camerounais, vivant en Allemagne, étaient logés chez des amis. Ils ont été tirés du lit par plusieurs policiers manifestement appelés par un voisin. Après avoir ouvert la porte, l’un des hommes a été violemment attaqué par une prise au bras pendant que le policier criait «papiers, papiers» alors que le conférencier réagissait calmement et était prêt au dialogue. L’un des hommes a été menotté. C’est seulement après que les organisateurs de la conférence ont parlé avec la police que les deux hommes ont été relâchés.
- Voir Archipel No 233, janvier 2015 «Le numéro d’alerte pour Boat people, premier bilan» et No 246, mars 2016, «Ebranler la forteresse Europe».