AGRICULTURE / JUSTICE : Ce n'est pas une victoire, c'est la honte!

de CODETRAS, 16 nov. 2020, publié à Archipel 297

A propos d’une décision de justice frileuse qui ne satisfait ni les salarié·es plaignant·es, ni leurs soutiens, un communiqué du Collectif de défense des travailleur·euses étranger·es dans l’agriculture (Codetras).

A l’annonce du délibéré de leur procès aux Prud’hommes d’Arles, le 22 septembre dernier, l’incompréhension des salarié·es détaché·es plaignant·es était grande et leurs propos, forts et teintés d’amertume. La semaine suivante, après lecture complète du jugement, c’est la colère qui l’a emporté, alors que de son côté, la presse évoquait une victoire en demi-teinte. Il faut dire qu’après tant d’années passées à rassembler les éléments de preuve, à construire des ar-gumentaires juridiques et à attendre que justice leur soit rendue «au pays des Droits humains», tout en essayant de se reconstruire sur le plan personnel, cette décision sonne presque comme un désaveu et envoie un signal fort aux exploitant·es agricoles et autres agences d’intérim étrangères: «Allez-y, continuez comme ça!». Le Codetras, qui accompagne ces salarié·es dans leur combat juridique face à l’agence d’intérim La-boral Terra et les entreprises françaises utilisatrices, se joint à elleux pour dénoncer un jugement aberrant et souligne la gravité de telles décisions en termes juridiques. Les dédommagements financi-ers (par ailleurs dérisoires au vu du préjudice subi) ne suffisent pas à garantir le respect des droits et à rétablir la dignité des travailleur·euses étrangère·es détaché·es. Les juges avaient la possibilité et l’obligation morale de trancher. En ne le faisant pas, illes ont manqué leur rendez-vous avec la jus-tice!

La fraude au détachement

Le jugement du conseil des prud’hommes d’Arles a condamné l’entreprise de travail temporaire (ETT) Laboral Terra pour manquement à ses obligations légales et conventionnelles, en matière de respect du salaire minimum, de paie-ment des heures supplémentaires, des congés payés, de retenues frauduleuses sur salaires et de privation de visite médicale avant l’embauche. Le jugement reconnaît aussi la responsabilité solidaire des entreprises utilisatrices qui sont sub-stituées à l’ETT pour le paiement des sommes restant dues aux salarié·es détaché·es et aux organ-ismes de sécurité sociale, sachant que l’entreprise espagnole s’est déclarée en faillite au milieu de l’année 2019.

En revanche, l’audience de départage n’a pas retenu les principaux griefs ayant déclenché l’enquête de police menée à l’encontre du prestataire en 2018 et 2019, pour «travail dissimulé», «marchandage» et «aide au séjour irrégulier en bande organisée». Le jugement refuse ainsi de reconnaître la matérialité des infractions constitutives du travail illégal, tels que le marchandage, le prêt illicite de main-d’œuvre et les fausses déclarations d’embauche en Espagne. Face aux preuves de résidence habituelle et continue en France depuis 2012, les juges auraient dû considérer que le contrat de travail présentait «des liens plus étroits avec un autre pays», que les salarié·es étaient embauché·es en France, que la loi du pays d’accueil était applicable et qu’il y avait fraude au détachement.

On est bien loin du principe d’égalité de traitement entre travailleur·euses détaché·es et travail-leur·euses locaux/ales, fer de lance de l’Union Européenne (UE) dans la transposition de la Directive européenne 2018/957 du 28 juin 2018 concernant le statut des salarié·es détaché·es. Il est à craindre qu’une telle application lacunaire des textes européens transposés en droit interne mine l’effet utile et dissuasif de la réglementation de l’UE en matière de protection des salarié·es dé-taché·es. De même, l’article 6 de la convention de Rome stipule que le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver les travailleur·euses de la protection que leur as-surent les dispositions impératives de la loi qui leur seraient applicables.

Après des années de procédures, alors que l’on attendait un signal fort, le conseil des prud’hommes d’Arles a perdu l’occasion de statuer sur les dérives du travail détaché dans le monde agricole et a été beaucoup trop frileux dans son appréhension de l’ensemble du dossier, notamment en laissant de côté les faits de harcèlement, relatés à maintes reprises par les salarié·es. Trois des salarié·es ont décidé de faire appel de ce jugement. Le Codetras se tiendra à leurs côtés afin d’apporter toute la solidarité nécessaire à leur combat et continuera de lutter contre les discrimina-tions et l’exploitation de la main-d’œuvre étrangère dans l’agriculture.

Justice et dignité pour les travailleur·euses étranger·es. Les salarié·es détaché·es ne sont pas des pièces détachées.

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