Nouvelles du Forum: Bilan des activités du Forum Civique Européen 2000 - 2003

27 mai 2003, publié à Archipel 105

L’exploitation des migrants dans l’agriculture

Depuis sa création en 1989, suite à la chute du Mur de Berlin, le FCE s’est donné certaines priorités. Parmi celles-ci se trouvent, d’une part, tout ce qui concerne l’immigration, le droit d’asile et la liberté de mouvement et, d’autre part, l’évolution et l’avenir des zones rurales.

C’est pourquoi nous avons senti l’urgence, en février 2000, de réagir à l’une des pires flambées de violence raciste vécues en Europe depuis 1945: les émeutes brutales dont des milliers de Marocains travaillant dans les serres ont été les victimes à El Ejido en Andalousie. Voilà un événement révélateur des conséquences néfastes d’un modèle de production agricole hyper-intensive et de l’exploitation d’immigrés, pour la plupart clandestins.

En avril 2000, nous avons envoyé une délégation internationale afin d’enquêter sur les causes et les circonstances de ces émeutes1. Nous avons découvert une réalité peu connue et peu réjouissante de nos sociétés modernes. La production intensive de fruits et légumes, non seulement en Espagne mais partout en Europe, dépend de l’exploitation inhumaine d’immigrés, très souvent sans-papiers. Nous avons organisé deux rencontres sur cette face cachée de notre agriculture, à Paris en juin 2001 et à St-Martin de Crau dans les Bouches-du-Rhône en août 2001. Le résultat en est le livre, «Le goût amer de nos fruits et légumes»2.

Ces immigrés font partie d’une armée massive de travailleurs sans droits qui fait marcher une économie de l’ombre, sur laquelle de nombreux secteurs se reposent – bâtiment et travaux publics, hôtellerie et restauration, travail domestique, ateliers textiles.... La situation des ouvriers agricoles saisonniers est peut-être la moins connue. Ils travaillent dans des zones rurales, loin des communautés immigrées établies dans les villes et des associations de défense des droits des migrants.

Des membres du FCE ont été invités par plusieurs institutions et associations pour présenter ses travaux sur cette question, entre autres le Conseil de l’Europe, le Parlement Européen, le Bureau International du Travail, la Ligue autrichienne des Droits de l’Homme, la Fédération des Syndicats Néerlandais, le Festival International de Théâtre Action, le Festival Est-Ouest de Die...

Plus localement dans les Bouches-du-Rhône, le FCE participe depuis plus d’un an à un collectif3 qui dénonce les nombreux abus dont sont victimes les ouvriers marocains saisonniers venus dans cette région avec des contrats OMI. Le collectif, qui est probablement unique en Europe, a rédigé une «Charte» qui peut être commandée au FCE. Dans cette région le FCE a également organisé en mars 2002 deux soirées publiques avec Christian Jacquiau, auteur de «Les coulisses de la grande distribution» afin de mieux éclairer le rôle néfaste des supermarchés et des chaînes de distribution.

Afin de mieux connaître la situation en Allemagne et dans les pays d’Europe centrale, le FCE a organisé une rencontre en avril 2003 à la ferme d’Ulenkrug dans le Mecklembourg.

Sans-papiers et marché du travail

C’est bien sûr le rêve des ultra-libéraux d’avoir une main-d’œuvre aussi flexible, peu rémunérée et aussi docile que possible, privée de toute protection, que l’on peut recruter et licencier selon la conjoncture.

C’est une simple question d’offre et de demande. L’offre est gigantesque et le restera sans doute: des centaines de millions de gens à travers la planète subissent la misère ou la répression politique. La demande est telle que si un migrant arrive à traverser la Méditerranée ou de vastes distances en Asie et s’il accepte des conditions de travail détestables en Europe, il est sûr de trouver du travail presque tout de suite.

En fait, ces ouvriers «illégaux» n’ont de clandestin que le nom. Toutes les autorités et les administrations en sont parfaitement informées. La police intervient juste assez pour maintenir les gens dans la peur, mais certainement pas pour interrompre le fonctionnement de secteurs considérés comme rentables. Ce n’est que grâce à ces ouvriers que les consommateurs européens peuvent acheter des légumes ou des vêtements à des prix ridiculement bas.

Voilà le vrai contexte de la problématique des sans-papiers en Europe. Cependant ce n’est que très rarement que cet aspect est abordé dans les médias. Ces dernières années le FCE s’est engagé dans la lutte pour la régularisation des sans-papiers et le respect de leurs droits. En Suisse il a participé à la fondation d’un collectif dans la région de Bâle et en faisant partie de la coordination nationale. En mai 2002, le FCE a co-organisé, avec la coordination, une conférence internationale sur les sans-papiers à Berne qui a réuni des représentants d’une dizaine de pays.

Environ 20% de la population de la Suisse sont des étrangers et le pays dépend fortement de travailleurs extérieurs pour le développement de son économie. Aujourd’hui on y trouve entre 150.000 et 300.000 sans-papiers. La valeur du travail au noir est estimée à 35 milliards de CHF par an, soit 9% du PIB. Comme dans d’autres pays, les autorités contribuent à cette évolution en refusant la légalisation des sans-papiers et en acceptant la dégradation croissante des structures de travail.

Un autre aspect de cette problématique préoccupe le FCE, c’est la politique actuelle de nombreux gouvernements et institutions européens. Face au manque évident de travailleurs dans de nombreux secteurs économiques, plusieurs gouvernements reviennent sur l’objectif absolu de l’immigration zéro. Ils admettent la nécessité de l’arrivée de nouveaux immigrés pour les besoins du marché du travail. Pour cela on évoque la création de nouveaux statuts de travail temporaire ou saisonnier qui permettraient de faire venir des ouvriers sans qu’ils obtiennent par là les mêmes droits que les autres travailleurs, le droit à un séjour prolongé ou au regroupement familial.

C’est ainsi qu’on renforcera une hiérarchie malsaine qui favorise le racisme et fragilise le droit du travail et les acquis sociaux de tous les salariés. Le FCE a établi des liens avec des chercheurs et militants qui étudient cette question. L’agriculture joue un rôle important, car c’est souvent ce domaine qui sert de champ d’expérimentation pour la mise en place de statuts de travail au rabais.

L’élargissement de l’Union Européenne

En même temps, l’Union Européenne prépare l’élargissement vers des pays de l’Europe centrale dont les niveaux de vie sont nettement inférieurs à celui de l’Europe de l’Ouest. Les conséquences sociales seront énormes, par exemple en Pologne, où environ deux millions de petits paysans risquent fort d’être contraints de quitter leur terre. C’est pour mieux comprendre cette réalité qu’une délégation du FCE a récemment participé à une conférence à Cracovie sur l’avenir des populations rurales polonaises.

Cette évolution aura comme conséquence une plus forte émigration et donc la mise en concurrence chez nous pour les emplois subalternes des migrants traditionnels du Sud et des gens de l’Est, ce qui présente de grands avantages pour la classe patronale.

Nous avons déjà pu observer un tel phénomène ce printemps à Huelva, une région andalouse célèbre pour la production de fraises. Y sont employés chaque année, de mars à juin, 55.000 ouvriers saisonniers, dont 10.000 étrangers. Cette année, le gouvernement espagnol a autorisé un quota de 7.000 saisonniers immigrés, composé surtout de femmes polonaises et roumaines, malgré le fait que plusieurs milliers de Marocains avaient déjà reçu un permis de travail spécifiquement pour cette même récolte.

Vers un autre modèle de production agricole

L’exploitation des migrants n’est qu’un des nombreux aspects néfastes de l’agriculture industrielle, qui a aussi des conséquences écologiques, sanitaires et sociales désastreuses. Depuis sa création le FCE s’est intéressé aux modèles alternatifs de production agricole et de vie rurale.

C’est pourquoi le FCE a participé début février 2003 à un séminaire international organisé à Forcalquier par Païs-Alp, une association de producteurs fermiers dans les Alpes de Haute-Provence. Une centaine de personnes de quinze pays de l’Europe de l’Ouest et de l’Est ont échangé leurs expériences et discuté comment obtenir une meilleure reconnaissance au niveau européen pour cette forme de production qui a comme principaux critères la petite dimension des exploitations, la transparence, la vente directe et le respect d’un cahier des charges détaillé.

Des membres du FCE ont également participé à des rencontres et des activités organisées par l’Association Kokopelli qui cherche à préserver la biodiversité et favoriser la production autonome de semences. Un séminaire de formation aura lieu en juin 2003 à Limans, dans les Alpes de Haute-Provence.

La situation dans les pays d’émigration

Depuis la visite de la commission d’enquête à El Ejido en avril 2000, le FCE est entré en contact avec de nombreux immigrés marocains. Il s’est rendu compte que la situation au Maroc empire, poussant de plus en plus de jeunes, y compris des dizaines de milliers de diplômés chômeurs, à chercher une solution ailleurs. L’émigration devient une véritable obsession. Pour Lotfi Chengly, membre d’ATTAC Maroc et auteur d’un article dans «Le goût amer de nos fruits et légumes», «ce qu’il faut principalement, c’est construire des liens citoyens entre les deux rives». Ainsi le FCE a organisé en octobre 2002 un voyage au Maroc pour mieux connaître la réalité autant dans les villes que dans les zones rurales.

Ce voyage a été organisé avec l’aide de Tizi-Rando, une agence de tourisme social qui favorise des contacts directs avec la population dans les villages et contribue à un autre développement local.

Relations euro- méditerrannéennes

En octobre 2000 le FCE a aidé à organiser une Rencontre Euro-méditerrannéenne à Limans, parallèlement au sommet officiel tenu à Marseille: trois jours de discussions et réflexions passionnantes avec des amis algériens, tunisiens, marocains, italiens, espagnols...

D’autre part, le FCE a participé à plusieurs délégations envoyées en Tunisie afin de défendre des personnes qui subissent la répression brutale du régime de Ben Ali. Grâce à ces mobilisations, deux opposants ont été libérés de prison. Plus localement, nous avons lancé une campagne de solidarité avec Salah Karker, un opposant tunisien assigné à résidence depuis dix ans à Digne, sans qu’aucun fait ne lui soit reproché.

Depuis 1998 le FCE entretient des relations avec des amis en Calabre en Italie. En décembre 1997 le navire «Ararat» s’échouait sur la côte calabraise avec des centaines de réfugiés kurdes. Nous avons lancé une campagne de solidarité avec le village de Badolato qui avait accueilli un grand nombre de ces réfugiés.

En 2002 nous avons envoyé deux délégations au village voisin de Riace où un groupe de citadins tente de mettre en place une association pour l’accueil de réfugiés. Nous avons participé à diverses activités locales, comme la Fête du Genêt en mai et la récolte des olives en automne. En février 2003 des représentants du FCE sont partis à Riace pour quelques semaines afin d’aider au travail de l’accueil des réfugiés.

Coopération avec l’ex-Yougoslavie

Depuis 1991 le FCE s’est engagé fortement dans une série de campagnes de solidarité et de projets de coopération avec des partenaires en ex-Yougoslavie. Ces deux dernières années il reste surtout impliqué dans deux domaines.

D’abord, le FCE est toujours partenaire du réseau de journalistes indépendants AIM qui réunit des rédactions dans tous les pays de l’ex-Yougoslavie, ainsi qu’en Albanie et en Bulgarie. Il a été fondé en 1992 lors d’une conférence organisée par le FCE à Oujgorod (Ukraine). Ses activités principales sont la production d’articles de fond dans plusieurs langues locales qui sont offerts aux médias de la région, l’organisation de programmes de formation pour des jeunes stagiaires venant de provinces éloignées des capitales respectives, et la tenue de séminaires transfrontaliers.

Le FCE facilite les contacts entre les rédactions des différentes républiques en organisant des réunions régulières de coordination interne. Lors de ces réunions qui ont souvent lieu au bureau du FCE en Autriche, près de la frontière slovène, il intervient de «l’extérieur» pour tenter de résoudre les conflits. Il a également mis son réseau de contacts en Europe au service d’AIM pour mieux faire connaître son travail et pour chercher un soutien politique et financier.

2002 a été une année de profonde transformation pour AIM, à cause d’une sérieuse réduction des subventions disponibles pour ce type de projet. Il a été nécessaire de fermer le bureau de coordination à Paris et c’est désormais le FCE qui assumera à Limans le travail, bien plus modeste, d’administration et de relations publiques. Le réseau cessera sa production régulière d’articles de fond, mais réalisera tous les deux mois des dossiers thématiques transfrontaliers.

Début 2003 AIM a lancé un nouveau projet, «AIM Nouvelle Génération». Depuis 1995, plus de 400 jeunes ont participé à des cours de formation, en général de trois ou de six mois. Ils ont souvent exprimé la volonté de poursuivre un travail en commun après la fin du cours. Une rédaction interrégionale sera créée, constituée entièrement de jeunes journalistes sous la direction de Svetozar Sarkanjac, un collègue expérimenté basé à Osijek en Croatie. Ils créeront un nouveau site Internet qui sera connecté avec le site actuel d’AIM.

Toujours dans le domaine journalistique, en juillet 2002 le FCE a organisé un séminaire en Autriche, en coopération avec l’Association autrichienne des Radios Libres, sur les émissions multilingues radiophoniques avec la participation de personnes venant de dix pays, y compris l’Albanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Serbie et la Slovénie.

Le FCE a également poursuivi sa participation à Causes Communes Suisse, une organisation créée en 1992 à notre initiative, qui a établi des relations de partenariat et de coopération entre des municipalités en Suisse et dans différents pays d’ex-Yougoslavie.

Allemagne

Le dernier grand congrès d’été du FCE s’est tenu au Mecklembourg, après les bombardements de l’OTAN en Yougoslavie en 1999. Des représentants de groupes de militants pour la paix avec lesquels le FCE avait organisé différentes actions en Allemagne y ont participé. Dans les mois qui ont suivi, ils ont organisé des expositions de photos sur le bombardement de la petite ville de Vavarin en Serbie et ont accueilli un groupe de cette ville qui a porté plainte contre le gouvernement allemand pour obtenir des dédommagements. Avec des groupes de la région et au-delà, le FCE a également organisé des réunions, des expositions, des manifestations contre les guerres en Afghanistan et en Irak. Au printemps 2001, le FCE a pris part aux actions contre le «Residenzpflicht» (interdiction pour les réfugiés de quitter le Land où ils sont enregistrés) et à la grande manifestation du mois de juin à Berlin contre la guerre.

Archipel

Ce résumé est loin d’être exhaustif (entre autres, il n’évoque pas notre participation à des campagnes contre les menaces de guerre en Irak, aux rencontres de Porto Alegre, aux missions civiles en Palestine...). Des échos de toutes ces activités se trouvent chaque mois dans Archipel, le mensuel du FCE.

  1. Son rapport, «El Ejido, terre de non droit», publié chez Golias, est disponible au FCE (12 euros avec frais d’envoi)

  2. Disponsible au FCE – 13 euros avec frais d’envoi.

  3. Il est constitué de syndicats (CFDT, CGT, Confédération Paysanne), associations (Ligue des Droits de l’Homme, Cimade, Attac, MRAP, Espace Accueil Etrangers...)