ASILE: Autriche, épreuve de force

de Michael Genner, 25 juin 2016, publié à Archipel 249

En Autriche, le droit d’asile a déjà été tellement durci qu’il n’existe plus de fait pour la plupart des réfugiés. Dans le pays, l’ambiance est surchauffée comme jamais. Au premier tour de l’élection présidentielle, le candidat du parti libéral d’extrême droite FPÖ a obtenu 35% des voix, ceux du SPÖ (parti social-démocrate) et de l’ÖVP (parti conservateur bourgeois) à peine plus de 10%; le centre est en pleine désintégration.1

Au départ, on a assisté au démantèlement du système d’asile, mis en œuvre délibérément par le gouvernement l’été 2015. Bien que chaque consommateur et consommatrice de médias soit informé de la guerre en Syrie et de sa fin improbable, la ministre de l’Intérieur Johanna Mikl-Leitner n’a pris aucune disposition pour accueillir le flot prévisible de fugitifs.
Le camp de réfugiés de Traiskirchen était tellement surpeuplé que de nombreuses personnes dormaient dehors sous des arbres ou même dans la rue. Les toilettes étaient dans un état déplorable, la ministre n’a pas été capable de les faire nettoyer. Les conditions scandaleuses du camp ont été durement critiquées par Amnesty International. Suite à l’annonce de la ministre de l’Intérieur de ne plus traiter de nouvelles demandes d’asile, Asyl in Not (asile d’urgence) a organisé la première manifestation pour exiger sa démission.
La mort atroce par étouffement de 71 personnes dans un semi-remorque à Parndorf, que Mikl-Leitner a essayé d’utiliser dans une campagne contre les passeurs, a ouvert les yeux de beaucoup. De même que les images d’horreur du traitement brutal de la police d’Orban contre les migrant-e-s qui avaient réussi à arriver jusqu’en Hongrie. Des centaines d’Autrichien-ne-s sont parti-e-s en voiture en Hongrie pour leur faire passer la frontière autrichienne2.
Une solidarité efficace
La société civile, unie avec les migrant-e-s eux-mêmes, obtenait ainsi l’ouverture des frontières. L’Etat a momentanément démissionné; des centaines de bénévoles organisaient l’accueil et les soins dans les gares; les gens ont constaté que les actions sociales organisées en autogestion et sans l’Etat fonctionnaient beaucoup mieux: notre court septembre de l’anarchie…
Le 3 octobre 2015, 70.000 personnes manifestaient à Vienne pour l’ouverture des frontières et la chute de Mikl-Leitner. Pendant quelques semaines la droite est restée silencieuse. C’est nous qui décidions du discours. C’est alors que des contre-attaques ont surgi: les autorités d’asile ont détourné en piège l’ouverture des frontières visant en premier lieu celles et ceux qui passaient en premier, leur imposant des procédures individuelle de «dublinage»3. Mais cette tentative s’est heurtée à nos recours et à la juridiction: la Hongrie (qui refoule les réfugiés vers la Serbie) n’est désormais plus un Etat Dublin sûr.
Au début de l’année 2016, une campagne de diffamation massive est lancée, exploitant la terreur islamique et les événements de Cologne, ainsi que d’autres crimes semblables commis en Autriche; c’était admirable de voir comme les plus haineux envers les femmes se présentaient comme les protecteurs de «nos» femmes contre les «étrangers».
Si ces événements n’avaient pas eu lieu, on aurait trouvé un autre prétexte pour la riposte de la droite, qui a réussi au moment où de nombreux bénévoles (abandonnés par l’Etat) n’en pouvaient plus d’épuisement.
Mais la solidarité ne s’est pas laissé abattre. Des centaines de petites initiatives nées l’an dernier ont continué leur travail. Le 19 mars 2016, 10.000 personnes ont manifesté à Vienne pour une politique d’asile humaine et pour la démission de la ministre de l'Intérieur.
Le gouvernement a annoncé un durcissement massif des lois. En même temps le FPÖ organisait deux manifestations de haine contre des foyers de réfugiés dans les quartiers ouvriers de Liesing et Floridsdorf. Notre contre-manifestation simultanée était bien plus nombreuse. A Liesing 130 personnes du quartier se sont annoncées spontanément pour s’occuper bénévolement des réfugiés du foyer sur place.
Mikl-Leitner, démoralisée par notre endurance, a démissionné. Mais sa chute a été notre victoire. Sobotka, qui lui a succédé, ne vaut pas mieux. Mikl-Leitner n’était pas la première, et ne sera pas non plus la dernière. Une entaille de plus à mon stylo…
Entre-temps le durcissement de la loi a reçu la bénédiction du parlement. Il autorise le gouvernement à proclamer l’état d’urgence en cas de danger menaçant la sécurité, et ensuite par décret de refouler sans procédure des requérants d’asile à la frontière.
La législation du droit d’asile se fonde sur les accords de Dublin: les migrant-e-s doivent demander l’asile dans le premier pays de l’UE où ils arrivent. S’ils continuent leur voyage, ils/elles y sont renvoyé-e-s. Mais jusqu’à présent une procédure juridique était obligatoire, accompagnée d’un jugement contre lequel nous pouvions déposer un recours, et comme déjà mentionné, nos moyens juridiques réussissaient le plus souvent. Désormais la Grèce et la Hongrie ne sont plus considérées comme des Etats Dublin.
Durcissement de la législation
C’est précisément ce qui n’a pas plu aux autorités – d'où le changement de législation. Juridiquement parlant il nous ramène loin en arrière. En effet il coupe les réfugié-e-s de l’accès à leurs droits: quand ils/elles sont déjà là, bloqué-e-s au grillage frontière hérité de Mikl-Leitner, les pays de l’UE qu'ils ont traversé apparaissent clairement, et c’est là qu’on les renvoie immédiatement. Ils n’arrivent pas jusqu’à nous, les ONG, par conséquent il nous est difficile de déposer un recours. Un refoulement – à l’écart de la procédure légale et du public.
Malgré cela, j’en suis sûr, nous recevrons pour certains cas des procurations, pour pouvoir déposer des recours juridiques. Je suis convaincu que ces refoulements anticonstitutionnels pourront être contrés en dernière instance (comme lors du dernier durcissement) mais d’ici là des années vont passer et beaucoup de gens iront à leur perte.
Le nouveau ministre de l’Intérieur Sobotka a déclaré dans une interview que le ministre de la Justice hongrois lui a assuré que la Hongrie est absolument sûre; donc il peut y renvoyer tranquillement les migrants… Puisqu’il le dit! Nous avons des récits de réfugiés syriens qui en Hongrie étaient enfermés à vingt dans une cage, pendant 18 heures, sans rien à manger ni à boire, sans pouvoir aller aux toilettes. Un Etat Dublin très sûr!
Bientôt Sobotka nous racontera que le calife Al Baghdadi lui a dit que l’Etat Islamique est un pays sûr sans persécutions religieuses, et qu’on peut y renvoyer des migrant-e-s.
Un autre durcissement: «Asyl auf Zeit», l’asile limité à trois ans. En contradiction grave avec la convention de Genève, qui reconnaît le droit à l’asile pour quelques exceptions, en cas de changements durables dans le pays d’origine, et qui prévoit en règle générale la nationalisation accélérée des réfugié-e-s reconnus comme tel-le-s. Le regroupement familial sera rendu plus compliqué.
Depuis la fermeture de la route des Balkans à l’instigation de l’Autriche, d’innombrables migrant-e-s sont bloqués à Idomeni dans des conditions inhumaines. Que soient remerciés les nombreux/ses bénévoles d’Autriche et d’ailleurs engagés sur le terrain depuis des mois. Beaucoup d’autres devront se rabattre sur les routes maritimes toujours plus dangereuses; donc il faut s’attendre à de nouveaux naufrages avec des milliers de morts.
Le durcissement de la loi a été rendu possible par le Chancelier précédent Wener Faymann, qui a changé sa politique de manière perfide, comme une girouette, dès lors qu’il ne suffisait plus de déplacer les migrant-e-s vers l’Allemagne et que beaucoup sont restés en Autriche.
Lors de la manifestation du 1er mai place de l’hôtel de ville, Faymann a été sifflé et hué par de nombreux membres de son parti (le SPÖ) en colère; quelques jours plus tard il démissionnait. Ainsi nous avons vu la chute presque simultanée de deux de nos adversaires; la preuve qu’il vaut la peine de manifester.
Le successeur de Faymann, Christian Kern, jusqu’ici chef des chemins de fer autrichiens (ÖBB), avait à l’automne 2015 organisé le transport de dizaines de milliers de réfugiés vers l’Allemagne, et de ce fait détenait un capital de confiance. Nous verrons plus tard.
Au premier tour de l’élection, le FPÖ a obtenu 35%. Si Hofer était élu président il pourrait dissoudre le gouvernement et organiser de nouvelles élections, dont les résultats pourraient porter Strache à la Chancellerie. Le pas suivant pourrait être l’état d’urgence, non seulement contre les réfugiés mais contre tout le monde, comme en 1933.
Michael Genner*

* Président de Asyl in Not et porte-parole de la plateforme pour une politique d’asile humaine:<www.asyl-in-not.org>

  1. Cet article a été écrit avant le second tour, entre-temps, Van der Bellen a été élu avec 50,3% des voix à la présidence. C’est la victoire de nombreuses petites initiatives de base, qui ont mené des semaines durant un dur travail et se sont battues pour gagner les voix des indécis. C’est la victoire d’un mouvement antifasciste, au-dessus des camps et des partis. Mais le danger n’est pas écarté. 49,7% ont voté pour le candidat d’extrême droite. Il n’y en a jamais eu autant. D’autres confrontations dures nous attendent.
  2. Pour l’action «convoi de réfugiés – véhicules de substitution», voir «En route avec les réfugiés», Archipel No241, oct. 2015.
  3. Les accords de Dublin prévoient que les réfugiés doivent déposer une demande d’asile dans le premier pays de l’UE où ils sont arrivés, sans tenir compte des conditions parfois terribles qui les y attendent.