Expulsion et manifestation

de Marta Cavalini, 1 mai 2019, publié à Archipel 281

Turin fait la grève, depuis le 7 février 2019, pour la révolution sociale: «Arrêtez votre guerre contre les pauvres, la ville doit être agencée à taille humaine pour répondre aux besoins de toutes et de tous!». Depuis l’expulsion du Centre Social occupé et autogéré «ASILO», tous les jours sont organisées des rencontres sur la place publique, depuis les cuisines populaires, en passant par le théâtre jusqu’aux discussions et nouvelles occupations.

Cet ex-jardin d’enfants, occupé depuis 1995, a abrité de nombreuses luttes sociales, et surtout, ces dernières années, contre la gentrification de la ville et en solidarité avec les luttes des migrant·es. Dans la maison, il y avait une bibliothèque, une cuisine solidaire, un gymnase, des salles pour le théâtre, les concerts et les discussions, un atelier, une gratuiterie ainsi qu’une radio libre turinoise. Le prétexte pour l’expulsion de ce lieu a été sa lutte subversive contre le C.P.R.1 et celle-ci a été menée dans le cadre de l’«Opération Scintilla» («Opération radio»). Le lieu a été évacué et rendu inhabitable, six personnes ont été arrêtées pour «formation d’une association subversive (ex. Art.270), incitation à commettre un crime ainsi que pour possession, confection et transport d’explosifs sur un lieu public». Pour réaliser cette évacuation, qui a duré plus de 36 heures, ont été mobilisées de nombreuses brigades de répression: la police, les carabiniers, la brigade financière, les pompiers, la police municipale, le ROS2 et la DIGOS3. L’exécution a été coordonnée par la mairesse de Turin, Chiara Appendino du mouvement Cinq étoiles, le directeur de la police de Turin Francesco Messina et par le chef de la DIGOS Carlo Ambra, sous la direction du ministre de l’Intérieur Matteo Salvini. Avec ses nouvelles lois, le gouvernement actuel a déclaré la guerre aux pauvres, aux étranger·es et aux anarchistes. Les opérations répressives dénommées «Panico» à Florence, «Renata» à Trente et «Scripta Manent» dans toute l’Italie ont précédé l’évacuation de Turin. Malgré la répression, la participation aux actions de protestation est étonnamment élevée. Beaucoup de nouvelles têtes sont venues soutenir les squatters de Turin, en dénonçant et en combattant la guerre violente et continue faite aux pauvres. Dans une ville où la requalification urbaine, la spéculation et la relocalisation démographique forcée sont devenues monnaie courante, on ne peut plus masquer les inconvénients du «développement»: un grand projet d’hébergement de personnes réfugiées a été expulsé, quelques maisons abandonnées ont été bradées à la chaîne de cafés «Lavazza» et l’ancien marché aux puces «Balon» est en passe de devoir déménager en dehors de la ville. Parallèlement à cela, la ville organise une «Biennale de la démocratie» où seront proposées pour résoudre les problèmes planétaires des solutions institutionnalisées et des demi-mesures. Et dans ces conditions, de nombreux et de nombreuses citoyen·nes se lèvent pour que leur voix qui crie «NON» puisse porter plus loin. Pendant et juste après l’expulsion, des manifestations ont été organisées avec une grande participation durant lesquelles des débordements violents se sont produits. Elles ont attiré sur elles aussi bien l’attention que la répression. Mais malgré la militarisation et l’état d’exception décrété dans le contexte de l’évacuation de l’«Asilo», la résistance a augmenté dans le quartier ouvrier «Aurora». Ainsi un appel pour une marche de protestation internationale a été lancé pour le 30 mars.

Bloquer la ville!

Le but de ce rassemblement était de bloquer la ville pour un jour. La préparation de cet événement a coûté beaucoup d’énergie aux activistes de la ville. Une ancienne école (via Tollegno 83, dans le quartier «Barriera de Milano») occupée une semaine auparavant a servi de lieu de réunion et d’organisation. Petit à petit affluèrent d’un côté les militant·es et de l’autre les forces de l’ordre. L’ambiance était tendue: les policiers casqués-bottés et la DIGOS observaient chaque assemblée d’organisation; le jeudi, une Critical-Mass (manifestation à vélo) a été violemment chargée par la police. Une marche dans le quartier Aurora avait été annoncée pour le vendredi. La manifestation démarre à 18h30 du local de la radio libre «Blackout» pour s’étirer dans le quartier, ponctuée de prises de paroles et de slogans sonores. La police bloque les rues menant à l’Asilo et dévie le trajet du cortège. Mais la marche que quelques habitants du quartier avaient rejointe reste pacifique. Les organisateur·trices espéraient pour le samedi une ambiance identique: pas de confrontation directe avec la police, bloquer les rues en mode sitting et si possible entrer en contact avec les habitant·es. Le samedi, cinq groupes solidaires ont décidé spontanément de démarrer la marche de protestation de différents points de la ville. C’était le groupe des étudiant·es, le groupes des travailleur·ses, le groupe international, le groupe de la ville. Quelques-un·es avaient commencé la manifestation, dans le parc, avec un pique-nique et du théâtre, d’autres s’étaient rendus au marché aux puces «Balon» pour manifester leur solidarité avec les forain·es menacé·es. Le point de convergence pour tout·es les participant·es était la place Carlo Felice, le rendez-vous à 15h. Lorsque le cortège de deux mille personnes s’est mis en branle, il manquait le groupe qui devait venir de l’école occupée: quelque 200 activistes avaient été bloqués, juste après 13h, par la police et la DIGOS dans une rue adjacente et ce pendant six heures. L’appareil répressif était surdimensionné: 2000 policiers, plusieurs hélicoptères et lances à eau. Trois quartiers (Aurora, Barriera di Milano et San Salvario) ont été militarisés et tous les ponts du fleuve Dora bloqués. Plusieurs lignes de tramways étaient hors service, certains bars et restaurants avaient fermé et même dans certains quartiers les containers à ordures avaient été préventivement éloignés. L’idée initiale de se déplacer librement et rapidement pour bloquer la ville n’a pas pu se réaliser. C’est seulement vers le soir que le groupe des 200 a pu rebrousser chemin vers l’école occupée. Il a fallu qu’auparavant ils laissent tous les accessoires de la manifestation en tas dans la rue. Puis les problèmes rencontrés pendant la journée ont pu être atténués par une grande fête.

Avenir

Les jours suivants, nous avons beaucoup discuté de ce rassemblement et avons tiré des leçons des erreurs commises. Le groupe de travailleurs·euses et celui de la ville, nés de la mobilisation, vont continuer à s’organiser ensemble pour se renforcer mutuellement dans leurs luttes. L’objectif est de restituer aux habitant·es de Turin leur espace vital. De nouveaux espaces propices à l’épanouissement humain. A contrario, les lieux fermés mènent forcément au vandalisme, à la destruction et au déclin. Par la mobilisation, de nouveaux moyens de libération de la ville ont été expérimentés qui parlent à une frange plus large de la population. Nous vous invitons toutes et tous à venir à Turin pour nous soutenir. La bataille pour une vie meilleure continue!

Marta Cavalini Turin, 2 avril 2019

  1. Centre d’hébergement en vue des refoulements, ex-CIE, Centres d’identification et d’expulsion
  2. Raggruppamento Operativo Speciale (ROS), une unité de police des carabiniers italiens. Elle est responsable des enquêtes dans le domaine de la criminalité organisée.
  3. Divisione Investigazioni Generali e Operazioni Speciali (DIGOS), la «division pour les enquêtes générales et pour les opérations exceptionnelles» est une branche organisationnelle de la police d’Etat spécialisée dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme.

Sources et liens

Radio Blackout Turin, radioblackout.org

it.squat.net/tag/asilo-occupato

www.autistici.org/macerie

barrikade.info/Turin-Solidarität-mit-den-Betroffenen-der-Operazione-Scintilla-1883