ENVIRONNEMENT - ROUMANIE: Une nouvelle culture de contestation

de Jochen Cotaru FCE - Roumanie, 19 févr. 2014, publié à Archipel 222

Depuis début septembre, on manifeste en Roumanie. Contre une loi d’exception qui devrait autoriser le gouvernement socio-libéral à donner le coup d’envoi au projet d’exploitation de la mine d’or de Rosia Montana. Mais le thème du gaz de schiste prend aussi une actualité de plus en plus pressante. Les villages de Mosna en Transylvanie et de Pungesti en Moldavie roumaine sont devenus les fers de lance de la nouvelle culture de contestation dans le pays. Pendant les manifestations, on peut entendre «Rosia, Mosna si Pungesti – trois raisons ai sa iesi!» Trois villages et trois raisons de descendre dans la rue.

La loi d’exception n’a pas été adoptée par le parlement. Non pas parce qu’à Bucarest, on se serait rendu compte de son inconstitutionnalité, mais parce que la contestation était trop massive. Le député Ponta voulait voter contre le projet qu’il avait signé comme premier ministre. En outre, tous les points de litige ont été ficelés dans une nouvelle mouture du droit minier: les entreprises privées possédant des droits d’exploitation seraient autorisées à exproprier. Si le vote n’a pas réussi la première fois, c’est seulement à cause de l’inattention des sénateurs (ils se sont trompés…) et du nombre insuffisant de députés au parlement. Le combat pour faire entrer Rosia Montana au patrimoine culturel mondial de l’humanité continue.

Au début de l’été, l’entreprise Prospectuini S.A. de l’homme d’affaires contesté Ovidiu Tender a entrepris des prospections pour le gaz de schiste au sud de la Transylvanie. Ses ouvriers ont posé des câbles au travers de leurs champs sans l’accord des paysans – une violation évidente du droit. Les plaintes n’ayant pas été retenues, ils ont commencé à déposer les premiers câbles. Fin juillet, les ouvriers de l’entreprise de prospection avaient installé un réseau dense au-dessus de plusieurs villages pour les mesures du sous-sol en trois dimensions. Des véhicules spécialement équipés provoquaient des tremblements de terre artificiels, des puits étaient creusés pour faire exploser de la dynamite.

Un collectif a alors décidé de lancer une pétition. L’entreprise se bornait à dire: «Nous ne cherchons pas du gaz de schiste mais des ressources naturelles». Selon un ingénieur, les forages atteignaient 3000 m de profondeur. Un indice de plus pour les habitants qu’il s’agissait bien de gaz de schiste. Puisqu’ils n’étaient toujours pas pris au sérieux, des actions de démontage de câbles ont été entreprises. Aidés par les paysans concernés, les activistes les ont enlevés des champs où ils étaient stockés illégalement.

De telles actions seraient nécessaires dans la commune moldave de Pungesti. L’énorme multinationale énergétique Chevron a choisi ce petit village reculé pour ses premiers sondages de gaz de schiste. Le maire de la commune avait réussi à se faire transférer la parcelle concernée qui faisait partie des communaux. Mais la population locale s’est élevée contre ce projet. La méthode du «fracking» (fracturation hydraulique), qui utilise du gaz et des produits chimiques dangereux menace les nappes phréatiques, ainsi que les exploitations locales, considérées comme «pauvres» en terme occidental, mais relativement autosuffisantes. Les habitant-e-s sont exclus de la plus-value exorbitante engendrée par l’économie et la politique. L’un d’eux commente: «On dit que nous sommes bêtes. Mais quoi? Nos caves sont remplies de miel, de noix, de légumes et de viande. Avant qu’on nous détruise tout ça, nous préférons rester bêtes!»

Début décembre, des centaines de personnes ont envahi le chantier et démoli la clôture. La construction de la sonde n’en est pas stoppée pour autant et naturellement, il y a des débats pour savoir si de telles actions sont justifiées. Peut-être aborderont-ils aussi la question de la légalité ou de la légitimité du permis d’exploiter accordé à Chevron ou des interventions de police. La commune a été déclarée «zone de sécurité exceptionnelle», les arrestations arbitraires se multiplient, des clients du magasin du village sont tabassés sans raison par les forces de l’ordre… A l’époque des réseaux sociaux et d’une grande mobilité, les informations circulent, même si les médias roumains ne couvrent que très peu ces événements.

«La mamaliga n’explose pas», dit-on toujours à propos de la Roumanie, en référence à son plat national. L’année écoulée montre clairement le contraire. Rosia, Mosna et Pungesti sont la preuve évidente d’une nouvelle évolution.