SUISSE: Loi sur l’asile: quelle alternative à l’impasse actuelle?

de Yves Brutsch*, 14 août 2011, publié à Archipel 195

Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la première loi sur l’asile, en 1981, le Département Fédéral de Justice et Police (DFJP) est en mains socialistes. Bien que lassés par les révisions incessantes de ce fleuron de notre «tradition humanitaire», les milieux de l’asile attendaient donc avec intérêt les propositions de Madame Sommaruga1. Et bien c’est raté. Son projet ressemble comme deux gouttes d’eau aux solutions prônées il y a plus de vingt ans par Peter Arbenz, nommé en 1985 «Délégué du conseil fédéral pour les réfugiés» en vue de sauver la Suisse de «l’invasion», et qui a échoué piteusement en 1990 avec un arrêté urgent prônant l’accélération de la procédure d’asile, mais impuissant à la réaliser.

Madame Sommaruga tente de faire illusion en assurant que la nouvelle accélération qu’elle propose sera accompagnée d’une aide juridique accordée aux requérants. Mais sa conviction sur ce plan est bien fragile. Son rapport propose pour l’immédiat une «option 3» qui consisterait à appliquer les recettes de celle qui l’a précédée au DFJP (diminution du délai de recours, pas d’asile pour les déserteurs, suppression des demandes aux ambassades, etc.), tout en supprimant le petit pas positif dont Madame Widmer-Schlumpf avait agrémenté le message du 26 mai 2010: un «conseil juridique» aux contours encore mal définis.
C’est une très mauvaise plaisanterie. Les réfugiés risquent leur peau en cas d’erreur judiciaire (on se soucie rarement, il est vrai, de vérifier ce qui leur arrive après un renvoi) et la moindre des choses, aujourd’hui, serait d’instaurer enfin, comme dans tous les domaines du droit, une véritable assistance juridique pour faire face à tous les durcissements déjà introduits dans la loi sur l’asile (pas de féries judiciaires2, pas d’accès au dossier avant la fin de la procédure, multiplication des non entrées en matières, etc.).
De surcroît, Madame Sommaruga pense avoir trouvé l’oeuf de Colomb en prônant une centralisation à outrance des procédures dans des centres fédéraux (entourés de barbelés et éloignés des centres urbains, si possible), dont l’objectif serait de liquider 80% des demandes en quelques mois. C’est ce que Peter Arbenz avait tenté avec la «procédure 88». Une aberration qui s’est terminée par des grèves de la faim et des occupations d’églises (Interlaken, Neuchâtel) et qui n’a pas empêché les demandes d’asile de grimper de 9.703 en 1985 à plus de 40.000 en 1990 et 1991. Notons en passant que Madame Sommaruga nous ressert le discours sur l’afflux alors qu’elle doit faire face à un nombre de demandes très inférieur...
A l’époque, Peter Arbenz avait obtenu quelque 150 postes supplémentaires pour pouvoir maîtriser la situation. Mais la centralisation, qui est dévoreuse en ressources humaines dès lors que la Confédération veut assurer elle-même tous les problèmes d’hébergement, avait absorbé la totalité de ces renforts, et les sections de procédure chargées de l’examen des demandes avaient dû se débrouiller avec les mêmes effectifs malgré l’accroissement du nombre des demandes. On connaît la suite. Le conseiller fédéral démocrate-chrétien Arnold Koller avait même réussi à se faire acclamer par l’Action nationale3, en 1993, pour sa proposition de détention en vue du renvoi.
Sera-t-il un jour possible de sortir de l’angélisme, qui fait croire à nos politiques que le durcissement et la répression apportent des solutions, alors que toutes les mesures prises pour «exécuter» les renvois n’ont pas réussi à résoudre ce problème? Il y faudrait un changement de paradigme (un vrai) qui n’est hélas pas au goût du jour, contrairement à certains commentaires complaisants.
D’abord expliquer à l’opinion publique que l’asile est une très belle mission, qui consiste à éviter le pire aux victimes de la violence qui sévit dans tant de pays. «Faux réfugiés» dit-on? Et pourquoi donc la moitié de ceux qui s’adressent à nous finissent-ils par obtenir l’asile ou l’admission «provisoire», malgré la ligne extrêmement restrictive qui prévaut? On a menti hélas depuis vingt ans en expliquant partout qu’il y avait 90% d’abus...
L’accueil est un fardeau? Bien sûr puisqu’on interdit aux requérants de travailler (tout en continuant de faire venir des clandestins pour les nombreux jobs que nous ne voulons plus assumer) et que l’on a poussé les demandeurs d’asile à la délinquance en les marginalisant. Inversons cela, et vous verrez que peu à peu, ces personnes, qui sont des êtres humains comme nous, s’intégreront sans problème. Les Tamouls, trafiquants d’héroïne au milieu des années 80, ne sont-ils pas devenus les chouchous du domaine de l’hôtellerie et de la restauration?
Quant aux procédures, l’essentiel a déjà été dit plus haut. En rétablissant les règles de la procédure ordinaire et en accordant enfin une assistance juridique à des requérants incapables de se défendre par eux-mêmes, les choses se décanteront par elles-mêmes, et les défenseurs des réfugiés n’auront plus besoin de multiplier les recours (souvent couronnés de succès) pour éviter le pire à leurs protégés. Quant à l’exécution des renvois, on sait depuis longtemps qu’elle dépend plus des pays d’origine que des déboutés eux-mêmes.
Accélérer la procédure dans l’équité est parfaitement possible. Il suffit par exemple d’accorder l’asile dans la semaine aux réfugiés libyens et syriens qui se présentent, et dont le cas est beaucoup plus grave que celui des Tchécoslovaques de 1968, qui ne fuyaient ni massacres, ni viols collectifs, ni tortures. Mais il y a une question préalable: veut-on vraiment, aujourd’hui encore, pratiquer le droit d'asile?

* ancien porte-parole pour l’asile des centres sociaux protestants (1985-2010).

  1. Membre du Parti socialiste, conseillère fédérale et responsable du DFJP depuis septembre 2010.
  2. Périodes durant lesquelles les procédures judiciaires et les délais qui y sont attachés ne courent pas. Selon la matière ou l’autorité judiciaire concernées, elles peuvent être fixées par le droit cantonal ou par le droit fédéral.
  3. Parti d’extrême droite de l’époque qui est devenu plus tard le parti «Démocrates suisses».