SUISSE: L’OSCE, promoteur de paix ou de guerre?

de Claude Braun, Hannes Reiser,FCE Suisse, 30 mars 2015, publié à Archipel 235

Pendant la conférence ministérielle de l’Organisation pour la Sécurité et la Co-opération en Europe qui a rassemblé 1200 délégués de 57 pays à Bâle les 4 et 5 décembre derniers, le centre-ville a été transformé en forteresse: 5000 soldats mobilisés, la circulation aérienne limitée et le «Messeplatz», où les rencontres se tenaient, rendu inaccessible à la population. Différentes organisations avaient appelé à manifester contre cet événement, dont le collectif «Droit de rester» de Bâle qui avait demandé au FCE de cosigner un appel critiquant la collaboration de l’OSCE avec l’agence Frontex. Nous ne souhaitions pas signer cet appel et avons eu une discussion ouverte après la conférence. Nous avons expliqué notre point de vue (voir encadré) et proposé au collectif «Droit de rester» d’exprimer son avis, c’est l’article ci-dessous.L’OSCE participe de façon significative à la construction de la forteresse Europe. Elle ne soutient pas la paix mais s’engage pour le maintien des structures de pouvoir et d’exploitation responsables de milliers de morts parmi les migrant-e-s qui fuient vers l’Europe chaque année.

Militarisation des frontières Le rôle de l’OSCE dans la sécurisation des frontières est significatif. La protection des frontières étatiques en Europe de l’Est, dans la zone méditerranéenne et en Asie centrale est hautement militarisée et se rapproche des normes occidentales. Les gardes-frontières sont formés dans les écoles des personnels de gestion des frontières de l’OSCE. Ils y apprennent aussi bien les tendances actuelles et les prévisions en termes de développement de la migration que les normes de «régulation de la migration irrégulière et de la traite des êtres humains». De plus, ils sont formés aux technologies informatiques de l’UE qui permettent, entre autres, d’identifier les passeports biométriques falsifiés, technologies qui devraient aider à intercepter les «mouvements migratoires illégaux» vers l’Espace Schengen.
Européanisation de la politique migratoire L’engagement de l’OSCE va plus loin que l’accroissement de la militarisation des frontières nationales.
Son objectif est l’européanisation de la politique migratoire: les normes migratoires de l’UE – respectivement de l’Espace Schengen-Dublin – devraient être harmonisées et étendues aux autres Etats, comme le décrit Lamberto Zannier, secrétaire général de l’OSCE dans «Une nouvelle priorité: gestion et sécurité des frontières»1. Le régime des frontières de l’Espace Schengen-Dublin ne peut pas résoudre les causes de tous les problèmes des frontières. On ne peut pas s’attendre à ce que la solution vienne des «pays d’origine» d’où proviennent «les marchandises illégales et les migrants». Il faut plutôt une collaboration entre les Etats et les institutions internationales. Le Secrétaire général montre bien dans son texte que sous l’euphémisme «gestion des frontières», l’OSCE donne la priorité aux intérêts des Etats d’Europe de l’Ouest.
Lutte contre la «migration illégale» L’organisation et la sécurité des frontières devraient être améliorées de manière à, d’une part, réduire les «menaces des activités transfrontalières illégales», et de l’autre de faciliter «la circulation et le commerce transfrontaliers légal». Derrière le concept de «gestion des frontières» se cachent surtout les intérêts économiques des Etats d’Europe de l’Ouest. En plus du terrorisme et de la traite des êtres humains, l’OSCE mentionne la «migration illégale» comme menace pour la sécurité européenne. Pour lutter contre cette «menace», l’OSCE applique les normes migratoires de l’Espace Schengen-Dublin aux Etats d’Europe de l’Est, de l’Asie centrale et de l’Afrique du Nord. Il existe dans ce but des coopérations avec l’Algérie, l’Egypte, Israël, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie. Avec cette extériorisation des frontières de l’Europe de l’Ouest, les migrant-e-s sont illégalisé-e-s avant même d’arriver en Europe occidentale et sont ainsi soumis à la répression de la police des frontières, au régime des camps et aux expulsions. Les Etats de l’Espace Schengen-Dublin font la différence entre les migrant-e-s utiles à leur économie et qui peuvent donc entrer et les autres auxquels on empêche l’accès par voie légale à l’Europe de l’Ouest. L’OSCE est un outil pour appliquer ces normes et empêcher l’apparition d’une «migration illégale».
Politique migratoire répressive Les droits humains et la sécurité sont des éléments centraux de la gestion des frontières de l’OSCE: le terme «migration» a été redéfini à l’aide des concepts de criminalité organisée et de terrorisme. Par exemple dans le discours anti-trafic, on focalise d’un côté sur les passeurs et de l’autre sur leurs victimes, les migrant-e-s.
Dans son texte cité plus haut, Lamberto Zannier justifie le nouveau rôle du contrôle des frontières sous prétexte de terrorisme, suite aux attaques du 11 septembre 2001. L’OSCE se sert des mêmes discours que Frontex2 pour justifier ses activités. Ce n’est pas un hasard si l’OSCE fait partie du Forum consultatif de Frontex. Sur son site internet, l’OSCE est citée comme partenaire. L’OSCE, et d’autres organisations qui constituent le Forum consultatif, légitiment la politique de répression de Frontex et servent ainsi de paravent à la politique migratoire répressive de l’Europe de l’Ouest. En effet, aux frontières extérieures de l’Europe, Frontex repousse les migrant-e-s «indésirables», avant tout par la militarisation des frontières, l’utilisation des technologies de surveillance et des mesures de dissuasion. L’OSCE justifie son engagement auprès de Frontex et d’autres agences de protection des frontières au nom du respect des droits humains et du maintien de la paix par la prétendue lutte contre le terrorisme et le trafic d’êtres humains. Elle stigmatise les migrant-e-s comme victimes et gagne ainsi le soutien des ONG.
Soutien du statu quo La gestion des frontières de l’OSCE soutient principalement la politique sécuritaire et économique des puissances impériales mondiales et du capital financier global. Or nombre des personnes amenées à migrer vers l’Europe de l’Ouest y sont justement poussées par les conditions d’exploitation que ceux-ci imposent: libéralisation des marchés et délocalisation de pans entiers de l’industrie occidentale vers les ex-pays coloniaux à bas salaires, associés à l’expropriation de millions de petits paysan-ne-s et à la destruction des marchés locaux et des structures sociales. Le statu quo et la fermeture de l’Europe tuent chaque année des milliers de personnes. L’OSCE défend un régime migratoire européen xénophobe et étend celui-ci en dehors des frontières de l’UE. Nous résistons contre cet état de fait!
Collectif Droit de rester-Bâle

Source:
Site de l’OSCE <http://oscebmsc.org/en/news-29>

  1. «Ein neuer Schwerpunkt: Grenzmanagement und Grenzsicherheit» < http://ifsh.de/file-CORE/documents/jahrbuch/03/Zannier.pdf>
  2. L’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne.

La position du FCE-Suisse La CSCE (Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe, comme elle s’appelait au début), a été fondée en 1973 alors que la guerre froide battait son plein. Avec les accords d’Helsinki, les pays signataires s’engageaient pour le respect et le maintien des frontières nationales, pour la recherche de solutions pacifiques en cas de conflits, pour une politique de non-intervention dans les affaires intérieures d’autres pays ainsi que pour le respect des droits humains et des libertés fondamentales. L’initiative pour la création de la CSCE venait de l’Union Soviétique qui voulait opposer une politique de coopération mutuelle dans la course aux armements.
Jusqu’à aujourd’hui, l’OSCE est une des rares organisations internationales qui agit comme médiatrice dans de nombreux conflits dans le monde. Elle joue, par exemple, un rôle dans la guerre qui frappe l’Ukraine de l’Est. C’est une des rares organisations capables de rassembler autour d’une table les Etats et organisations belligérants et elle mériterait plus de soutien de la communauté internationale pour ce travail. Au regard de ce travail primordial, la critique de leur collaboration avec Frontex nous semble secondaire. Nous restons toutefois attentifs et critiques.
Bien évidemment, cette nuance faite, nous critiquons la politique de dissuasion que l’Europe pratique envers les migrants des pays du Sud. Cette politique cynique et inhumaine est la cause de la mort de milliers d’être humains chaque année en Méditerranée. Les responsables doivent être traduits en justice devant une cour internationale de justice. Dans ce sens, nous soutenons l’appel lancé par plusieurs organisations suisses le 6 janvier dernier qui demande que la Suisse accueille 100.000 réfugié-e-s de Syrie.