SUISSE: Frontex et violations des droits fondamentaux

de Sophie Malka, Vivre Ensemble, 15 mai 2022, publié à Archipel 315

Communiqué du comité genevois NO FRONTEX

Le Conseil fédéral devra rendre des comptes! Le comité référendaire genevois No Frontex a pris note avec déception du résultat du vote d’aujourd’hui. Mais il n’est pas surpris. En faisant croire à la population que la votation portait sur une acceptation ou un refus de l’Europe de Schengen, le Conseil fédéral a réussi à faire peur à une majorité de nos concitoyen·nes, y compris chez des personnes soucieuses du respect des droits fondamentaux et qui n’ont glissé qu’un «oui» dit «pragmatique» ou «de raison» dans l’urne. Mais le débat n’est pas clos.

Le Conseil fédéral a pris un engagement dans cette campagne en affirmant que le «Oui» permettra d’améliorer «de l’intérieur» le respect des droits fondamentaux par l’agence européenne du corps des garde-côtes et garde-frontières. Ce faisant, il reconnaît la coresponsabilité de la Suisse dans les pratiques de Frontex: la mort de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants aux frontières extérieures de l’Europe, les refoulements illégaux de personnes à protéger, l’absence de contrôle véritablement indépendant du respect des droits humains et l’opacité de la plus grosse agence de l’Union européenne ont été mis en lumière.

Tel est le mérite de la campagne référendaire lancée par un petit collectif de personnes migrantes et de citoyen·nes solidaires et engagé·es: avoir fait des agissements de Frontex un débat de politique suisse. Les actes commis aux frontières extérieures de Europe le sont aussi au nom de la Suisse et les autorités fédérales devront désormais rendre des comptes. L’attention ne faiblira pas. L’opposition démocratique non plus.

Frontex, complice de violences et de morts

Les révélations de ces dernières semaines ont souligné ce que l’on sait depuis longtemps: Frontex ne sauve pas, mais est complice de la violence aux frontières extérieures de l’Europe. Frontex ne dispose pas de navires de sauvetage en mer Méditerranée, mais observe depuis les airs com-ment les gens se noient. Dans d’autres cas, les bateaux qui coulent sont signalés aux soi-disant garde-côtes libyens, qui ramènent de force les personnes en fuite en Libye. La structure Frontex ne renforce pas les droits humains, mais considère les personnes migrantes comme un danger et mène une guerre violente à leur encontre. Différentes recherches dans les médias prouvent que Frontex est impliquée dans des pushbacks et les dissimule sciemment. Les plaintes juridiques contre Frontex se multiplient, le Parlement européen a voté contre la décharge du budget de Frontex. Le 29 avril, le chef de Frontex, Fabrice Leggeri, a démissionné. Les partisan·es de Frontex continuent de prétendre que l’agence peut être améliorée. C’est faux: les violations systématiques des droits humains continueront en raison de sa mission de fermeture des frontières européennes.

Cloisonner les frontières pour renforcer les réseaux criminels

Or, la migration est un fait, pas une menace. Les gens continueront à quitter leur pays et à chercher refuge et sé-curité en Europe. En cloisonnant les frontières, en érigeant des murs, les autorités européennes – et la Suisse, membre de Frontex depuis 2011 – font le jeu d’États autoritaires, renforcent les réseaux criminels de passeurs, alimentent l’industrie de l’armement. Au lieu de protéger des hommes, femmes et enfants, elles les rendent plus vulnérables. Combien de femmes et d’hommes ont été abusé·es sexuellement, voire victimes de traite d’êtres humains durant leur parcours, de par l’absence de voie légale sûre d’accès à une protection internationale?

Cette politique sape les valeurs de démocratie et de respect des droits humains que revendiquent l’Europe et la Suisse. Au lieu de dépenser des millions à faire la guerre aux personnes en exil, l’Europe ferait mieux d’investir dans le sauvetage et une politique d’accueil digne.

Le référendum No Frontex: indispensable pour dénoncer les violences

Le comité genevois du référendum contre Frontex tient ici à saluer les activistes et les organisa-tions de base qui se sont formé·es autour du Migrant Solidarity Network. Ceux-ci ont lancé seuls le référendum et l’ont porté jusqu’au bout. Beaucoup des militant·es concerné·es n’ont même pas le droit de vote. Iels ont montré qu’iels ont leur place dans ce pays et que leur voix doit être écoutée.

Le comité genevois regrette aussi le refus des grandes organisations nationales telles que l’Organisation suisse d’aide aux réfugié·es et Amnesty suisse de soutenir le référendum. En laissant la liberté de vote, iels ont légitimé les voix des partisan·nes du oui. Alors qu’un non le 15 mai aurait permis de reprendre les débats au Parlement suisse et de renforcer les voix progressistes européennes qui se battent à Bruxelles contre la politique actuelle de fermeture des frontières. Le comité genevois, composé de tous les partis de gauche, des syndicats, de la plupart des organisations de défense des droits des personnes migrantes, est fier d’avoir pu soutenir et participer à cette campagne, qui ne s’arrêtera pas le 15 mai!

Pour le comité référendaire genevois NO FRONTEX: Sophie Malka, Florio Togni, Aude Martenot et Tobia Schnebli, 15.05.2022

Encadré: Extension de Frontex acceptée en votation populaire

Le 15 mai, les citoyen·nes suisses ont voté sur l’extension de la participation suisse à l’agence européenne Frontex. La participation de 40% était très faible et une majorité écrasante de 71.5% s’est prononcée en faveur de la complicité avec la militarisation continue de la politique de la forteresse Europe. Vous voyez en haut le communiqué de presse du comité référendaire genevois.

Malgré le résultat, la campagne a été un succès puisqu’elle a réussi à faire connaître à un large public l’existence de Frontex et son fonctionnement catastrophique. Le résultat ne peut par ailleurs pas du tout être considéré comme un chèque en blanc pour Frontex. Jusqu’au sein des milieux bourgeois, y compris du Conseil fédéral, il a fallu admettre que l’agence présentait des lacunes considérables en termes de mécanismes de contrôle, de transparence et surtout de respect des droits humains.

Claude Braun, FCE - Suisse