SEMENCES: Les gardiens de semences d’Amérique Latine

de Julie C. et Luna S.d.C. Membres du FCE, 4 mars 2017, publié à Archipel 256

«Pour défendre le maïs dans son intégrité, l’unique option est d’appuyer sa réimplatation dans son propre écosystème, dans son développement et dans la dynamique qu’il a engen-
drée et qui a maintenu sa diversité pendant des siècles. Aucun de ces processus n’est possible sans la permanence des peu-ples indigènes et des paysans qui l’ont mis en marche.» Red de semillas libres de Colombia (réseau des semences libres de Colombie)

Venus des quatre coins du Mexique, du Guatemala, du Costa Rica, de Colombie, d’Argentine, du Brésil, des États-Unis, du Chili et de ses communautés Mapuches et du Pérou, les gardiens de semences se sont retrouvés du 26 novembre au 1er décembre à Xochimilco, dans la ville de Mexico. Nous y étions invitées pour présenter le DVD «Semences buissonnières», qui sera bientôt disponible en espagnol et en portugais, et nous en profitons pour vous raconter cette rencontre. Il y a 1000 ans, avant d’être une ville de 25 millions d’habitants, Mexico n’était qu’un grand lac entouré de montagnes à 2000m d’altitude. Les premiers indigènes se sont installés sur les rives du lac et ont construit des îlots à partir des sédiments du fond du lac pour y cultiver leurs aliments. Ces îlots sont séparés par d’étroits canaux qui les irriguent en continu. Aujourd’hui, il ne reste qu’une toute petite partie de ce lac, Xochimilco. Ces îlots, d’une incroyable richesse historique, culturelle et agricole, s’appellent les chinampas, ce qui signifie en nahuatl: la haie. Aujourd’hui inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco, ils sont en voie de disparition car laissés à l’abandon. Ils s’érodent peu à peu par les canaux, d’autres sont laissés à l’éco-tourisme et de la même manière, sont voués à disparaître car ils ne sont pas travaillés. Néanmoins quelques agriculteurs résistants continuent d’entretenir ces coins de paradis en produisant fleurs et légumes. C’est sur une de ces chinampas, dans le brouhaha lointain de la ville (et pourtant proche) et paradoxalement, le chant des oiseaux qu’a commencé la cérémonie d’ouverture de cette 5ème rencontre de la Red Semillas de Libertad de América (RSLA, Réseau Semences de Liberté d’Amerique). 200 personnes se sont réunies pour discuter des problématiques actuelles, des solutions telles que le mouvement de grève guatémaltèque et des menaces que sont, les multinationales d’une part, le manque de conscience générale de l’autre. Vêtus d’habits traditionnels, munis de fleurs, flûtes, tambours et copal, les Péruviens nous ont accueillies dans leur langue natale, le quechua, pour cette cérémonie: «dans l’infinie ignorance dans laquelle nous sommes, ouvrons nos cœurs, remercions la terre mère et fermons nos appareils photos, les dieux n’en ont pas besoin».
Le réseau des gardiens de semences
Le réseau semences de liberté a pour objectif de promouvoir l’agroécologie paysanne à travers les semences libres de brevetage, d’OGM et de pesticides, renforcer au niveau local et continental les dynamiques (par exemple deux réseaux nationaux de gardiens de semences sont nés lors des rencontres au Mexique et au Chili). A l’échelle locale, ré-impulser le travail fait dans chacune des communautés, partager les expériences, les initiatives et la progression de chacun des réseaux locaux. Ceux-ci s’occupent de la production, de la sauvegarde, de la conservation, la distribution, la commercialisation, la dynamisation du réseau, l’information, ils organisent des rencontres et des événements et constituent des banques de semences. De plus, le réseau permet de se rencontrer, d’échanger des techniques de reproduction de semences et bien sûr, des semences! Nous avons assisté aux rencontres ouvertes sur la chinampa pendant deux jours puis aux discussions internes avec les représentants de chaque réseau pendant les quatre jours suivants. Ces gardiens, pour la plupart des agriculteurs traditionnels installés dans des zones isolées pour éviter les contaminations œuvrent chaque jour à la réintroduction et à la protection des semences en les cultivant et en les distribuant. Par exemple Cécilia est emblématique dans le réseau chilien. Femme-médecin mapuche, travaillant la terre et très investie dans sa communauté, elle assiste également à chaque cérémonie qui accompagne une récolte ou un échange de semences et aux marchés. Claudio, lui, est argentin, d’origine paysanne, aujourd’hui producteur et chercheur. Il sème, améliore, sélectionne et distribue ses semences. Militant, il participe aussi aux assemblées populaires et aux manifestations. Il travaille également sur le processus de déshybridation du maïs et obtient des résultats plutôt encourageants. Les gardiens considèrent qu’ils font partie d’une Milpa, une technique ancestrale de culture où le maïs, le haricot et la courge, entre autres, poussent ensemble pour s’entraider et se renforcer. C’est exactement ce vers quoi ils tendent: le réseau est constitué de bénévoles (agriculteurs, associations, professeurs) qui travaillent horizontalement. Il élabore des stratégies communes pour par exemple essayer de devenir autonome financièrement pour ne plus dépendre des subventions publiques.
Une offensive juridique
Les gardiens sont également partenaires d’associations juridiques pour mieux suivre l’avancée des lois. Un des axes majeurs est aussi de s’informer sur la législation car dans chacun des pays évoqués plus haut, la loi n’en est pas au même stade, certains pays sont envahis par les OGM, d’autres les ont déjà refusés. Dans chaque pays, des groupes s’organisent pour se défendre au mieux devant les modifications des lois concernant les semences. Agustin, producteur de semences d’Aguascalientes, nous expliquait qu’au Mexique, la loi générale de l’équilibre écologique stipule que seuls les sujets de droits peuvent se défendre, comme les humains. Les animaux ou les végétaux ne sont pas considérés comme tels mais ont le droit de se défendre en tant que ressources naturelles car ils sont nécessaires au patrimoine mexicain. Des citoyens peuvent donc légalement les défendre. Dans cette logique, 53 personnes se sont réunies autour de la problématique du maïs début janvier 2013 pour dénoncer les effets dangereux du maïs OGM qui contamine tous les autres et ont demandé l’arrêt des cultures OGM. Dès le mois d’octobre, la cour a suspendu l’autorisation de planter des OGM le temps de la procédure, malgré de nombreux appels de multinationales telles que Monsanto. Après trois années de procédure, la «demande collective» gagne le procès.
Aujourd’hui, l’Etat reconnaît qu’il n y a aucune preuve que les OGM ne sont pas nocifs pour la santé, que les semences transgéniques ne donnent pas de meilleurs résultats, et l’hybridation entre le maïs OGM et les variétés anciennes est désormais un fait avéré. Malheureusement, le Mexique continue d’importer du maïs OGM depuis les Etats-Unis. «Il est impossible d’éviter qu’une partie des graines transgéniques deviennent des semences pour des producteurs qui ont perdu leurs semences et c’est de cette manière que nous pensons que l’Etat de Oaxaca et d’autres ont été contaminés» affirme Antonio Turrent de l’UCCS (l’union nationale des scientifiques engagés envers la société). Au printemps aura lieu la première rencontre du réseau mexicain qui s’est créé pendant ces rencontres, nous lui souhaitons longue vie dans ce combat et nous remercions encore tous ses membres pour leur accueil chaleureux.
Pour plus d’information sur le réseau semences de liberté: <www.semillasdelibertad.net>