SEMENCES: Résistance dans le laboratoire grec

de Nicholas Bell Radio Zinzine, 15 juin 2013, publié à Archipel 216

Nous sommes allés en Grèce afin de participer de nouveau au Festival organisé le 11 mai par le réseau Peliti à Paranesti; nous y avons retrouvé la même énergie, la même générosité. Plusieurs milliers de personnes passionnées par les semences et par l’autonomie alimentaire y ont rechargé leur stock de graines, mais aussi leur force de résistance à tout ce qui s’abat sur leur pays.

Les 12 et 13 mai, juste après le festival, Peliti avait organisé une rencontre qui a réuni des personnes et des organisations d’une douzaine de pays pour échanger leurs expériences. Mais il s’agissait surtout d’envisager la résistance contre la tentative de mainmise des multinationales de l’industrie semencière, en s’opposant aux nouvelles lois concoctées par la Commission européenne sous l’influence de cette même industrie, mais surtout en renforçant le mouvement international «hors-la-loi» de multiplicateurs de semences de variétés anciennes et paysannes.

Bradage et mise sous tutelle

Il est essentiel de faire connaître beaucoup plus largement en Europe ce qui se passe aujourd’hui en Grèce: que ce soit l’ignoble expérimentation de mise sous tutelle de l’Etat et de démantèlement des processus démocratiques, de privatisation forcenée des biens publics, et d’appauvrissement accéléré de larges couches de la population, tout cela imposé par une Troïka extérieure1, mais aussi les nombreux mouvements de résistance et de recherche d’issues novatrices.
Même dans ce coin magnifique situé sur les contreforts des Rhodopes, massif montagnard couvert de forêts loin des centres économiques et urbains, des menaces planent. Ces montagnes et ces forêts appartiennent (ou doit-on dire appartenaient?) à l’Etat. L’une des mesures les plus terribles que la Grèce a été contrainte d’adopter est la création de la Taiped, une société anonyme, commerciale, chargée de la privatisation de biens publics afin de rembourser les dettes du pays. Les forêts pourraient donc être vendues afin de satisfaire l’appétit d’entreprises surfant sur le nouvel engouement pour le bois-énergie. Et puis sous ces forêts se cachent des réserves d’uranium…

Résistances

Présent au festival avec un stand, le mouvement d’opposition au projet de mine d’or à ciel ouvert au cœur d’Halkidiki, une région de grande beauté à l’est de Thessalonique, sait déjà ce que signifie une résistance acharnée contre ce genre de mégaprojet ultra polluant et destructeur de l’environnement. Nous nous y sommes rendus avant le festival. Aux entrées du village d’Ierissos, l’un des bastions de cette lutte, des comités d’accueil veillent, prêts à fermer la route aux forces de l’ordre. Ils sont fous de rage, car le village a subi une vague de répression féroce de la police et deux jeunes sont en détention depuis des semaines, sans inculpation ni procès. Cette brutalité n’a fait que souder les opposants dans leur détermination à contrer les plans de l’entreprise canadienne Eldorado.
Quant à Spiros, paysan, violoniste extraordinaire et membre du groupe local de Peliti en Crète, il fait partie de ceux qui ont déjà fait des séjours en prison parce qu’ils se sont mis devant les bulldozers venus créer les pistes qui permettraient l’installation d’énormes parcs d’éoliennes dans les montagnes où ils ont toujours fait pâturer leurs chèvres et leurs moutons.
En 2009, le nouveau gouvernement PASOK avait fait l’annonce, semble-t-il erronée ou tout au moins exagérée, que le niveau de la dette nationale était deux fois plus élevé que celui présenté par le gouvernement précédent2. Profitant de cette situation, la Troïka a imposé trois Memorandums of Understanding et toute une série de lois et de mécanismes qui sont en train de transformer totalement la réalité grecque sans que le gouvernement ou le parlement aient leur mot à dire. Citons, par exemple, la loi de janvier 2013 sur l’usage des terres, et les procédures Fast track qui facilitent les investissements en supprimant les faibles contraintes environnementales existantes. Parallèlement, les dirigeants européens, avec l’aide des médias, ont tout mis en œuvre pour inculquer un sentiment de culpabilité au sein de la population grecque.
La Taiped vend tout ce qui peut renflouer les caisses de l’Etat3, comme l’Eyath, l’entreprise municipale de gestion de l’eau, très rentable et efficace, de la conurbation de Thessalonique (plus d’un million d’habitants). Là encore, la résistance s’est organisée sous le sigle mystérieux du chiffre 136. En fait c’est bien simple: il s’agit de la somme d’argent que chaque ménage devrait payer afin d’obtenir la propriété citoyenne de l’entreprise. Ce réseau, qui a créé des comités dans tous les quartiers de la ville, vient de déposer son dossier d’achat, grâce à l’implication de 22 banques et d’institutions proches de l’économie sociale et solidaire de sept pays4. Il se trouve face à trois concurrents: Suez et des entreprises russes et grecques. La décision serait imminente…

Centres médicaux solidaires

En même temps, la Troïka et sa Task Force5 ont imposé des baisses massives sur les salaires (une moyenne de 40%) et les retraites. De très nombreux Grecs n’ont plus aucun accès aux soins médicaux. D’où l’initiative de créer des Centres médicaux solidaires. Parmi les premiers à voir le jour, celui de Thessalonique a été d’abord mis en place pour des migrants en grève de la faim et plus largement pour les nombreux sans papiers. Aujourd’hui 70% des patients sont des Grecs. Environ 80 médecins, dentistes et infirmières y travaillent bénévolement, et le centre a pu réunir un réseau de cabinets médicaux et dentaires prêts à accepter un certain nombre de patients sans argent. Pour obliger les hôpitaux publics à opérer des personnes sans moyens ni assurance maladie, le centre y organise des rassemblements avec présence des médias.
La vitesse et la brutalité avec lesquelles ce bouleversement social, économique et psychologique a frappé la Grèce provoque des sentiments de rage, d’humiliation, de dépression, de désespoir… qui font émerger des mouvements de résistance, de solidarité, d’innovation, mais aussi d’extrême droite et de haine raciste contre les immigrés et tout autre bouc émissaire.

Mouvement d'émigration

On peut constater un phénomène de retour aux villages et aux zones rurales. Mais il y a également un mouvement peut-être plus fort encore d’émigration, surtout des jeunes bien formés, vers des pays tels que l’Allemagne, le Canada ou l’Australie.
Beaucoup pensent que la Troïka a décidé d’imposer un tel traitement de choc afin de montrer aux autres pays de l’Union européenne ce qui les attend s’ils n’appliquent pas les réformes dictées par Bruxelles. Tous les citoyens européens devraient en être conscients car nous sommes tous concernés. Il serait aussi important d’établir des relations avec les mouvements grecs qui s’opposent à cette situation et de les soutenir.

  1. Composée de la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission européenne.
  2. Voir «Statistiques et Jiu-Jitsu», article publié dans la revue «Z» (cf. encadré p. 2).
  3. Le fait que ces investissements servent surtout à ouvrir la porte aux multinationales est démontré par l’exemple de la mine d’or d’Halkidiki. A cause de l’absence de code minier en Grèce, l’Etat n’obtiendra aucune recette de cette exploitation.
  4. Citons, par exemple, le Crédit Coopératif en France, la Banca Etica en Italie et le GLS Gemeinschaftsbank en Allemagne.
    «Z» Numéro 7, 2013 - Thessalonique, Grèce

Pour mieux comprendre ce qui se passe en Grèce, nous vous recommandons vivement la lecture du dernier numéro, fort instructif et beau, de Z – revue itinérante d’enquête et de critique sociale, consacré à ce pays*.
Pour ce numéro, l’équipe de Z s’est serrée dans un vieux break baptisé «le Tombeau» pour aller enquêter en Grèce. Installés pendant un mois à Thessalonique, deuxième ville du pays, nous avons remonté le fil de la crise qui secoue l’Europe, du krach financier au «gouvernement par la dette», imposé par les institutions internationales. Dans ce territoire dévasté par l’ajustement structurel, nous avons rencontré ceux qui émigrent, ceux qui fuient les villes vers les campagnes, et ceux qui s’organisent.
A Thessalonique, les ouvriers d’une usine de colle à carrelage en faillite ont relancé eux-mêmes la production. Dans les centres sociaux, on développe des circuits d’approvisionnement parallèles. Des centaines de médecins se relaient dans une clinique autogérée pour faire face à l’effondrement du système de santé. Des collectifs s’organisent quartier par quartier pour prendre de vitesse l’installation des milices néo-nazies du parti Aube dorée. Non loin, dans les montagnes de Chalcidique, une résistance villageoise acharnée tente d’empêcher l’ouverture d’une gigantesque mine d’or...
L’équipe de Z présente ce nouveau numéro à différents endroits, liste complète sur <www.zite.fr>. Contactez-nous si vous souhaitez organiser une présentation chez vous. <contact(at)zite.fr>
* 200 pages - 10 euros
Z, c/o La Parole errante, 9 rue François Debergue, F-93100 Montreuil-sous-Bois.

  1. Environ 300 hauts fonctionnaires des Etats de la zone Euro intégrés dans les ministères grecs. Cette «assistance technique» doit surtout assurer que les préceptes de la Troïka soient suivis à la lettre.