ESPAGNE: Aguante Somonte! Tierra y libertad!

de Nicholas Bell Europäisches BürgerInnenforum, 2 mai 2012, publié à Archipel 203

«Notre philosophie peut se résumer de la façon suivante: la terre, comme l’air et l’eau, est un don de la nature que personne ne peut s’approprier pour son profit individuel ou pour son enrichissement privé. La terre est un bien public, propriété du peuple, qui doit être à l’usage et à la jouissance de ceux qui y vivent et qui la travaillent. Et si la terre n’est à personne, la propriété de la terre est un vol. C’est pour cela que nous demandons l’expropriation sans indemnisation…»1

Trente ans après la grande époque de ses occupations massives de terres, le Syndicat andalou d’ou-vriers agricoles (Sindicato de Obreros del Campo - SOC), vient de renouer avec cette tradition.
A 11 heures du matin, le 4 mars, 500 journaliers agricoles et membres du syndicat ont envahi la Finca Somonte dans les riches terres de la plaine du Guadalquivir près de Palma del Rio dans la province de Cordoba. Ce domaine de 400 hectares, dont 40 à l’arrosage, fait partie d’environ 20.000 hectares que la Junta, le gouvernement andalou socialiste, avait décidé de vendre aux enchères. La vente, ou privatisation, du domaine de Somonte était justement prévue pour le 5 mars.
Qui, dans l’Espagne d’aujour-d’hui, frappée par une crise économique sans précédent et par un chômage touchant environ 25% de la population et 50% des jeunes2, pourrait avoir les moyens de l'acheter? Une famille richissime, une banque, une institution financière…? En tout cas pas les habitants de Palma del Rio, village qui compte 1.700 chômeurs.
L’occupation, menée sous le slogan «Aguante Somonte, Tierra y Libertad » (Résistance Somonte, Terre et Liberté) dure déjà depuis plus de trois semaines. Trente personnes des villages des alentours se sont installées sur le lieu et ont commencé à travailler la terre, à semer salades, tomates, pommes de terre, oignons et autres légumes, d’abord pour l’autoconsommation. Elles sont aidées quotidiennement par des dizaines d’autres venues de toute l’Andalousie pour appuyer l’occupation, dont deux hommes âgés qui connaissent fort bien cette ferme, y ayant travaillé de nombreuses années. Ils ont apporté leur savoir-faire en précisant que ces terres sont très riches, mais que jusqu’à présent personne ne les a jamais vraiment mises en valeur. Un autre voisin de 83 ans a apporté des outils qui ne sont plus utilisés dans l’agriculture intensive d’aujourd’hui. D’autres ont amené des semences, des plants, des poules…
Parallèlement, il a fallu aménager les habitations afin de pouvoir loger tous les occupants. Un électricien de Fuente Carreteros et un plombier de Palma del Rio se sont proposés comme volontaires. Toutes les décisions sont prises dans des assemblées générales quotidiennes et des commissions ont été établies pour s’occuper de la logistique, des relations avec les médias, du nettoyage, des repas, du travail horticole…
Cette ferme se trouve à 50 km de Marinaleda, grand bastion du SOC, où la municipalité a créé des conserveries et des ateliers qui pourraient transformer les produits de Somonte. Selon le SOC, la partie irrigable pourrait, dans une première étape, fournir du travail à au moins 50 personnes. La ferme pourrait à terme faire vivre beaucoup plus de gens, grâce à la «culture sociale» de tout le domaine. Les occupants disent qu’ils ne veulent pas créer une coopérative de salariés, mais une «coopérative de résistance» assurant la survie et un lieu de vie pour de nombreuses personnes frappées par la crise.
Au niveau régional et national, le soutien dépasse les milieux syndicaux, venant également de mouvements écologiques, d’associations soutenant l’agriculture biologique, de groupes urbains…
C’est en 1978 que le SOC, deux ans après sa légalisation suite à la mort de Franco, avait lancé les premières occupations de terres depuis la guerre civile. Elles ont surtout visé des latifundia appartenant à des familles aristocratiques, comme les 17.000 hectares du Duc del Infantado occupés par les journaliers de Marinaleda en 1985. Le SOC est sans doute le seul syndicat européen à avoir officiellement réclamé la réforme agraire. Il a eu en partie gain de cause et a pu créer des coopératives sur des terres occupées. A l’époque, la répression était très forte et des centaines de journaliers s’étaient trouvés inculpés. Nous3 avions alors lancé une campagne de solidarité internationale, en organisant des tournées d’information dans toute l’Europe et en envoyant des délégations d’observateurs aux procès.
Le Parti Popular vient d’obtenir 50 sièges sur les 109 du parlement andalou lors des élections régionales du 25 mars. Il n’est donc pas parvenu à obtenir la majorité absolue qu’il espérait. C’est la première fois depuis la fin de la dictature que la droite est le parti le plus fort en Andalousie. Mais il est loin d’être sûr de gouverner, car les socialistes ont obtenu 47 sièges et la Gauche Unie douze, doublant ainsi sa présence au parlement.
Il est bien sûr possible que la junta lance les gardes civils pour expulser les occupants même si, face à la crise, ce type d’action est très populaire et que la colère de la population contre les gouvernants est grande. Plusieurs membres et sympathisants du SOC ont été inculpés pour leur participation à l’occupation du 4 mars. Ils seront présentés devant le tribunal de Posadas le 13 avril. C’est pourquoi le SOC a décidé d’organiser une grande manifestation ce jour-là et ensuite une rencontre des comités de soutien et de solidarité pendant deux jours, les 14 et 15 avril.
Lors d’une réunion le 10 mars à la Finca Somonte, la Commission Permanente du Syndicat des Travailleurs andalous (SAT) dont fait partie le SOC, a pris plusieurs décisions. Elle annonce sa volonté de lancer d’autres occupations dans les différentes provinces andalouses, elle appelle les membres du syndicat et plus largement les chômeurs à créer des coopératives de journaliers sans terre, à occuper et à lutter pour des terres, elle encourage la création d’une plate-forme sur la souveraineté alimentaire qui travaillera à long terme sur les questions de la réforme agraire, de la mise en place de coopératives et d’occupations.
Le SOC a lancé un appel à la solidarité locale, nationale et internationale. A nous de nous tenir prêts! Une présence européenne sur place serait une grande aide et rendrait moins probable une intervention policière pour évacuer la ferme. Un compte bancaire sera bientôt ouvert pour une caisse de solidarité financière. Dans l’immédiat, il serait très utile d’envoyer des lettres de soutien et d’encouragement à l’adresse électronique indiquée ci-dessous.
«Cette action devrait être le début de la révolution agraire qui, en cette période de chômage, de pénurie et d’escroquerie néolibérale, nous manque tant. Aujourd’hui toute alternative pour survivre avec dignité doit passer par la lutte pour la terre, l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire…»4. Même si le gouvernement a déjà pu vendre plus de la moitié des 20.000 hectares dont il était le propriétaire, il reste encore environ 8.000 hectares à occuper…
Nicholas Bell
FCE-France
nicholas.bell(at)gmx.net
Pour plus d’informations:
<www.sindicatoandaluz.org>
<somontepalpueblo(at)gmail.com>
Pour soutenir financièrement:
Titulaire: Sindicato de Obreros del Campo y Medio Rural
Compte client: 2024 6035 36 3305503517
IBAN: ES09 2024 6035 36 3305503517
BIC/SWIFT: CECAESMM 024
Banque: BBK BANK CAJASUR S.A.U.
Pays: ES
Bureau: Posadas-Gaitan
Adresse: C/ Gaitan, 22 Esquina a C/ Mesones

  1. Extrait du programme pour la réforme agraire voté lors du IIIème congrès du SOC à Marinaleda en octobre 1983.
  2. Les chiffres pour l’Andalousie sont encore plus dramatiques, dépassant les 30%.
  3. C’est le Comité Européen de Défense des Réfugiés et Immigrés (CEDRI), précurseur du Forum Civique Européen, qui avait mené cette campagne. En 1985, il avait publié une brochure «Terre et Liberté – la lutte des ouvriers agricoles en Andalousie», disponible à l’adresse du FCE-France.
  4. Conclusion du premier Communiqué des occupants de Somonte, 4 mars 2012.