ANDALOUSIE: Entre crise et ouverture politique

de Federico Pacheco, SOC-SAT, 13 mars 2016, publié à Archipel 245

La lutte des ouvriers/ères agricoles à Almeria, organisé-e-s depuis 15 ans autour du Syndicat d’Ouvriers Agricoles (SOC-SAT), se manifeste toujours comme une résistance face à la perpétuelle exploitation, la discrimination et le mépris des droits fondamentaux. Le secteur d’une agriculture industrielle en pleine expansion exige une main-d’œuvre soumise et bon marché, permettant d’assurer de plus gros profits.

En pleine crise économique et malgré une répression acharnée de la protestation sociale, le SOC a obtenu en 2015 d’importants succès grâce aux stratégies d’actions internationales, à la consolidation de son organisation et aux alliances avec les différents acteurs de la nouvelle politique espagnole.
Des conditions sociales inacceptables
Même si les chiffres d’affaires de l’agriculture intensive de la «mer de plastique» sont toujours en hausse, la crise économique globale et les réformes du code du travail ont été utilisées afin de baisser les salaires et rendre plus flexibles les conditions de travail. En effet, à la fin de la dernière campagne agricole 2014 - 2015, les cultures de fruits et légumes ont augmenté en surface (+1,9%), en production (+1,2%) et surtout en valeur économique (+14% et +3,5 % pour les exportations)1. Par contre, le salaire journalier, avec une augmentation de la durée légale du temps de travail de 0,7% en 2014 et en 2015, a baissé dans les faits à des minimums historiques: 30 euros au lieu des 46 euros garantis par la convention collective2, alors que la précarité s’est accrue considérablement à cause des licenciements des travailleurs plus anciens et du travail au noir3.
Le problème du logement persiste. Quinze ans après les accords avec l’administration, suite aux événements racistes d’El Ejido, aucune auberge n’a été construite pour les journaliers agricoles à Almeria et des centaines de travailleurs sont toujours logés dans des chabolas, des huttes en carton et plastique, entre les serres, qui sont de temps en temps rasées par les pelles mécaniques des mairies sans alternative de relogement4. La concentration des migrants dans des quartiers-ghettos marginalisés est à l’origine de situations de discrimination et de violence, avec des morts et des confrontations sociales5.
La discrimination administrative et policière à l’égard des migrant-e-s a augmenté depuis le début de la crise économique en 2008. Les revendications pour des «papiers» ou des regroupements familiaux ont cédé la place aux préoccupations pour maintenir l’emploi ou faire face aux besoins élémentaires de la famille. Les réseaux de soutien aux migrants se sont affaiblis et la répression des luttes sociales en général a touché encore plus ces collectifs. Après une période de baisse des arrivées de nouveaux migrants et le retour au pays de nombreuses familles étrangères, le flux migratoire vers l’Andalousie s’est accru les dernières années aussi bien au niveau des pateras par la Méditerranée (3672 personnes en 2014, dont 1128 arrivées sur les côtes d’Almeria – 1077 entre janvier et juin 2015), que par les frontières terrestres, notamment à Melilla (20.000 tentatives d’escalade de la clôture en 2014, dont 2100 réussies6. Les procédures de renvoi et d’expulsion des migrants sont expéditives, et ne respectent ni le droit de défense ni le droit d’asile7.
Nouvelles synergies locales et internationales
Devant une réalité aussi cruelle et difficile, le SOC-SAT Almeria multiplie ses actions de défense des droits des journalier/ères agricoles à partir de trois stratégies fondamentales: la consolidation de l’auto-organisation, la multiplication de contacts internationaux et le renforcement d’alliances avec les mouvements sociaux et cercles politiques progressistes locaux.
En décembre dernier, le Congrès du SAT-Almeria (Syndicat Andalou des Travailleurs, dont le SOC fait partie), appuyé par une nombreuse participation, a élu une nouvelle direction de six personnes, dont la moitié sont des migrant-e-s, Spitou Mendy (Sénégal) porte-parole/secrétaire général, Abdelkader Chacha (Maroc) responsable de l’action syndicale et Carmen Cruz (Equateur) chargée des questions liées aux femmes. Il a été décidé également de renforcer l’auto-organisation des groupes de participation locale des journaliers du SOC dans les différents villages de la province et de mettre en place des activités de formation et des rencontres dans les trois locaux du syndicat.
Le cabinet juridique s’est développé comme principal référent des journalier-e-s d’Alméeria, avec plus de 300 plaintes pour licenciements abusifs, salaires impayés et autres manquements au droit du travail par des entrepreneurs. Les 130 plaintes des travailleur-euse-s de Simon Sabio, une exploitation qui a fait faillite en 2013 et que les journaliers ont occupée pendant deux ans, ont été gagnées. Une trentaine de «sans papiers» ont obtenu leur carte de séjour lors de ce procès.
De leur côté, les femmes du syndicat se sont regroupées dans un nouveau plan d’action spécifique à partir de la section syndicale de Biosol, à Nijar, et de militantes migrantes de la zone de El Ejido. Enfin, la présence des syndicalistes sur place, dans les serres, les logements et les lieux de rencontre est grandement facilitée grâce à une nouvelle voiture donnée par le groupe d’appui des Ami-e-s du SOC de Genève.
La lutte collective locale, en coordination avec des organisations de consommateurs en Europe, a permis de remporter d’importants succès en 2015. D’une part, la réadmission des travailleuses marocaines de Biosol après un procès qui mit fin à 15 mois d’une lutte ouvrière exemplaire, et d’autre part la rapide solution trouvée pour indemniser les 30 ouvriers licenciés par Natural Growers, filiale de l’entreprise anglaise Glinwell PLC et fournisseur de Tesco. Les contacts avec des supermarchés et des associations de certification deviennent efficaces quand il s’agit d’un conflit dans une entreprise et quand on réussit à obtenir l’implication d’activistes et de consommateur-trice-s des pays acheteurs. Le SOC a consolidé ses alliances avec de tels groupes en Angleterre, Italie, Allemagne, Suisse et Autriche, et renforcé sa participation dans la Via Campesina. L’enjeu est de créer des réseaux plus solides autour des luttes journalières, des migrants et de la commercialisation des produits agricoles dans toute l’Europe.
Néanmoins, le système se défend et les actions du SOC-SAT sont marginalisées par les médias locaux et réprimées au moyen d’amendes et de plaintes au pénal contre les militants8. De plus, le syndicat ne reçoit aucun financement public. Malgré tout, le travail du syndicat attire de plus en plus l’attention de cercles politiques et sociaux locaux ainsi qu’internationaux. Le syndicat a reçu en 2015 le prix Paul Grüninger, en Suisse, pour son engagement avec les journaliers migrants et la lutte contre le racisme et la discrimination (voir l’article «Désobéissance civile»).
Indignés, Podemos et unité des luttes sociales
A partir de la naissance du mouvement 15M9 des Indignés en 2011, les luttes sociales contre les politiques d’austérité et de limitation des droits civils se sont accrues dans toute l’Espagne dans une dynamique d’unité de revendications et de collectifs. Les actions efficaces des Plateformes contre les délogements, l’organisation de Las Mareas et la Marche pour la Dignité en mars 2014, ont été les points forts de ce nouveau mouvement social. En 2014 et 2015, l’élan de la rue se déplace aussi sur le terrain électoral et en deux ans, des mairies très importantes sont gérées par des nouvelles plateformes issues des mouvements sociaux et un pourcentage très important des élu-e-s aux Parlements européen, régionaux et national, sont issu-e-s des nouveaux partis tels que Podemos, en alliance avec d’autres partis et collectifs alternatifs10.
Même si les problèmes des migrants et des journaliers agricoles, ou le débat sur le modèle agricole, ne constituent pas encore le point central des nouveaux discours, cette nouvelle réalité ouvre des portes sociales, institutionnelles et médiatiques, auparavant complètement fermées. Par contre, il convient de reconnaître que les perspectives électorales ont découragé une partie importante de la mobilisation de la rue dans l’attente de solutions institutionnelles. Le SOC, sans abandonner le chemin prioritaire de l’organisation à la base et les luttes quotidiennes, essaie d’ouvrir ces portes et de profiter de ces espaces pour diffuser son message et avancer dans la conquête des droits et l’amélioration des conditions sociales, économiques et politiques des migrant-e-s et des ouvrier-e-s agricoles.

SOC-Almeria1. Selon l’étude de la banque rurale Cajamar, 53.720 ha de culture, dont 29.597 sous serre; 3,2 millions de tonnes de production payées aux agriculteurs1700 millions d’euros, dont 70% – 2,17 millions de tonnes –, ont été exportés pour une valeur de 2000 millions d’euros.

  1. La Convention provinciale signée par les grands syndicats fixe 5,76 euros/heure en 2013, 5,80 en 2014 et 5,84 en 2015.
  2. D’après les statistiques du ministère de l’Emploi et de la Sécurité sociale, il y avait 49.948 inscrits au régime agricole en 2015 (dont 63% d’étrangers) dans un secteur qui nécessite environ 100.000 travailleurs.
  3. Le 17 juin 2015, la mairie d’El Ejido rase les chabolas de 60 travailleurs agricoles dans la zone de Tierras de Almeria, provoquant une importante réaction sociale.
  4. En 2007, un migrant sénégalais meurt poignardé par un gitan à Viviendas en Roquetas de Mar, en 2009, un Malien est assassiné à La Mojonera, en 2012 un Bissau-Guinéen pris à partie par la gendarmerie décède d’un arrêt cardiaque et tout récemment – le corps est encore à la morgue – un autre Bissau-Guinéen a été sauvagement tué à coups de couteau par une nuée de gitans à Cortijos de Marin, à Roquetas.
  5. D’après le rapport 2015 de l’Association APDH, en 2014, la police espagnole a intercepté 11.146 personnes (7550 en 2013). A Melilla sont entrées en tout 4952 personnes, dont 2400 Syriens.
  6. A partir du commissariat de police d’Almeria, de nombreux migrants sont expulsés ou enfermés dans des centres de rétention sans avoir rencontré d’avocat. Le Parti Populaire a légalisé le «renvoi à chaud», une pratique dénoncée par plusieurs organisations de défense des droits humains comme contraire aux traités internationaux.