ESPAGNE: La dernière chose que l’on perd

de Inaki Mendialdua Pinedo, 6 sept. 2016, publié à Archipel 250

Chez moi, il existe un proverbe que nous avons l’habitude de répéter et qui dit: «La esperanza es lo ultimo que se pierde» (L’espoir est la dernière chose que nous perdons). Quand on m’a demandé d’écrire un article sur la situation actuelle, des luttes que les camarades du SOC/SAT (Syndicat des Ouvriers du Champ / Syndicat Andalou des Travailleurs) portent, je me suis dit que ce serait un bon point de départ.Et c’est qu’aujourd’hui, peu de lieux et de moins en moins de gens sont capables de transmettre l’espoir, cet idéal selon lequel changer le monde et le rendre plus juste est toujours possible. Moi, je me sens vraiment chanceux par rapport à cela, car nombreux sont les personnes et les lieux qui me motivent à continuer à lutter. Un de ces lieux se situe dans le cœur de l’Andalousie, dans la vallée du Guadalquivir, là où les grands califes de la dynastie Omeya élevaient les plus beaux chevaux pendant l’Antiquité. Terre d’une grande richesse et peuple pauvre de naissance. Et ce n’est pas un hasard; elle a été gouvernée depuis la chute des royaumes de Taifa par la noble et despotique attitude des grands aristocrates et généraux, qui ont vaincu la sainte bataille à l’islam et converti les lumières d’Al-Andalus en ombres de l’inquisition. Une longue et lourde inquisition qui a réussi à perdurer jusqu’à nos jours. Le lieu dont je parle se nomme Somontes, domaine occupé par le SOC/SAT depuis le 4 mars 2012. Quand en 2011, le conseil d’agriculture d’Andalousie a mis aux enchères publiques les 387 hectares de Somontes, lesquels comportent sept habitations et trois grands hangars, le tout pour cinq millions d’euros, ils ne savaient pas que les meilleurs candidats seraient les journaliers, travailleurs, chômeurs et amis du SAT qui ont décidé de l’acheter au prix de la lutte, une lutte toujours présente. Le jeudi 2 juin 2016, les habitants de Somontes ont été délogés par la Guardia Civil; c’était le 3 quand j’ai pu parler avec eux et ceux qui font partie de la coopérative «Somontes libre». Ca a été comme une douche froide. Quatre années s’étaient écoulées depuis la dernière expulsion, et depuis lors il n’y avait pas eu d’autre rapport avec les agents de la «justice espagnole». Ils étaient en cours de négociations avec le conseil d’agriculture pour la cession de ces terres à la coopérative. Aucun des habitants ni des coopérateurs ne pensait à la possibilité de l’expulsion. Dur revers pour Maria, Pamela, Manolo et Alfonso qui y habitaient depuis août dernier, et pour les sept membres de «Somontes Libre» qui se sont donné du mal pour Somontes et pour l’idéal qu’il représente: la terre à celui qui la travaille. 240 (09/2015)Ce que la Guardia Civil et le gouvernement andalou ne savaient pas, c’est que le samedi 4 juin, Somontes serait de nouveau occupé. Somontes est toujours libre, du moins pour le moment, et c’est en grande partie grâce à l’entêtement de ceux qui luttent pour qu’il en soit ainsi.

Alors qu’un énorme dispositif policier s’occupait d’expulser les habitants de Somontes, une vingtaine de camarades maintenaient une grève de la faim de 27 jours à Madrid qui s’est terminée le samedi 11 juin à l’assemblée générale du syndicat à Somontes, à l’occasion de la réoccupation. Avec cette grève de la faim, une bonne partie des membres les plus actifs du syndicat, familles et amis, réclamaient la libération d’Andrés Bodalo, s’accrochant à la dernière possibilité qui leur reste, la grâce du gouvernement. Andrés, représentant syndical et conseiller de Podemos à Jodar (province de Jaén), a été condamné à trois ans de prison suite à un procès lors duquel l’objectivité et l’impartialité de la loi et des juges ont fait défaut. Le gouvernement d’Andalousie a décidé d’appliquer l’ordre de déloger Somontes dans un moment critique pour tous les participants de la grève de la faim, et pour le mouvement réclamant la liberté d’Andrés Bodalo, maintenant la pression que les institutions exerçaient contre les membres du SOC/SAT. Suite à l’adoption de la loi de protection de la sécurité citoyenne «Ley Mordaza» le 30 mars 2015, les libertés de réunion, manifestation et autres ont été gravement restreintes, et la répression par la voie économique et sociale s’est sensiblement durcie. Le plafond des amendes a été augmenté à 600.000 euros. Ce qu’on appelle «devolutiones en caliente» (retour illégal d’immigrants) qui se pratiquait par la Guardia Civil aux frontières de Ceuta et Melilla, une loi considérée inconstitutionnelle, a néanmoins été appliquée en marge des accords internationaux des droits humains signés par l’Espagne. Dans le climat actuel de répression et d’exclusion sociale dont souffre toute l’Espagne et qui s’aggrave en Andalousie, avec un taux de chômage qui atteint les 30% de la population active, soit près d’un million deux cents mille personnes, nous ne pouvons pas arrêter de lutter pour ce que Somontes signifie et pour l’alternative que cela peut représenter.
Tant que ces 387 hectares resteront libres, on pourra encore croire au changement, on pourra encore rêver de modèles de développements sociaux, locaux et agro-écologiques. Encore une fois on peut dire: «il ne faut jamais perdre espoir», et ceci me comble de joie. Mais on ne peut oublier toutes les personnes, les expériences, tous les instants, toutes les frustrations et batailles que Somontes nous a apportés. Grâce à la lutte, nous avons pu grandir, nous avons reçu le soutien moral et physique de milliers de personnes, nous avons fait rayonner cet espoir dont le monde a tant besoin. Aujourd’hui nous avons u240 (09/2015)240 (09/2015)ne grande responsabilité; nos actes sont nos paroles, et nous devons être avant tout autocritiques après ces quatre ans de lutte pour ce morceau de terre.
A Somontes, nous sommes loin d’avoir créé un projet stable et durable. Nous sommes loin d’utiliser les moyens d’organisation et d’autogestion les plus adéquats et l’agro-écologie n’est toujours pas une priorité. La loi est contre nous, le syst240 (09/2015)ème productif industriel aussi; le défi est encore énorme, et pour cela nous voulons compter sur votre soutien. De la part du SOC/SAT et de «Somontes Libre», nous vous invitons à venir à Somontes, à nous connaître, rire, discuter. Nous vous invitons à penser Somontes, à nous soutenir dans les travaux pratiques… Toute aide est la bienvenue, et «la esperanza es lo ultimo que perdemos».

Contacts: 240 (09/2015)
<organizacion.sindicatoandaluz(chez)gmail.com>
<sober.alim.sindicatoandaluz(chez)gmail.com>

Soutien financier sur le compte bancaire de la coopérative:
La Caixa
BIC: CAIXESBBXXX
IBAN: ES08 2100 8353 1102 0004 6809