SUISSE: Au pays du ministère de la Vérité

de Claude Braun (FCE/CEDRI-Suisse ), 10 juin 2004, publié à Archipel 114

Nous avons souvent écrit à propos du WEF à Davos, sur l’arrogance de cette rencontre ainsi que sur les millions de deniers publics que coûte la présence de milliers de policiers, suisses et étrangers, pour assurer la sécurité d’une rencontre privée. Dans la deuxième partie de cet article, nous donnons la parole à l’une des 1.082 personnes victimes d’une vaste opération policière particulièrement brutale.

Ceci s’est passé après la seule manifestation autorisée contre le WEF à Coire, capitale du canton des Grisons. La population de Coire avait été agréablement surprise par le défilé pacifique et coloré des 2.000 manifestants, un tel événement ne s’était encore jamais produit dans la petite ville. Après avoir exprimé leur protestation, les manifestants avaient pris le chemin du retour en train, direction Zurich, via Landquart et Sargans.

L’arrêt prévu à Landquart a été le théâtre d’une intervention sans précédent de la police, destinée à ficher tous les passagers du train. En effet, des appareils photos installés en plein air tiraient le portrait des passagers au fur et à mesure de leur sortie du train.

Si l’objectif policier avait été d’empêcher des incidents à Landquart, le train serait reparti normalement. Et s’il s’était agi d’identifier les coupables d’éventuels dégâts matériels, les photos et les identités auraient été prises simultanément.

«Il s’agissait à l’évidence de ficher les opposant-e-s au WEF pour leur faire peur. L’intervention policière était à tous points de vue inutile, disproportionnée et inadaptée. Elle a bafoué tous les critères de l’Etat de droit pouvant la justifier ainsi que les droits fondamentaux de la liberté des personnes à se rassembler et à exprimer leur opinion .» 1

Les seuls médias en Suisse ayant honnêtement relaté «les événements de Landquart» sont «Le Courrier» de Genève et le «Wochenzeitung» de Zurich. Tous les autres journaux se sont contentés de publier les communiqués de l’Agence de Presse et de l’Agence Télégraphique Suisse, ATS, issus directement des rapports de police. Le lecteur moyen n’a retenu qu’une image diffuse de chaos et de provocation, de wagons de chemin de fer dévastés et de policiers débordés.

La presse dominicale et les journaux du lundi 26 janvier ont relaté les événements de Landquart de manière partiale. Suivent quelques exemples: «le Quotidien Jurassien» titrait «Les opposants au WEF sont resté sous contrôle – ils ont toutefois réussi à saccager un train malgré un important dispositif policier» . «Le Temps» de Genève titrait «Le gouvernement s’est dit satisfait que le WEF n’ait pas provoqué de débordements et juge fructueux les contacts établis avec des responsables étrangers»

Cette désinformation crapuleuse n’est cependant pas à attribuer au manque de journalistes, même à Landquart. Ils étaient 500, avant, pendant et aux abords du WEF. Les Suisses ont ainsi pu apprendre, grâce à une enquête digne d’un grand journaliste d’investigation, que Bill Clinton aime le coca-cola et la pizza, et que le WEF en signe d’ouverture offre 10.000 dollars à l’ONU! En Suisse, plus de 700 articles ont couvert le WEF, et la télévision a diffusé 50 heures d’émissions.

Il faut toutefois rappeler qu’il s’agit là d’une organisation privée regroupant les plus riches et les plus puissants de ce monde, surtout préoccupée d’accroître les profits de ses membres et de leurs entreprises, tout en soignant leur image de marque aux yeux du public. Il est dangereux qu’aujourd’hui la grande majorité des médias, y compris ceux du service public, se mettent au service de ce club et acceptent de lui servir de porte-voix. Manifestement, les directives données à la plupart des rédactions étaient claires: donner des informations les plus bienveillantes possible sur le WEF.

C’est pourquoi nous appelons toutes les lectrices et les lecteurs à écrire au Conseil suisse de la presse afin d’exiger une étude sur la presse n’a pas rempli sa mission2. Quand des rapports de police se transforment en dépêches d’agence et sont l’unique source d’information des journalistes, on se rapproche dangereusement du ministère de la Vérité d’Orwell dans 1984.

  1. Extraits du communiqué de presse du 02/02/04 de Daniele Jenni, avocat et Conseiller de la Ville de Berne

  2. Conseil suisse de la presse

Bahnhofstr. 5 CH-3800 Interlaken

Envoyer une copie au FCE, Case postale, CH-4004 Bâle. Un modèle de lettre est à disposition