SUISSE: Manifeste pour un avenir commun Sans nous, rien ne va plus

de Voir liste des signataires, 11 nov. 2003, publié à Archipel 110

Dans tous les pays européens, des partis populistes mènent une politique de "bouc émissaire" sur le dos des réfugié-e-s et des immigré-e-s. En Suisse, les voix que l'UDC, parti nationaliste et conservateur, a récemment gagnées aux dépends de la droite "classique" confirment cette tendance.

Il y a par contre un fait nouveau: les premier-e-s concerné-e-s commencent à se défendre. En Suisse une large coalition composée d'organisations d'immigré-e-s, de sections syndicales et de comités de défense du droit d'asile a rédigé un manifeste que nous présentons ci-après. Les perspectives: l'organisation d'une journée nationale de grève des immigré-e-s. Les revendications: égalité de traitement, droit de vote et… abolition de la police des étrangers avec ses structures discriminatoires et sa philosophie raciste qui remonte aux années 30.

Nous, les soussigné-e-s constatons

  • que fuir son pays ou émigrer n'est pas nouveau, que depuis cent cinquante ans, la Suisse est un pays d'immigration et qu'elle ne saura freiner celle-ci ni par un système de contingentement ni par la répression;

  • que l'immigration contribue à instaurer une meilleure compréhension entre les cultures et offre la chance de fonder une société plus juste et plus pacifique, non seulement à l'échelle nationale, mais sur le plan international;

  • que la Suisse ne peut en aucun cas se permettre de limiter l'immigration, car, sans elle, elle perdrait son économie florissante, sa sécurité sociale, sa richesse culturelle et sa prospérité;

  • que si les immigrées n'étaient pas là pour se charger des travaux domestiques, l'intégration des femmes suisses sur le marché du travail ne serait pas possible;

  • que la Suisse est pourtant en train de durcir le droit d'asile et d'introduire une loi sur les étrangers particulièrement sévère, soumettant ainsi notre vie privée et familiale à une surveillance policière toujours plus stricte. Nous, les réfugiés et immigrés des deux sexes, nous avons déjà supporté jusqu'ici beaucoup d'humiliations dans ce pays! Les multiples votations à caractère xénophobe nous ont très profondément blessés. Des lois plus sévères ne freineront pas l'immigration, mais engendreront davantage de souffrance, favorisant le trafic des êtres humains et l'absence de droits, et conduiront à une forme moderne d'esclavage.

La migration, un des grands défis de l'avenir

Ce n'est qu'en coopérant et en utilisant toute la diversité de nos ressources que nous serons à même de relever ce défi et de créer les conditions d'un avenir décent pour tous.

Nous, les immigrés et réfugiés de Suisse, nous apportons sans cesse notre contribution sur le plan culturel, politique, social et économique. Mais que se passerait-il si nous cessions de le faire, ne serait-ce qu'un seul jour? Les trains continueraient-ils de rouler, les poubelles d'être vidées, les machines de fonctionner? Qui ferait les lits des chambres d'hôtel, servirait les repas, s'occuperait des clients ou des personnes nécessitant des soins? Qui mènerait les recherches scientifiques, nettoierait rues et appartements, se produirait sur les scènes de théâtre ou jouerait sur les terrains de football? Nous appelons tous les migrants à se mobiliser pour soutenir les revendications de ce manifeste, à se regrouper et à coopérer avec les organisations suisses progressistes. Nous avons notre mot à dire et ne manquerons pas d'appuyer nos propositions par des actions publiques.

Sans nous, rien ne va plus.

Des droits politiques, pas seulement des devoirs

Tous les êtres humains doivent pouvoir prendre part aux décisions politiques à leur lieu de domicile et d'imposition, et ce indépendamment des nationalités qu'ils ont acquises, que ce soit par naissance ou naturalisation. La dignité humaine, les droits de l'homme et les droits politiques sont indivisibles et s'appliqueront donc à tout être humain en Suisse. Là où règne l'égalité, une police spéciale pour les étrangers est superflue.

Des lois basées sur les droits de la personne

Plutôt qu'être marquées par la répression et la dissuasion, les lois s'inspireront de principes humanitaires, d'un esprit de respect et de solidarité, ainsi que des obligations du droit international.

  • Il n'y aura plus de discrimination entre ressortissants de l'UE et non ressortissants. Les différentes catégories de migrants, auxquelles sont associés des droits différents, seront abolies.

  • Il faut instaurer un droit d'asile qui, au lieu d'être axé sur la dissuasion, porte assistance à ceux qui en ont besoin et reconnaisse à tous les requérants d'asile le droit de vivre dans la dignité et la sécurité.

  • Les autorisations de séjour seront octroyées indépendamment des objectifs du séjour ou des emplois.

  • Les sans-papiers doivent obtenir une régularisation collective.

Travail et rémunération équitables

Les immigrées et immigrés ne seront plus désavantagés dans le travail, que ce soit dans la recherche d'emploi, le salaire, les possibilités de perfectionnement ou de promotion ou les conditions de travail. Les conventions collectives de travail les protégeront de la sous-enchère salariale. Leur droit à la mobilité et le libre choix d'une profession et d'un employeur leur seront garantis.

Egalité des chances pour tous les enfants

Le plurilinguisme des enfants de migrants et de réfugiés est une importante ressource économique et culturelle, pour autant qu'on en reconnaisse la valeur et qu'on le favorise. L'école doit relever ce défi et mettre fin à toute discrimination basée sur l'origine géographique et sociale des enfants.

La migration n'est pas une fatalité

La Suisse doit ratifier au plus vite la Convention de l'ONU sur les droits des migrants, la Charte sociale européenne ainsi que d'autres conventions internationales importantes. Elle renforcera son programme d'aide au développement et à la coopération. Rappelons que les versements des immigrés à destination de leurs pays d'origine dépassent aujourd'hui de loin les contributions de la Suisse à l'aide au développement. Les mouvements migratoires s'intensifiant au fur et à mesure qu'augmentent les inégalités politiques, sociales et économiques, il s'agit de lutter pour un monde dans lequel tous les êtres humains peuvent vivre librement et dans la dignité. Plus besoin alors de parler de l'immigration, car si nombre d'hommes et de femmes aiment parcourir le monde, seule une minorité d'entre eux s'installent volontairement à l'étranger leur vie durant.

Si nous vivions tous dans le même canton

La nouvelle constitution suisse garantit l'égalité des droits pour tous: "Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou psychique." (article 8, alinéa 2). Pourtant un million et demi d'habitants de la Suisse sont discriminés du fait de leur origine: nous, les immigrées et immigrés. Ce que l'écrivain suisse Max Frisch a écrit en 1965 est toujours valable: "Un petit peuple de seigneurs se voit menacé: on avait fait appel à de la main-d'œuvre, et ce sont des hommes qui sont arrivés".

Le mouvement d'indépendance américain a inspiré un principe célèbre, encore inconnu en Suisse jusqu'à nos jours: "Pas de taxation sans représentation". Quiconque paie des impôts doit être autorisé à participer aux décisions politiques qui le concernent. Nous, les immigrées et immigrés, nous payons 15 milliards d'impôts et déboursons 6 milliards pour les assurances sociales. Mais nous n'avons pas le droit d'intervenir. Si les immigrés et réfugiés de Suisse formaient un canton, ce serait le plus grand du pays. Nous serions représentés à Berne par deux conseillers aux États, par 46 conseillers nationaux et par un membre du Conseil fédéral. Nous sommes certains qu'aucun canton n'apporterait dans les débats des connaissances plus diversifiées et davantage d'expériences de la vie que le nôtre.

Pour plus d'infos: www.sansnous.ch

Signataires au 19.10.2003

Antonio Hautle, Fastenopfer; AsF, Amitié sans frontières; BastA! Basel; Beratungsstelle Türkei, Basel; C.E.D.R.I.; CASA, Centre de l'Alliance Suisse-Afrique; Centre social protestant - La Fraternité; cfd; Circolo Culturale Realità Nuova; comedia-Migrationskommission / Commission des migrations de comedia; CTSSL collectif des travailleuses/eurs sans statut légal de Genève; Democratici di Sinistra in Svizzera; DIDF Demokratik Isci Dernekleri Federationu; DJS-JDS, Demokratische Juristinnen und Juristen Schweiz / Juristes Démocrates de Suisse; Erklärung von Bern, deutsche Schweiz; Europäischen Bürgerforum/Forum Civique Européen ; FAMI Fachstelle Migration der Ref.Kirchen Bern-Jura- Solothurn /Service Migration des Eglises réformées Berne-Jura-Soleure; FCLIS Federazione Colonie Libere Italiane in Svizzera; FIZ Fraueninformationszentrum für Frauen aus Afrika, Asien, Lateinamerika und Osteuropa; FIM-Schweiz Forum für die Integration der MigrantInnen / Forum pour l'intégration des migrant(e)s; Flüchtlingsgruppe Dreifaltigkeit Forum gegen Rassismus /Forum contre le racisme; Frauengruppe SAFT, Basel; Frauen-Nottelefon Winterthur; Frauenrat für Aussenpolitik; Freiplatzaktion für Asylsuchende Basel; GBI-Migration und Integration /SIB-Migration et Intégration; Groupe de migration du Syndicat SIB-Genève; Grüne Baselland; Grüne Schweiz/Les Verts suisses; HEKS-Komitee Bern /EPER Comité Berne; IG Secondas; IGA Solothurn-SOS Racisme; I-ÖDK, Isvicere Özgürlük ve Dayanisma Kordinasyonu, Koordination für Freiheit und Solidarität; isa, Informationsstelle für Ausländerinnen- und Ausländerfragen, Bern; Komitee Sans-Papiers Nordwestschweiz; KUTÜSCH Kurdischer-Türkischer-Schweizerischer Kulturverein; L'Italia dei Valori; MERS, Menschenrechte Schweiz/Association suisse pour les droits de la personne; MigrantinnenRaum, Aargau; netzwerk secondo; OeME (Oekumene, Mission und Entwicklungs- zusammenarbeit) der Ref. Kirchen Bern-Jura-Solothurn /Eglises réformées Berne-Jura-Soleure, Secteur OeTN-Migrations; PFG, Politische Frauengruppe St.Gallen; Plate-forme pour une table ronde sur les sans-papiers/Plattform Runder Tisch zu den Sans-papiers; Sankofa; SAH SchweizerischesArbeiterhilfswerk/OSEO oeuvre suisse d'entraide ouvrière; scambio Fest der MigrantInnen und SchweizerInnen, Bern; Schweizerischer Friedensrat SGB-Migrationskommission; SMUV-FTMH-FLMO; Solidaritätsnetz Region Basel; Solidaritätsnetz Sans-papiers Region Bern; Solidarité sans frontières; SP Kanton St.Gallen; SP, Sozialdemokratische Partei Schweiz/PS, Parti socialiste suisse; SP-Migration des Kantons Zürich; Verein Integrationsnetz Zug; vpod schweiz/ssp suisse; Zürcher Freiplatzaktion für Asylsuchende.