SUISSE: Répression contre les squats à Genève

9 mai 2010, publié à Archipel 152

Genève, ville emblématique de la démocratie participative, avait choisi jusqu’il y a peu de faire primer le droit au logement (inscrit dans la constitution genevoise en 94) sur la spéculation immobilière. Cette tolérance envers les habitants des maisons occupées en avait fait le berceau de nombreuses expériences autogérées, politiques et artistiques, symboliques dans toute l’Europe. Et bien Genève vient de renoncer à sa belle originalité pour rentrer dans le rang du tout répressif et du retour à l’ordre.

Oui, Genève, qui avait pourtant vu naître la mythique brigade des squats, police faisant office de médiatrice entre les propriétaires et les habitant-e-s, et vu conjurer la précarité qui caractérise la situation des squats dans les autres villes, se soumet lamentablement au conformisme sécuritaire.»A l’origine de cette situation: la tolérance zéro promulguée par le procureur général Daniel Zappelli début 2006 et exécutée sans faille par la police. Zappelli a une position simple: quelles qu’en soient les motivations, la violation de domicile relève du pénal, ce qui assimile le fait de squatter à un crime».(Le Courrier de Genève).

Le squat de la Tour est tombé…

Nous avons d’abord été alertés par des amis de La Tour. La Tour, c’était cette maison de Genève occupée depuis 99, un espace de liberté communautaire où vivait une quinzaine de personnes, enfants et adultes. On y trouvait une crèche autogérée; un infokiosque qui comportait une bibliothèque et une vidéothèque en accès libre. Ce lieu d’échanges et de créativité participative était ouvert et permettait des lectures, des projections, des échanges d’idées libertaires. En janvier donc, les habitants réaffirmaient leur volonté de résistance face à la politique de répression du procureur général de la Justice du canton de Genève, Daniel Zapelli, et de ses alliés promoteurs et spéculateurs capitalistes.

Et bien la Tour est tombée. Le mardi 10 juillet, les flics ont investi le squat sous prétexte d’un simple contrôle d’identité, puis ont emmené les habitants au poste, pendant qu’un huissier constatait l’abandon de la maison permettant à des déménageurs de la vider, jetant dans des bennes tout ce qui n’avait pas de valeur à leurs yeux. Très rapidement, en réaction à cette expulsion camouflée, environ 200 personnes se sont rassemblées spontanément devant l’immeuble. La manifestation de soutien a tourné à l’émeute (barricades enflammées, jet de pavés, destruction de vitrines et d’une voiture de police). S’ensuivirent 19 arrestations, des prélèvements forcés d’ADN, la détention durant 36 heures de l’un des habitants et la condamnation de plusieurs manifestant-e-s pour émeute, agression des forces de l’ordre, dégradation de biens et obstruction à l’ordre public.

Le maire de Genève a pris position, jugeant «particulièrement choquant de jeter à la rue des personnes en situation fragile, telles des femmes enceintes et des enfants» , il s’interroge sur le «caractère licite, voire la légalité de cette mesure» , et en appelle au Conseil d’Etat, soulignant aussi que «la méthode employée (…) a sans doute contribué à générer les nombreux troubles à l’ordre public» qui s’ensuivirent. Cette opération, en plus d’être illégitime, est complètement illégale: en Suisse, selon le Tribunal Fédéral, nul ne peut être expulsé de son logement sans jugement, et Daniel Zappelli n’est pas un juge. Le Procureur Général a donc ordonné une opération illégale. En tout cas, les ouvriers devant commencer les travaux sur la maison ne s’y sont pas trompés, et se sont mis en grève, refusant de travailler à la fois illégalement et encadrés par la police.

Une plainte a été déposée par le «Collectif de La Tour en exil provisoire»:«plainte pénale contre le propriétaire de l’immeuble Monsieur José Otero pour violation de domicile, dommage à la propriété et soustraction d’une chose mobilière. En effet, aucun jugement d’évacuation n’a été rendu alors que, selon la législation suisse, il s’agit d’une condition indispensable pour priver toute personne de son logement».

…et celui du Rhino aussi

Apres l’évacuation de l’un des derniers espaces d’autonomie et de liberté genevoise, un autre squat, le RHINO (Retour des Habitants dans les Immeubles Non Occupés), le plus ancien de l’ex «paisible cité internationale», et certainement le plus emblématique, situé à 100 mètres de la défunte Tour, a bénéficié de quelques jours de sursis, avant de subir le même sort le 23 juillet. Ce lieu, constitué de 3 maisons, ouvert il y a 19 ans, était habité par 70 personnes dont une dizaine d’enfants, et constitué de deux lieux culturels et d’activités, «Le Bistr’ok» et «La Cave 12»; il n’a donc pas été sauvé par l’indignation et le soutien populaires.

On peut alors déplorer que Rhino se soit désolidarisé des émeutiers révoltés par l’évacuation de la Tour, son porte-parole ayant déclaré: «Les troubles de l’ordre public et les déprédations de cette journée et de cette nuit n’ont rien à voir ni avec le Collectif Rhino, ni avec son mode d’action, et nous regrettons, comme tous, ces réactions excessives» . Alors que, comme le souligne un journaliste du Courrier de Genève «les squatters, devront se mobiliser sils ne veulent pas disparaître face à la nouvelle donne répressive» , ce type de prise de position mettait en danger l’unité de l’Inter-Squats genevoise, et par là même, Rhino. Dommage. Le projet Rhino s’est peut-être un peu «installé» évoluant vers une voie plus sociale et artistique que véritablement politique. Ceci expliquant peut-être une certaine frilosité par rapport aux actions radicales.

Cela dit, même en ayant un regard critique sur cette évolution, je n’ai pas envie d’alimenter la polémique créée par les médias, les politiques et les forces de l’ordre, qui font des catégories entre gentils et méchants squatters, et entre manifestants pacifiques et les «voyous vêtus de noir» décrits par une certaine presse. En effet, lors d’une manifestation de soutien aux deux squats évacués, une poignée de casseurs a brisé les vitres du siège du PRD, parti du procureur général Daniel Zappelli. Tandis que Laurent Moutinot, socialiste et conseiller des forces de l’ordre déclare: «Je constate qu’il y a toujours plus de casseurs qui s’invitent aux manifestations démocratiques. C’est un problème pour la police, et également pour les organisateurs de manifestations, dont certains font preuve d’angélisme. C’est d’ailleurs ce risque de dérapages qui a convaincu le Parti socialiste – et j’y suis pour quelque chose – de ne pas soutenir cette manifestation». Les socialistes ont pourtant estimé que la lettre comme l’esprit de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations (LDTR), invoquée par le Conseil d’Etat pour exiger l’évacuation, ont été violés: une mesure d’évacuation ne peut être ordonnée que si l’état de délabrement ou d’insalubrité de l’immeuble constitue un véritable péril.… L’ancien porte-parole des squatters, Maurice Pier, expulsé à son tour, a repris ses esprits: «La colère a de multiples formes d’expression. C’en est une. Quand les pouvoirs politique et judiciaire se coordonnent pour réprimer les droits d’expression des citoyens, il ne faut pas s’étonner que d’autres moyens d’expression émergent.»

A suivre

La vague de répression qui s’abat sur les espaces autogérés de Genève risque de se poursuivre, le procureur Zapelli, ayant déclaré «lorsque je suis arrivé en fonction – en 2002 ndlr – il y avait 120 squats à Genève, il y en a actuellement 27, donc je n’ai pas attendu aujourd’hui pour agir, et j’entends bien continuer dans la même veine» . Elle n’est en tout cas qu’une petite et triste illustration de la tendance générale. Dans d’autres villes suisses, telles que Bâle (évacuation du Steingraben 51 en mai), des squats ont aussi fait l’objet d’évacuations et, pour parler de ce que nous connaissons, en France la situation n’est pas plus favorable. Plusieurs évacuations ont eu lieu à Paris et en province, avec des opérations militaires d’envergure (GIPN à Paris, mobilisation de la gendarmerie dans les Cévennes…). Le squat de Dijon, Les Tanneries, n’a dû son salut qu’à une très forte campagne de mobilisation. On peut constater, en fait, la mise en place de ce qui ressemble beaucoup à une coordination au niveau européen pour fermer ces lieux de liberté. Depuis l’expulsion du mythique Ungdhomshuset à Copenhague dans l’hiver (avec intervention si ce n’est de policiers au moins de matériels militaires en provenance de Suède, et aussi de commandos héliportés), la répression touche tous les lieux au niveau européen. La liste serait fastidieuse et démoralisante mais on peut parler de Barcelone, Madrid, Berlin, Liège et donc aussi Paris et Genève. La fermeture de ces lieux prive les populations d’espaces de création et de réflexions alternatives, les habitants de leurs lieux de vie et d’activité, et les soumet parfois à des poursuites judiciaires évidemment pénibles. Mais la flamme de la résistance libertaire ne s’éteint pas au Kärcher. Peut-être même peut-elle se nourrir de gaz lacrymogène. Respect et solidarité aux squatters délogés, à l’instar des habitants de la Tour, constitués en collectif en exil, qui gardent la rage au ventre, leurs projets et leurs espoirs.

Pour plus d’info:

http://switzerland.indymedia.org/fr et site du Courrier de Genève (www.lecourrier.ch/)