TCHAD: Justice pour les victimes

de Bertold de Ryon*, 16 août 2016, publié à Archipel 250

L’organisation des droits de l’homme FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme) y voit un «verdict historique pour les victimes». Vincent Hiribarren, enseignant au King’s College de Londres en matière d’histoire africaine, considère que ce procès «fonde enfin une justice universelle».

Il est question du procès, ouvert en septembre, qui a conduit à la condamnation de l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré.
Ce dernier, qui vivait depuis son renversement en 1990 «en exil» au Sénégal, a été condamné à la prison à vie, lundi 30 mai dernier. Ses victimes, tant qu’elles sont encore en vie, auront maintenant jusqu’au 31 juillet pour déposer des demandes d’indemnisation.
Habré a été condamné pour crimes contre l’humanité, tortures et disparitions forcées, mais aussi pour des viols de victimes. Des dizaines de milliers de personnes avaient été arrêtées, maltraitées et souvent tuées par la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), le service secret du dictateur, au pouvoir de juin 1982 à décembre 1990. Le verdict a été prononcé par les Chambres Africaines Extraordinaires (CAE). De son côté, la Cour Pénale Internationale (CPI) à La Haye, qui statue actuellement – dans le cadre d’un procès autrement plus problématique et critiquable – sur Laurent Gbagbo, président de la Côte d’Ivoire renversé en avril 2011 par l’armée française, ne pouvait juger l’ex-dictateur tchadien, statutairement, la CPI ne peut connaître que des crimes commis après l’entrée en vigueur de ses statuts, en 2002. Hissène Habré n’était alors plus au pouvoir. La composition de ces chambres africaines était destinée à parer aux reproches, souvent adressés à la CPI, de représenter une justice partiale car ne jugeant ou recherchant «que des personnalités africaines» (Gbagbo, le milicien congolais Jean-Pierre Bemba, le dictateur soudanais Omar El-Béchir). Il est vrai que la CPI n’a encore jugé aucun dirigeant occidental, le reproche étant dans ce sens-là fondé. Il est tout aussi vrai que des régimes africains instrumentalisent de telles critiques pour tenter de se dédouaner, à peu de frais, de leurs crimes pourtant bien réels.
Premières plaintes en 1999
Toutefois les CAE avaient été créées sous la pression d’un pays européen, en l’occurrence la Belgique. Le royaume belge, qui connaît le principe de «justice universelle» en matière de violations des droits de l’homme – de tels crimes peuvent être poursuivis y compris sans lien territorial avec la Belgique –, avait cherché à juger Hissène Habré, dans les années 2000. Cela faisait suite à des plaintes déposées sur le sol belge à partir de 1999, Bruxelles étant entre autres le siège international de la FIDH. Or, le Sénégal n’avait ou pas pu, ou pas voulu extrader Hissène Habré, qui était un temps «bien au chaud» sur le territoire sénégalais, jouissant de sa fortune (qui est considérable). Pour parer au problème de la non-extradition et sous pression internationale, le Sénégal avait fini par consentir à ce que Habré soit jugé par les CAE. Leur financement (à hauteur de 8,6 millions d’euros) a été assuré pour environ 40 % par le Tchad, pays où la dictature d’Hissène Habré avait commis ses crimes – mais dont le régime actuel d’Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis le 1er décembre 1990, n’est guère plus recommandable, puis pour deux millions d’euros par l’Union européenne, pour environ un million d’euros par l’Union africaine. Le reste avait été pris en charge par plusieurs pays européens: ceux du Benelux, l’Allemagne et la France.
La France et Mitterrand en soutien
Autant le jugement de l’ex-dictateur sanguinaire Habré est positif en soi, autant il est à parier que les critiques – qui évoqueront là encore une «justice occidentale» ou «anti-africaine» – ne se tairont pas. Hissène Habré, qui avait été longtemps soutenu par la France lorsqu’il était au pouvoir (avant que le gouvernement français ne lui préfère son successeur Idriss Déby), avait joué sur le registre verbal «anti-impérialiste», au cours de son procès, de façon démagogique.
L’organisation Human Rights Watch (HRW) prépare, actuellement, «un rapport accablant sur le rôle de la France», c’est-à-dire son soutien initial au régime tchadien sous Hissène Habré, selon la formule du journal Le Monde (du 31 mai 2016). La France du président Mitterrand avait déployé une «aide» militaire au Tchad, à partir de 1982, puis était ouvertement intervenue militairement à partir de 1984 dans ce pays. Il s’agissait alors de contrer la pénétration de troupes libyennes dans le nord du pays. Le caractère sanguinaire du régime au pouvoir à N’Djamena ne lui posait alors aucun problème visible.
Aujourd’hui, des troupes de l’armée française sont toujours présentes au Tchad, et le régime d’Idriss Déby – formellement «réélu» en avril 2016 avec, selon les chiffres officiels, plus de 95% des voix – est susceptible d’être jugé à son tour, un jour, pour ses crimes et violations des droits de l’homme.
Bertold de Ryon*

* paru sur le site http://www.afriquesenlutte.org/ le 14 juin 2016