TERRE A TERRE: Voyage en Hongrie et Roumanie

de FCE, 14 juin 2007, publié à Archipel 149

Organisé par BEDE (Bibliothèque d’Echange de Documentation et d’Expérience) et le Réseau Semences Paysannes à la suite de deux autres voyages en Espagne-Portugal et en Italie, ce voyage était consacré à l’échange entre paysans et associatifs sur les thèmes des semences et des OGM dans un pays rentré depuis peu dans l’UE. Voici la deuxième partie du voyage.

Le village de Hosman

Une visite très sympathique nous a été offerte dans le village de Hosman par Jochen et Gabi Cotaru. Jochen, qui a passé un long moment à Longo maï en Autriche et qui est très impliqué dans le Forum Civique Européen, s’est installé définitivement en Roumanie avec Gabi sa femme depuis quelques années. Dans ce village un peu particulier, séparé suivant les communautés, roumaine, germanophone, hongroise, ils ont cherché à s’installer sur des terres et cela est pour l’instant très difficile. En effet, les germanophones sont pour la plupart partis à l’étranger et ne sont pas revenus, mais ne veulent lâcher ni leurs terres ni leur maison, et quand des personnes cherchent à se loger et travailler sur place, cela cause des conflits. Ils ont réussi, grâce à l’apport de la fondation Hosman Durabila, à réhabiliter un vieux moulin. Cette fondation a pour but de renforcer des projets d’économie locale et d’agriculture écologique. Toute l’équipe du moulin (4 à 5 personnes) nous a fait une démonstration du fonctionnement, et cela a été l’occasion d’échanger les expériences sur la mouture des farines avec Nicolas Supiot de notre délégation, paysan/meunier/boulanger. D’autres projets vont prendre vie, comme par exemple une boulangerie, un petit centre culturel, un atelier pour travailler la laine sur le site à côté du moulin. Très belle journée clôturée par la démonstration des travaux de plusieurs femmes des villages alentour avec la laine des moutons, surtout des tricots. Nous nous sommes retrouvés le soir pour fabriquer du pain à la maison dans un petit four familial à bois. Encore un échange de savoir-faire!

Cultures OGM

Dan et Ramona, très engagés dans la lutte anti-OGM, nous ont par la suite brossé le tableau des cultures OGM en Roumanie.

Depuis les années 80, sous Ceaucescu, le soja était déjà cultivé à grande échelle (jusqu’à 500.000 ha). Destiné à l’alimentation animale, il partait pour l’exportation. En 1999, Monsanto, grâce à l’influence grandissante des Etats-Unis, lance les cultures OGM. Elles occupaient en surface autour de 90.000 ha. Avec l’entrée de la Roumanie dans l’UE pour 2007, au printemps 2006, le gouvernement a voulu faire bonne figure et a interdit les OGM sur le sol roumain (pour 2007). 80% de la récolte 2005 a été exportée en Ukraine et au Moyen-Orient, restait 20 % en stock en principe pas des semences. Que croyez-vous qu’il advint? 130.000 ha furent cultivés (chiffres provenant du ministère)! Une Garde Environnementale devait contrôler les autorisations de culture mais il semblerait qu’elle n’ait pas eu les moyens de faire son travail car, en Transylvanie, il n’y a pas eu de contrôle et dans le Sud, où se trouve la majorité de ces cultures, sur 20 contrôles, 18 étaient non autorisées.

Pour les militants anti-OGM, il est très difficile d’obtenir des informations fiables car entre autres, dans les statistiques, il y a l’adresse des cultivateurs mais pas la localisation des cultures. Quant à la franchise des autorités, on peut en douter, la majorité des chercheurs, universités, stations de recherche sont impliqués dans des programmes de recherche financés par les entreprises vendant les OGM (le chef du Département pour la biosécurité au ministère de l’Agriculture travaille pour la recherche avec Monsanto).

Le soja est donc interdit maintenant, mais que va-t-il se passer si le moratoire tombe par exemple pour le maïs? Là, il ne s’agit plus d’alimenter des animaux mais directement les êtres humains. Il y a à peu près 3 millions d’ha cultivés en maïs, en grande partie pour l’alimentation humaine, et surtout partout, dans la moindre ferme on trouve des petits silos à maïs, chaque paysan le cultive. Nous avons pu constater qu’il existe encore des variétés de pays «population», les hybrides n’ont pas tout recouvert. L’introduction des maïs OGM serait une véritable catastrophe en Roumanie au même titre qu’elle l’est déjà au Mexique. Une idée était présentée de demander un moratoire car les cultures seraient destinées à l’alimentation humaine et on peut d’ores et déjà prouver qu’il n’y a pas de coexistence possible entre maïs OGM et non OGM. Des chercheurs et scientifiques français, avec un groupe d’agriculteurs du Sud-Ouest, ont testé en plein champ les cultures de maïs OGM à côté d’autres non OGM et évidemment le non OGM a été contaminé. Cela nous le savions déjà, mais il fallait que ce soit validé par une expérience «scientifique» reconnue, c’est chose faite. Maintenant il reste à le faire savoir à la population roumaine…

Le village de Sinca Noua

Une dernière journée était consacrée à la visite d’une commune qui s’est déclarée sans OGM, le village de Sinca Noua entre Sibiu et Brasov. Le maire nous a reçus et nous a raconté l’histoire particulière de sa commune. C’est un village qui a refusé sous le communisme la collectivisation des terres. Pour punir la population, en 1968 après d’âpres conflits, Ceaucescu a décidé d’effacer de la carte le village. Ne pouvant le raser, les infrastructures communales ont été supprimées, plus de mairie, plus d’écoles, plus d’entretien des chemins, plus aucun subside. L’intégration à une autre commune du voisinage a été imposée contre l’avis des habitants. En 1989, à la chute de Ceaucescu, les 2000 habitants ont décidé de reconstituer leur commune et de se prendre en main. Pendant 12 ans, ils ont fait des pieds et des mains pour arriver à leurs fins. Le gouvernement a dû voter une loi spéciale pour autoriser la re-création de cette commune. Sans fonds au début, les habitants ont cherché des appuis en Europe pour pouvoir créer les infrastructures communales. Mal reçus dans les années 90, (les Roumains avaient une mauvaise image), ils ont réussi à trouver un jumelage avec une commune en Allemagne qui leur a demandé d’édifier une stratégie de développement pour 20 ans afin d’assurer une continuité. Ayant demandé conseil aux autres communes alentour, ils se sont aperçus qu’aucune d’elles n’avait réfléchi en ces termes. Ils ont dû tout inventer et pendant tout un hiver, après avoir donné à manger aux bêtes, ont décidé collectivement d’une stratégie et élaboré un document commun qui sert maintenant aux autres communes. Le fait d’avoir tenu tête au gouvernement sous la dictature et de ne pas avoir collectivisé les terres, est selon eux un facteur qui a permis de maintenir les jeunes au village. Le maire insiste sur le fait que les habitants sont fiers de leur ferme, toutes les terres sont travaillées et la moyenne d’âge est de 38 ans. Malgré tout, ils sont conscients des enjeux que représente l’entrée de la Roumanie dans l’UE et des risques que cela comporte pour les toutes petites fermes. Le maire présente cette époque comme la fin d’un monde et ne cherche pas à s’apitoyer sur celui-ci, plutôt trouver des solutions. Ils ont par exemple décidé ensemble que la commune toute entière serait bio et l’afficherait, ainsi que son choix anti-OGM, à l’entrée de la commune. Pour tous, c’est une décision prise dans le respect de leur stratégie de développement à long terme et donc pas de possibilité pour certains de ne pas le pratiquer. Ils sont à la recherche d’idées pour la transformation des produits et l’utilisation des petites parcelles. Ils sont également très fiers d’avoir pu préserver des variétés de semences du pays et nous ont montré des spécimens de haricots (au moins 6 variétés), de maïs, d’oignons. Un inventaire serait sûrement à faire dans cette commune qui nous a fait penser au village d’Astérix! Toute la commune nous a fait part de leur vœu de trouver d’autres jumelages en Europe.

Le chemin du retour

Sur le chemin du retour en France, nous avons réfléchi à la façon de donner suite à ces rencontres, et nous allons essayer de répondre aux attentes de nos interlocuteurs, notamment en matière de formation et d’échanges d’informations. Un rendez-vous pour certains a déjà été pris, celui de la rencontre en Allemagne au mois de mai prochain à Halle sur le thème de la préservation de la biodiversité et la problématique des OGM (voir Archipel n°147 et 148).