UKRAINE / FORET: Péril sur les forêts ukrainiennes

de Yehor Hrynyk, 14 sept. 2022, publié à Archipel 317

L’invasion russe de l’Ukraine a déclenché le plus grand conflit armé d’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale et a infligé des dommages catastrophiques à la plus grande nation du continent. Outre l’énorme bilan humain et économique de la guerre menée par Poutine, l’Ukraine est également confrontée à une crise écologique, les forêts du pays étant particulièrement menacées.

La menace la plus immédiate à laquelle sont confrontées les forêts ukrainiennes est constituée par les incendies de forêt. Entre le début de l’invasion russe, le 24 février, et la fin du mois de mai, plus de 160.000 hectares de forêt ukrainienne ont brûlé dans les régions touchées par les hostilités. Les combats se déroulant sur une ligne de front de plus de mille kilomètres et les forces russes cherchant délibérément à détruire la base de ressources naturelles et industrielles de l’Ukraine, cette sombre tendance semble devoir se poursuivre.

De graves problèmes se posent également dans les zones forestières libérées par l’armée ukrainienne. Fin mars et début avril, les troupes russes ont été contraintes de se retirer du nord de l’Ukraine, après leur défaite dans la bataille de Kiev. En se retirant, elles ont laissé derrière elles des milliers d’hectares de forêts minées. Il faudra probablement des décennies avant que ces zones puissent être entièrement déminées.

Dans ce contexte, d’autres menaces moins immédiates mais tout aussi graves pour les forêts ukrainiennes sont apparues au cours des derniers mois. La guerre a entraîné l’économie ukrainienne dans une chute libre, la Banque nationale d’Ukraine prévoyant une baisse du PIB d’au moins 33 %, voire beaucoup plus. Il est compréhensible que les autorités cherchent des mesures d’urgence pour compenser cet effondrement économique. L’augmentation de l’exploitation forestière est considérée comme une option potentiellement viable.

Le chef de l’Agence forestière nationale ukrainienne et le ministre de l’Environnement ont officiellement dévoilé des plans visant à augmenter le volume d’abattage. Ces efforts seront principalement axés sur l’exploitation forestière dans les montagnes et les zones humides difficiles d’accès. Cela pourrait conduire à la destruction des dernières forêts naturelles les plus précieuses d’Ukraine. Ces plans peuvent sembler farfelus, mais ils font partie de la vision du gouvernement pour la relance économique de l’Ukraine et ont même été présentés lors de la conférence sur la relance de l’Ukraine, début juillet dans la ville suisse de Lugano. Le gouvernement ukrainien prévoit également d’attirer des fonds étrangers pour des projets de développement forestier.

On pourrait affirmer que ces plans ne seront peut-être pas mis en œuvre. Toutefois, un certain nombre de mesures ont déjà été prises depuis le début des hostilités pour garantir une augmentation future des volumes d’abattage. En mars dernier, le parlement ukrainien a aboli un certain nombre de restrictions environnementales sur l’exploitation forestière dans le cadre de mesures de guerre visant apparemment à renforcer la capacité de défense du pays.
Les autorités ont également rendu plus difficile la participation de la société civile aux efforts visant à surveiller l’impact environnemental de l’exploitation forestière. L’accès à des documents auparavant publics sur le déboisement a récemment été fermé ou restreint. Parallèlement, un certain nombre d’actes législatifs, visant à simplifier davantage l’abattage des forêts anciennes, sont en cours de préparation. Ces mesures ont entraîné une augmentation de 10 à 25 % des volumes d’abattage au cours des derniers mois dans les régions occidentales de l’Ukraine par rapport à la même période en 2021. Les activistes craignent que cette augmentation ne soit que le début.

Avant même l’invasion russe, les forêts naturelles de l’Ukraine se réduisaient et étaient rempla-cées par des plantations. Les conséquences environnementales, sociales et économiques de cette gestion forestière non durable sont potentiellement désastreuses et dépassent largement le cadre de l’Ukraine. Par exemple, l’UE a clairement exprimé l’objectif de conserver les Carpates, mais ces efforts seront vains si la partie ukrainienne des Carpates n’est pas également protégée. Que faut-il faire pour sauver les forêts ukrainiennes? La solution la plus évidente est de mettre fin à la guerre le plus rapidement possible. Cela ne peut se faire qu’avec le soutien de la communauté internationale, qui doit imposer des sanctions plus sévères à la Russie et fournir à l’Ukraine suffisamment d’armes pour vaincre les envahisseurs de Poutine sur le champ de bataille. Tout ce qui n’est pas une victoire ukrainienne conduira à une paix de compromis qui ne fera que préparer le terrain pour une nouvelle guerre.

Il est clair que les mesures nécessaires pour gagner la guerre ne peuvent être prises du jour au lendemain. En attendant, il est vital pour les partenaires de l’Ukraine de créer des incitations à la préservation des forêts du pays. Les autorités ukrainiennes dépendent fortement de l’aide financière des partenaires du pays pour maintenir l’économie à flot. L’Ukraine a également reçu ré-cemment le statut officiel de candidat à l’adhésion à l’UE, ce qui entraîne des obligations supplémentaires. Dans cette optique, la communauté internationale devrait chercher à intégrer des mesures de conservation, comme condition d’un soutien continu.

Cela serait tout à fait conforme à l’avenir européen pour lequel les Ukrainien·nes se battent. En juillet 2022, plus de 25 ONG européennes ont adressé aux dirigeant·es de l’UE une liste de me-sures spécifiques nécessaires à la protection des forêts ukrainiennes. Élaborée dans l’esprit du Green Deal européen, cette liste comprend des lois et autres mesures hautement prioritaires. Elle peut devenir une feuille de route pour les autorités ukrainiennes. L’Ukraine lutte actuellement pour sa survie, mais il est vital de s’assurer que l’héritage écologique unique du pays ne soit pas victime de l’invasion de Poutine. Le soutien européen peut contribuer à empêcher que cela ne se produise.

Yehor Hrynyk, Coordinateur du groupe ukrainien de conservation de la nature