Un rêve de "Reich"

de Kamil Majchrzak, 10 avr. 2010, publié à Archipel 92

Quand, au début des années 90, les images des incendies criminels perpétrés contre les immigrés dans les nouveaux Länder, retransmises en direct à la télévision, secouaient l?opinion publique internationale, personne ne pensait au développement rapide du néofascisme en Pologne.

Quand, au début des années 90, les images des incendies criminels perpétrés contre les immigrés dans les nouveaux Länder, retransmises en direct à la télévision, secouaient l’opinion publique internationale, personne ne pensait au développement rapide du néofascisme en Pologne. D’après les études de la plus grosse organisation antifasciste polonaise Nigdy Wiêcej (Plus Jamais), depuis 1989, dix-neuf personnes sont mortes à la suite d’actes de violence d’extrême droite.

Dans une interview pour le magazine White-Power-Skinhead “Rock Nord” (RN N°2/97), le fasciste et chanteur Adam du groupe nazi polonais K88 se prononce pour une coopération étroite entre les Allemands et les Polonais: “Malheureusement, par le passé, il y a eu beaucoup de problèmes entre l’Allemagne et la Pologne et nous avons une Histoire commune très lourde. Mais tout ça c’était il y a 50 ans et nous vivons maintenant une nouvelle époque avec de nouveaux problèmes. Désormais nous sommes confrontés en Europe aux mêmes problèmes et aux mêmes ennemis. C’est pour cette raison que nous devrions poursuivre le même objectif et être solidaires. Malheureusement, il y a encore et toujours de nombreux nationalistes aveugles qui veulent se battre contre d’autres pays et pour lesquels les frontières sont la chose la plus importante. Pour moi tout ça c’est une mauvaise piste et seule la solidarité nous rendra plus fort”. Au sujet de la deuxième guerre mondiale: “Nous devions soutenir nos familles et notre pays, mais vous aviez raison. Plus jamais de guerre fratricide!”

On oublie souvent que les idéologies autoritaires, l’antisémitisme ainsi que le chauvinisme ne sont en aucun cas une nouveauté dans le paysage politique polonais comme dans sa culture. Il ne s’agit ici ni d’une importation de l’Ouest, ni d’un résidu du système communiste. L’extrême droite polonaise poursuit toujours et encore ses propres objectifs et idées politico-sociales.

La popularité des groupes nazis polonais ne s’arrête pas à la frontière de l’Oder-Neisse. Ils sont accueillis chaleureusement par des fans lors de tournées de concerts “du pays” en Allemagne et bénéficient aussi bien de très bonnes critiques que de comptes rendus de concerts positifs dans les magazines nazis-skinheads. Le plus populaire d’entre eux, K88, joue régulièrement lors de concerts en Allemagne (dernièrement à Chemnitz), en République Tchèque lors de grands festivals internationaux nazis comme le concert commémoratif-Joe-Rowan ou bien à Budapest pour le Festival mémorial Ian Stuart où à côté des Allemands “sont venus de Slovénie, de Hongrie, de Tchéquie et de Pologne plus de 600 camarades pour payer tribut à Ian Stuart” .

A ce propos, ce qui est remarquable c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un rapprochement idéologique entre Polonais et Allemands, comme c’est le cas pour d’autres organisations et groupes néo-fascistes, mais bien plus d’un réseau d’organisations et de contacts actifs. Tout récemment, les collaborateurs de Nigdy Wiêcej établissaient que l’organisation fasciste la plus radicale en Pologne, Narodowe Odrodzenie Polsky/NOP (La Renaissance nationale de la Pologne) reçoit un soutien financier non seulement des “camarades” britanniques, mais aussi du NPD. Le NPD et le NOP sont ensemble membres de l’International Third Position (ITP). L’ITP est un rassemblement international d’organisations néofascistes qui a été créé par des terroristes néofascistes ayant fui l’Italie, à la suite d’une vague d’arrestations dans les années 80.

L’erreur d’estimation du danger représenté par l’extrémisme de droite et son potentiel aussi bien de la part des autorités judiciaires que d’une grande partie de la société polonaise a permis à l’extrême droite et à l’antisémitisme de s’établir largement. Au point que plusieurs postes de hauts fonctionnaires sont occupés par des néonazis notoires. Ainsi, Krzysztof Kawêcki, nouveau directeur du “Collège pour la consultation politique” occupait un poste en janvier 1998 au ministère de l’Education polonais. Kawêcki est l’éditeur du journal antisémite “Prawica Narodowa” (Droite Nationale), ainsi que fondateur du parti du même nom dont le programme est truffé de propos particulièrement chauvins et nationalistes. Dans une déclaration de juin 1995, les auteurs revendiquent l’appartenance à une association traditionnelle et conservatrice “parce qu’ils savent que les politiciens qui agissent dans la vie publique s’agenouillent devant la fausse religion démocratique des droits de l’homme” . Cette association se donne pour but “la reconstruction de la nation de Pologne et la co-création d’un ’Nouveau Saint Empire d’Etats nationaux souverains’ en Europe pour se protéger de la conquête des civilisations étrangères”.

Krzysztof Nyczaj, le dirigeant de Mlodiziez Wszechpolska (la Jeunesse Polonaise), parti qui succède à l’organisation d’avant-guerre antisémite et fasciste du même nom, en offre un autre exemple: il est depuis quelque temps cadre supérieur à la caisse maladie du département de Masowie dont le siège est à Varsovie. Plus personne ne s’étonne donc quand son camarade d’opinion néofasciste, Bartlomiej Zborski, est nommé chef de rédaction aux éditions d’Etat Bellona (Bellona est la propriété du ministère de la Défense) ou bien quand le ministre délégué à l’Intégration à l’Union Européenne d’alors, Ryszard Czarnecki (AWS), invite le néofasciste italien Gianfranco Fini (MSI) à visiter le camp de concentration d’Auschwitz. Zborski s’est fait connaître par ses publications “spécialisées” dans l’antisémitisme dans le journal incendiaire Szezerbiec. Le “spécialiste” est responsable, à Bellona, de la publication des écrits du pseudo historien David Hirving.

A cet égard, on notera aussi Tomasz Gabis, rédacteur en chef du journal conservateur Stanczyk qui se donne pour but le combat contre le “culte de l’holocauste” . Gabis est l’idéologue principal du Stronnict-wo Polityki Realnej (parti de la politique réaliste) qui travaille étroitement avec le NOP et qui, avec d’autres partis, a formé la coalition actuellement au gouvernement Akcja Wyborcza Solidarnosc (Solidarité campagne électorale). Celui-ci affirme qu’une véritable révolution nationale ne peut se faire que par la révision de l’holocauste “laquelle détruira les murs pourris du vieux monde” . Ajouté à cela, une place toute particulière revient à l’élite intellectuelle. Après sa rencontre avec des membres de la corporation “Danubia” Gabis a déclaré: “les étudiants du Danube joueront incontestablement un rôle très important dans le futur Reich allemand” .

Ce ne sont plus seulement des cigarettes bon marché que les extrémistes de droite allemands peuvent acheter sur les “marchés polonais” à Slubice et Zgorzelec, ils peuvent aussi y vendre des CD des groupes interdits en Allemagne, enregistrés clandestinement. On y trouve aussi, en réduction, la croix gammée assortie sous forme de porte-clefs, de blason ou de décoration. Ni la police polonaise, ni la municipalité concernée n’y voient de raison pour intervenir, bien que la nouvelle constitution polonaise ainsi que le code pénal interdisent explicitement et pénalisent l’apologie des systèmes autoritaires tels que le fascisme.

C’est surtout dans les milieux de la “White-Power-Musik” qu’il y a un intérêt pour les thèmes polonais. A peu près tous les périodiques nazis-skins importants contiennent des adresses de contact pour s’abonner aux publications nazies polonaises dont quelques-unes sont en cours d’édition en langue anglaise en Pologne. Les concerts est-européens et particulièrement polonais jouissent d’une popularité toujours plus grande auprès des néonazis allemands qui louent des minibus dans les régions frontalières pour se rendre aux concerts en Pologne.

A partir des premières brèves visites rendues aux voisins polonais partageant les mêmes idées se sont développées avec le temps des structures fixes. La coopération technique entre les fascistes allemands et polonais ne se traduit pas seulement par l’approvisionnement à bon marché en revues, CD ou blasons. Depuis longtemps s’est mise en place une industrie de la musique et de la confection considérable qui selon des sources indépendantes rapporte des millions.

Cependant, cette coopération dans le domaine du terrorisme d’extrême-droite est bien plus dangereuse qu’elle n’y paraît. Quand début 1997, d’après les renseignements des services secrets allemands, les services secrets polonais Urzad Ochrony Panstwa (UOP) démantelèrent un bistrot, point de rencontre de néofascistes à Jawor, et opérèrent deux razzias à Wroclaw où était produit du matériel de propagande pour les néonazis allemands, personne n’imaginait encore que leur coopération allait continuer. Et pourtant, on a appris encore l’existence de vente et d’achat d’explosifs de part et d’autre de la frontière.

Jusqu’à présent, on n’a pas vraiment pris non plus la mesure exacte des échanges idéologiques. En août 2001, Alexandre von Webenau s’est rendu, à la tête de la délégation allemande du NPD, à une rencontre avec des néonazis polonais à Duszniki Zdrój dans les Sudètes. Le “camp d’été national-radical” organisé sur invitation par le NOP a également reçu la visite de néonazis de République Tchèque (HNS), de Roumanie, d’Italie, d’Irlande ainsi que celle de Derek Holland, le leader du ITP d’Angleterre. A la suite de la rencontre, von Webenau déclara: “Je me réjouis de ce que pour la première fois depuis 1936, des nationalistes polonais et allemands puissent de nouveau s’asseoir à la même table” . Par la suite, un leader du NOP, Jaroslav Madry, précisa que leur parti était également co-financé par des dons provenant de “nos amis allemands” . D’après les informations de Nigdy Wiêcej, des camps de formation internationaux identiques avec les néonazis allemands sont planifiés dans le futur, en Pologne.

La question du néofascisme en Allemagne, Pologne, ou en Europe ne doit pas être examinée isolément. Les idéologies d’extrême droite ont pris, après 1945, un tournant tel qu’il ne permet pas de réduire ce problème au potentiel de violence des skinheads. Il en est de même pour la situation en Pologne. Le fascisme n’est pas un problème marginal, il vient au contraire du cœur de la société. Pour beaucoup ou même pour la plupart des néonazis, il ne s’agit en aucun cas de “jeunes démunis, désorientés” . Ce sont au contraire des professionnels politiques formés qui savent bien exploiter les préjugés et les clichés de la société pour conduire à dessein au néofascisme.

Kamil Majchrzak*

* Étudiant à l’Université européenne de Viadrina à Frankfurt/Oder, il participe à des initiatives antifascistes