Vers la fin du capitalisme: penser les alternatives

de Christophe Koessler du Groupe post-capitaliste romand, 1 nov. 2019, publié à Archipel 286

Le Groupe postcapitaliste romand organise une conférence intitulée «Quels modèles alternatifs au capitalisme» le 12 décembre prochain à Lausanne1. Il explique ici pourquoi.

Depuis quelques mois, le constat tourne en boucle dans les médias et sur les réseaux sociaux: sans un changement radical de société, l’humanité est vouée à disparaître. Ce sont en tout cas des centaines de millions d’habitant·es de la planète terre qui sont menacé·es d’être éliminé·es par les désastres causés par le changement climatique et la perte de la biodiversité. Si rien n’est fait, c’est l’extrême droite, avec ses idées rétrogrades et xénophobes, qui pourrait prendre le pouvoir, en Europe comme ailleurs. La prise de conscience est là. Soudainement, un changement de paradigme a eu lieu et il nous pousse à agir. Nous ne pouvons que nous en réjouir, le terrain est devenu fertile pour créer une société plus juste et plus belle!

La conférence est organisée en partenariat avec la Fondation Charles Léopold Meyer. Thomas Coutrot, président d’Attac France et Antti Jauhiainen, spécialiste de l’économie participative, viendront d’abord nous expliquer pourquoi il est important de réfléchir à des alternatives globales au capitalisme, avant de présenter leurs propositions concrètes. Comme nous, ils se réjouissent de la multiplication très encourageante des alternatives locales depuis une dizaine d’années: coopératives de production et d’habitation, communautés paysannes telles que Longo maï, épiceries bio et autogérées, magasins du commerce équitable, squats, cantines itinérantes, médias associatifs, usines récupérées en autogestion, etc. Toutes ces initiatives sont enthousiasmantes et constituent les germes d’une autre société organisée globalement selon les principes de justice, d’équité, de démocratie, d’émancipation, d’entraide, de respect de l’environnement et d’égalité de genre. Mais, aussi essentielles qu’elles soient, elles ne suffisent pas. Dans un système tout entier dominé par la logique du profit et le pouvoir des grands groupes capitalistes, elles sont condamnées à rester à la marge. Pour en finir avec ce système, nous avons aussi besoin d’idées claires sur la manière dont une société toute entière pourrait être organisée. Il nous faut opérer un changement d’échelle. L’idée n’est pas de proposer une nouvelle Utopie, au sens de modèles parfaits auxquels il conviendrait de faire correspondre la réalité, mais de débattre sur les contours de possibles structures économiques et sociales à même de remplacer le capitalisme. Les mouvements révolutionnaires ont été échaudés, traumatisés par ce que des partis «communistes» ont pu faire avec des «projets de société», en particulier en Union soviétique et en Chine, et ils n’osent plus entrer en matière. Réaction d’humilité, besoin de reprendre notre souffle: nous avons appris la leçon, nous savons maintenant les dangers totalitaires d’une passion pour un idéal de société. Fort·es de cette prudence, désormais inscrite dans notre conscience contemporaine, nous sommes pourtant mûr·es pour remettre nos imaginations en marche. Car la capacité de mobilisation vis-à-vis de la réalisation d’une société non capitaliste dépend en partie de la force de «l’imaginaire collectif» que l’on nourrit.

Savoir qu’il y a des alternatives faisables, même si l’on est conscient que les idées que l’on s’en fait ne correspondront jamais exactement à la réalité future, nous paraît constituer une force mobilisatrice extraordinaire. C’est précisément ce qui manque à la gauche anticapitaliste aujourd’hui. Un idéal mobilisateur. La critique n’a jamais fédéré que des cercles de militant·es. Pour convaincre largement, il faut ouvrir des horizons possibles. Les «gens» ne nous suivent pas? Peut-être ont-ils raison puisque nous ne savons pas ou nous n’explicitons pas ce que nous voulons? Ces alternatives globales seront forcément diverses, renvoyant à la pluralité des convictions de chacun·e, aux différents niveaux de radicalité, aux jugements divergents sur ce qui est réaliste ou pas. Il faudra faire de cette diversité une force au lieu d’une source de divisions et de querelles intestines. Notre démarche s’inscrit dans un esprit de tolérance, de non dogmatisme, de non violence, de pragmatisme. Aussi, les deux conférenciers que nous invitons ont des divergences profondes. S’ils sont d’accord sur la nécessité d’une propriété collective de biens économiques, de l’abolition de la rémunération du capital et de l’adoption de l’autogestion sur les lieux de travail par exemple, ils divergent sur la question des marchés des biens et services privés. Alors que Thomas Coutrot estime qu’il est souhaitable de conserver les échanges marchands2 – sous une forme régulée et socialisée – Antti Jauhiainen se prononce pour une planification démocratique des biens et services, abolissant par là même toute concurrence entre collectifs autogérés. Il suit en cela l’alternative proposée par l’économiste étatsunien Michael Albert (Parecon, Participatory economics, 2003). L’heure du débat contradictoire viendra, mais l’important est d’esquisser d'ores et déjà les grandes lignes d’horizons possibles.

  1. La Conférence aura lieu à 18h30 à l’espace Dickens https://espace-dickens.ch.
  2. A lire en particulier dans le livre Jalons vers un monde possible, redonner des racines à la démocratie, de Thomas Coutrot, Le Bord de l’eau éditions, 2010.