ZAPATISTES: Que nous contamine le virus de la résistance et de la rébellion

de Cédric, Radio Zinzine, 15 oct. 2021, publié à Archipel 307

Les 14 et 15 septembre, en fin de matinée, ont atterri à Vienne 177 femmes, hommes et enfants zapatistes. Illes composent la délégation «extemporanéenne» c’est-à-dire «inopportune» qui dans les trois mois qui viennent vont sillonner l’Europe.

Le projet d’invasion zapatiste de l’Europe avait été rendu public en octobre 2020. Au printemps est arrivé, après une traversée de l’Atlantique en bateau, l’escadron 421, 4 femmes, 2 hommes et 1 trans. Cet escadron a renommé l’Europe Slumil K’ajxemk’op, ce qui signifie à peu près en Tzotzile «Terre rebelle qui ne se rend pas». L’idée était que la délégation extemporanéenne rejoigne l’escadron et participe à une grande manifestation le 13 août à Madrid. Il y a 500 ans, à cette date, tombait Tenochtitlàn, capitale de l’empire aztèque. A cause des tracasseries administratives aussi bien du côté mexicain (tu es indigène, tu n’auras pas de passeport) qu’européen (Ah, désolé, à cause du Covid, on ne peut pas vous laisser entrer), la manifestation, dont le message était «Ils ne nous ont pas conquis», eut lieu uniquement avec l’escadron 421.

Et depuis, l’Europe en bas et à gauche attendait des nouvelles de quand et comment le reste de la délégation allait venir. Et puis l’annonce est arrivée, puis les délégué·es…

L’accueil à Vienne était organisé par Zapalotta, une coordination de collectifs et individu·es qui se sont mis en quatre pour organiser en à peu près quinze jours logement, nourriture et transports pour 200 personnes. Et donc le 14 septembre, sous un soleil de plomb et près de 30 degrés à l’ombre, l’invasion a réellement commencé…

Après des mots de bienvenue, et la chanson mexicaine contre les féminicides canciòn sin miedo par une chorale féministe locale, le sous-commandant Moïses, porte-parole de l’EZLN, a fait un discours. Il a pointé le responsable de la destruction de la planète: le capitalisme. «Nous sommes venu·es vous dire une chose: si vous ne croyez pas que la destruction va empirer», a-t-il dit en parlant des catastrophes liées au changement climatique et au massacre de la nature, «vous le verrez». Il a ajouté que ce voyage était le voyage pour la vie, contre la mort, en particulier la mort de la nature, contre le capitalisme pour la rébellion et la résistance, avec pas mal de paraboles, dans la grande tradition des communiqués zapatistes. Moïses a aussi ajouté que le voyage est dédié aux disparu·es du Mexique et à leurs familles, car c’est une réalité très dure de là-bas. La dédicace était aussi destinée aux combattant·es zapatistes mort·es dans la lutte, en particulier lors de l’insurrection de janvier 1994. Un peu comme si l’esprit de ces mort·es passait sur l’Europe.

Tout ce moment était chargé d’une grande émotion. C’était aussi assez marquant de voir le télescopage entre les costumes indigènes pleins de couleurs des femmes zapatistes et l’ambiance d’un aéroport international, lieu symbolique de matérialisation du capital au travers des grandes publicités pour smartphone ou prêt-à-porter, sans compter les «Zapata vive, la lucha sigue!» et autres pancartes, affiches, slogans ou chansons…

Quelques mots sur la délégation Comme annoncé, il y a une majorité de femmes, on atteint sans doute les 70%. Il y a 28 groupes de quatre ou cinq personnes qui constituent les groupes d’Ecoute et de Parole, c’est-à-dire d’échange avec les collectifs, organisations ou individu·es les invitant dans toute l’Europe. Il est à noter la grande diversité d’âge des personnes présentes; depuis certain·es qui ont vécu la clandestinité1 jusqu’à des jeunes, troisième génération né·es dans le zapatisme. Ensuite, il y a la section milicienne Ixchel-Ramona, un groupe de 37 femmes, souvent très jeunes (quelques-unes ont plus de 25 ans, la majorité entre 18 et 21 ans). Cette section s’occupe de la sécurité, mais aussi de participer aux rencontres de football potentiellement organisées. Ensuite, il y a le Commando palomitas, le commando pop-corn, composé de 5 enfants, entre 3 et 10 ans dont le travail est de faire des blagues et autres espiègleries. «Nous n’avons pas à demander la permission pour manger du pop-corn!». «Pop-corn pour tou·tes!». Et pour finir, un groupe de sept personnes (presque que des hommes) est le groupe de coordination-avancement de la tournée.

Le CNI-CIG-FPDTA Pour cette tournée, les zapatistes ont invité des délégué·es du Congrès National Indigène-Conseil Indigène de Gouvernement-Front Populaire en Défense de la Terre et de l’Eau du Morelos, Tlxacala et Puebla, (CNI-CIG-FPDTA). Le CNI est né suite à l’insurrection zapatiste et coordonne la majorité des peuples indigènes du Mexique qui font face à la spoliation de leurs terres et à l’augmentation de la violence pour réaliser de grands projets nuisibles: barrages, mines, aéroport, autoroutes, privatisation des ressources en eau, etc.

En 2016, l’EZLN conjointement avec le CNI décide de présenter une candidate indépendante et indigène aux élections présidentielles de 2018. Ce sera Marichuy, une indigène Nahuà de l’Etat du Jalisco. Cette candidature sera sabotée, mais le CNI mettra en place le CIG, c’est-à-dire une table de 70 représentant·es (à parité homme et femme) des différents peuples indigènes qui élaborent collectivement un programme de gouvernement indigène pour le Mexique. Marichuy est devenue la porte-parole du CNI-CIG. Le FPDTA, est une coordination qui lutte sur les trois Etats mentionnés contre un méga projet de centrale thermoélectrique liée à un gazoduc et la mise en place de différentes usines. Un représentant du FPDTA avait été assassiné en février 2019, peu de temps après une visite de Lopez Obrador, président dit de gauche du Mexique2, qui dénonçait les opposant·es du FPDTA comme des réactionnaires anti-progrès.

16 personnes de ces trois organisations sont arrivées à Vienne le 22 septembre pour se joindre au voyage pour la vie. A son arrivée, au centre des femmes, Marichuy a prononcé un discours, empli d’émotion et de mots simples mais percutants.

Le harcèlement constant contre les bases zapatistes Comme à quasi chaque initiative publique que prennent les zapatistes, la réponse du gouverneur corrompu du Chiapas, des autorités mexicaines et des ennemis politiques des zapatistes est la violence et le harcèlement contre les communautés, bases d’appui de l’EZLN.

Le 11 septembre, au moment du départ de la délégation pour l’Europe, deux représentants du conseil de bon gouvernement numéro 10 (Caracol Nueva Patria) ont été séquestrés par l’ORCAO (Organisation Régionale de Caféculteurs d’Ocosingo). Cette organisation, née en 1988, a commencé son chemin proche des zapatistes, revendiquant un meilleur prix pour le café et dénonçant le problèmes d’accès à la terre. Au début des années 2000, le clientélisme à la mexicaine avait perverti et corrompu cette organisation, entraînant la rupture avec l’EZLN, les leaders étant intégrés dans le jeux des partis politiques mafieux mexicains. Depuis, cette organisation est devenue de plus en plus néfaste et dangereuse, détournant les subsides pour le développement de l’Etat chiapanèque pour acheter des armes. (3) Cette attaque n’est que le dernier épisode d’un harcèlement de plus en plus prégnant. Grâce à la mobilisation d’ONG des droits humains, de cercles catholiques progressistes et de la société civile internationale, les deux zapatistes ont été libérés après une semaine de captivité. Un communiqué du Sous-Commandant Galéano (4) en date du 19 septembre, «Le Chiapas au bord de la guerre civile» parle de la déstabilisation en cours au Chiapas. Il est vrai que depuis quelques années, les derniers mois en particulier, la violence augmente, y compris contre des entités qui avant étaient intouchables: défenseur·euses des droits humains, membres de l’église progressiste… Un membre, ex-président du conseil d’administration de l’association las Abejas d’Actéal a même été assassiné en juillet (5). Quelques jours après la séquestration des deux zapatistes, on apprenait qu’un zapatiste avait été assassiné dans une autre localité. L’augmentation de cette violence ainsi que l’impunité qui l’accompagne, a poussé des personnes à s’armer et à créer un groupe d’autodéfense, groupe apparu au printemps. Ce dernier communiqué évoque de manière plus ou moins précise cette situation et appuie sur le fait que les zapatistes sont à bout de patience, que cela fait des années qu’illes ne répondent pas aux provocations, mais qu’à l’avenir illes ne parleront plus, mais poseront des actes. A voir ce que cela signifiera. Galéano lance aussi un appel à l’Europe en bas et à gauche à la solidarité pour faire pression sur le gouvernement mexicain, pour arrêter la guerre au Chiapas. Ce rapide survol de la situation chiapanèque ne parle pas de la présence toujours plus forte du narcotrafic qui a nécessairement des liens avec les groupes paramilitaires, ne serait-ce qu’au travers du trafic d’armes. Mais ceci demanderait une étude en soi.

Cédric, Radio Zinzine

Vous trouverez un panel d’émission sur ce sujet sur le site http://radiozinzine.org, en tapant zapatiste dans le moteur de recherche.

Pour approfondir la situation paramilitaire au chiapas: «Stop à la guerre au Chiapas». En français: https://radiozapatista.org/?p=39915&lang=en

  1. l’EZLN s’est formée le 17 novembre 1983, l’insurrection a commencé le 1er janvier 1994. Pendant dix ans les zapatistes ont vécu et se sont organisé·es dans la clandestinité.
  2. Lopez Obrador ou AMLO a été largement élu en 2018, et se présente comme de gauche avec quelques programmes sociaux. Néanmoins, la violence et les assassinats en particulier contre les défenseur·euses des droits humains et/ou de la nature et des territoires n’ont fait qu’augmenter sous son mandat. L’impunité est de mise...
  3. Voir «La longue histoire de violence paramilitaire et d’impunité de l’ORCAO» sur http://cocomagnanville.over-blog.com/2021/09/mexique-la-longue-histoire-de-violence-paramilitaire-et-d-impunite-de-l-orcao.html
  4. Le porte-parole historique de l’EZLN, le sous-commandant Marcos est symboliquement mort en 2014. Marcos a pris le nom de Galéano, en hommage à un zapatiste assassiné. Par ailleurs, il se partage maintenant le porte-parolat avec le sous-commandant Moïses.
  5. Actéal est le nom de cette communauté très religieuse, organisée au sein de l’association las Abejas, qui partage les revendications des zapatistes mais pas le fait d’avoir pris les armes. En 1995, un massacre perpétré par des paramilitaires a vu la mort de 45 indigènes tzotziles, principalement des femmes et des enfants, qui étaient en train de prier dans l’église.