TERRE A TERRE: La mobilité à n’importe quel prix?

de Reto Sonderegger*, 10 août 2010, publié à Archipel 184

D’innombrables études et rapports ont montré que les agrocarburants ne tiennent pas les promesses faites par leurs partisans. Ils ne sont ni écologiques ni socialement durables. Au contraire: puisqu’ils proviennent de matières premières agricoles telles que soja, huile de palme, canne à sucre ou maïs, ils participent à la pérennisation et à l’aggravation des injustices et des destructions engendrées par le modèle économique dominant. Il n’existe pas de droit humain à une mobilité illimitée. Nous devons réapprendre à gérer et à vivre avec les ressources locales. Remplacer le pétrole par des carburants végétaux ne modifie en rien notre dépendance au pétrole. La production des matières premières agricoles nécessaires exige un emploi massif d’énergie fossile. Les énormes tracteurs, les engrais synthétiques, les pesticides, les transports jusqu’à la pompe utilisent, en tout cas pour le soja et le maïs, bien plus d’énergie que celle finalement fournie. A cela s’ajoute que la demande fixe d’agrocarburants politiquement planifiée en Europe renforce un modèle d’exportation, contrôlé par des multinationales, qui marginalise les populations locales, les expulse et les prive de leurs bases vitales. Les silos dans les républiques productrices de soja en Amérique du Sud sont emblématiques du contrôle territorial, comme l’étaient les châteaux et forteresses du Moyen Age européen et des débuts de l’ère moderne. ADM, Bunge, Cargill, Dreyfuss, Monsanto, Syngenta, Bayer, tels sont les noms des oligarchies qui allient technologies de pointe et société néoféodale.Les agrocarburants aggravent l’exode rural des familles paysannes qui produisent les aliments de base pour la population locale. De plus en plus de gens vivent entassés dans les taudis des mégalopoles du tiers-monde. Pour se nourrir il faut importer de plus en plus de denrées alimentaires. La dépendance s’accroît parallèlement à la perte de souveraineté et de démocratie des sociétés concernées. Dans ces situations, la nourriture devient vite une arme politique. Les couches urbaines pauvres tombent dans la dépendance des programmes d’assistance ou cherchent à survivre grâce à des structures mafieuses.Qu’il s’agisse d’huile de palme en Indonésie ou en Colombie, de soja au Paraguay, au Brésil ou en Argentine ou de bois d’Uruguay ou du Chili pour les agrocarburants de deuxième génération, les violences structurelles pour l’homme et l’environnement se répètent. Afin de maintenir le niveau de consommation au Nord, voire de l’augmenter, en faisant croire qu’on peut le faire de façon durable, des forêts intactes sont défrichées, des sols sont compactés, lessivés et détruits, la diversité des espèces est détruite, les réserves d’eau potable sont épuisées et l’air, le sol et l’eau sont pollués par des pesticides. Beaucoup de plantes énergétiques sont déjà modifiées génétiquement ou le seront bientôt. L’extension des monocultures va souvent de pair avec la mise en place dans l’espace rural de structures paramilitaires. En témoignent les exemples de la Colombie et du Paraguay.L’accaparement de surfaces énormes de terres au Sud pour permettre le délire de consommation et de mobilité du Nord n’est que la poursuite de l’histoire coloniale prédatrice et destructrice qui a débuté avec le débarquement de Christophe Colomb en 1492. Seule une réorientation radicale au Nord, une rupture avec le passé colonial et impérialiste peut ouvrir la voie à des solutions possibles. Seuls un ralentissement de notre vie trépidante et une réorganisation de la gestion de nos besoins, tenant compte de nos propres ressources, peuvent conduire à une solution de la profonde crise de civilisation à laquelle nous sommes confrontés.

* Né en 1975, agriculteur bio de formation, il a vécu 3 ans au Paraguay et travaille aujourd’hui en tant qu’ouvrier agricole et secrétaire du syndicat paysan Uniterre à Meinier (Genève).

Pétition

En Suisse, une large coalition d’organisations a lancé une pétition demandant au Conseil fédéral et au Parlement d’édicter des critères sévères d’autorisation des agrocarburants. La pétition est jointe à l’envoi d’Archipel en Suisse. Veuillez la signer et la diffuser. Vous pouvez également la télécharger sur www.petition-agrocarburants.ch