CHIAPAS/EUROPE: Dans les montagnes du sud-est de la France

de Cédric Bertaud, Radio Zinzine, 14 déc. 2021, publié à Archipel 309

Le 12 octobre, date anniversaire de la soi-disant découverte des Amériques, une délégation de zapatistes arrivait dans la région Sud-Est, conjointement avec un groupe de délégué·es du Congrès National In-digène mexicain, pour trois semaines de visites, rencontres, échanges et débats. Retour sur ces semaines intenses qui ont aussi traversé le littoral marseillais, et pas seulement les montagnes alpines. (1)

Le Voyage pour la vie, initié par le mouvement zapatiste, était pensé comme un double échange. D’un côté les zapatistes racontaient l’histoire de leur organisation et de l’autre les collectifs accueillants présentaient leurs luttes respectives et leurs problématiques locales. Les zapatistes avaient cinq points à présenter qui, si on leur en laissait le temps, pouvait prendre des heures.

Un peu d’histoire

Elle commence avec l’exploitation dans les fincas, grandes propriétés terriennes où les indigènes chiapanèques étaient esclavagisé·es, torturé·es, harcelé·es, violées…

Puis un groupe de 6 personnes, trois métis et trois indigènes, débarquent dans la jungle et fon-dent, le 17 novembre 1983, l’EZLN, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale. S’ensuit plus de dix ans de clandestinité où l’organisation grossit peu à peu. C’est la première fois que les zapa-tistes parlent de la période de la clandestinité. Et c’est vrai que c’est un travail énorme de cons-truire une armée de plusieurs milliers de personnes sans que l’Etat mexicain ne s’en rende compte. Puis, le 1er janvier 1994, c’est l’insurrection avec la déclaration de guerre de l’EZLN à l’Etat mexicain et la prise de cinq villes au Chiapas.

L’idée était, avec un vieux fond maoïsto-guévariste, que l’EZLN allait libérer les villes, villages et que le peuple nommerait ses autorités démocratiquement, et que tout cela se terminerait à Mexico… Le peuple a répondu, mais pas de la manière pensée par l’EZLN. Une énorme mobilisation populaire s’est interposée entre les deux armées pour arrêter la guerre, et forcer à la négociation. La suite est sans doute plus connue, les pourparlers de paix, conjointement avec le déve-loppement des MAREZ, Municipio Autonome Rebelle Zapatistes; la trahison par le gouvernement de février 1995, quand, tout en faisant croire qu’il veut négocier, il tente d’arrêter la commandance; la création des aguascalientes, lieux de contact entre le mouvement zapatiste et la société civile nationale ou internationale; la signature des accords de paix de San Andrès Larrainzar et leur non application; la marche de la couleur de la terre, en 2001 pour demander une dernière fois l’application des accords de paix, et la énième trahison de l’Etat mexicain avec son refus et son racisme anti-indigène; et pour terminer avec la création en 2003 des caracols conjointement avec les conseils de bon gouvernement et le développement de l’autonomie zapatiste…(2) L’autonomie zapatiste, dans son fonctionnement actuel et dans les différentes sphères de travail (santé, éduca-tion, justice, agroécologie, art et culture, etc.) était sans doute ce qui intéressait le plus les collec-tifs invitants, mais les zapatistes voulaient parler de toute l’histoire et portait une importance à la clandestinité.

Le Congrès National Indigène

Des représentant·es du Congrès National Indigène (CNI) avaient accepté l’invitation des zapa-tistes à se joindre à cette tournée. L’occasion de revenir sur les 25 ans d’existence de cette struc-ture qui tente de fédérer toutes les luttes indigènes du Mexique. Et de la dernière initiative d’ampleur lancée lors de la dernière campagne électorale présidentielle, en 2017. Le CNI, par le biais d’une instance créé à cette occasion, le Conseil Indigène de Gouvernement (CIG), voulait se présenter à l’élection. L’idée, au travers de cette tentative, n’était pas de prendre le pouvoir mais de visibiliser et de renforcer le CNI-CIG. Le CIG est composé de 150 membres, à parité hommes et femmes, délégué·es des 64 peuples (ou langues comme iels préfèrent dire) indigènes. Comme ce n’était pas possible de présenter autant de candidat·es, une porte-parole a été nommée pour por-ter cette candidature. Pour la première fois, le système électoral mexicain annonçait accepter une candidature indépendante des partis politiques, mais pour ce faire il fallait récolter presqu’un million de signatures. Histoire de corser l’affaire, ces signatures devaient se faire sur smartphone dernier cri que nombre de communautés n’ont pas les moyens de se payer, sans compter l’inaccessibilité à Internet…

Bref, le racisme d’Etat a encore frappé et empêché la candidature de Marichuy. Néanmoins le pari a été en partie gagné car le CNI-CIG est maintenant beaucoup plus et mieux connu au Mexique, et a été soutenu par des cercles discriminés mais pas nécessairement que indigènes, comme certains quartiers populaires ou ouvriers.

Les délégué·es du CNI-CIG venaient d’un peu partout au Mexique, et cela a été l’occasion d’écouter beaucoup de grands projets initiés ou amplifiés par ce gouvernement supposément de gauche et nationaliste. C’était un peu le musée des horreurs… A été présenté le mal-nommé train maja, qui devrait parcourir toute la péninsule du Yucatán depuis Cancun jusqu’au terres zapa-tistes de Palenque au Chiapas. Autour du train, des hôtels de luxe et autres infrastructures touris-tiques dont les indigènes locaux seront exclus, sauf peut-être pour faire le ménage dans les toilettes…

L’inquiétude porte sur l’accès à l’eau qui sera privilégié pour la manne touristique. Mais aussi sur l’infrastructure électrique, avec des champs d’éoliennes ou des parc photovoltaïques. Sans compter les effets secondaires néfastes comme le narcotrafic et/ou la prostitution.

Le train maya est en partie porté par la Deutsche Bahn. Mais comme un train peut en cacher un autre, il y a aussi, au niveau de l’isthme de Téhuantépec (la partie la plus étroite du Mexique entre la mer caraïbe et l’océan pacifique), le train trans-isthmique. Le canal de Panama étant saturé et en partie obsolète au vu du développement des portes-containers, l’idée est de le doubler en cons-truisant un canal sec, par train. Ceci nécessitera le développement de deux énormes ports, mais est aussi l’opportunité de créer des zones franches pour des usines de multinationales. L’isthme de Téhuantépec était déjà au centre d’une lutte contre la spoliation de terres due aux champs massifs d’éoliennes détruisant les communautés et implantés par des multinationales occidentales, dont EDF. Autre projet fortement contesté, qui a causé l’assassinat d’un opposant indigène, Samir Flores Soberania deux mois après l’élection d’Amlo (3), c’est le Projet Intégral Morelos. Réparti sur trois Etats, le Morelos (terres historiques de Zapata), Tlaxcala et Puebla, c’est le projet d’un gazoduc (au pied du volcan Popocatépetl, toujours en activité), pour alimenter une centrale thermoélec-trique qui fournira son énergie à des usines d’assemblage de voitures et autres usines… Si l’implication de quelques entreprises européennes, canadiennes ou états-uniennes sont connues dans tous ces projets, il est bien souvent difficile de les identifier car elles utilisent des prête-noms mexicains. C’était une des demandes du CNI de trouver en Europe quelles entreprises sont présentes pour les dénoncer chez nous. Une des dernière mentionnée était Danone, qui pourrit les nappes phréatiques en extrayant l’eau pour la revendre en bouteille…

Le Voyage en Provence

La délégation a donc parcouru une bonne partie de la région Provence-Alpes-Côte d’azur, en commençant par le Nord (après une cérémonie d’accueil dans le Luberon) et la filature de Longo maï à Chantemerle, près de Briançon. Une rencontre avec les collectifs travaillant sur la frontière et en solidarité avec les personnes migrantes a été organisée à cette occasion. Nous avons, le len-demain, marché avec le troupeau de moutons de Longo maï pour une étape de la transhumance dans les montagnes au dessus du lac de Serre-Ponçon, dans les couleurs automnales… Il serait sans doute fastidieux de tout détailler des différentes rencontres et collectifs, mais nous pouvons quand même citer pêle-mêle la fête de la confédération paysanne du 05, les visites des coopératives Longo maï de Cabrery, St-Martin-de-Crau et Grange Neuve, les mobilisations de défense des terres agricoles dans ces coins, le Collectif de Défense des Travailleurs Agricoles et Saisonniers (Codetras). Les luttes urbaines et marseillaises n’ont pas été oubliées, avec le Château en santé, le CHO3 (Collectif des Habitants Organisés du 3e arrondissement) avec sa diversité et son his-toire des migrations, l’Après-M, ce Mc Donalds récupéré dans le nord de Marseille et qui fait, entre autres, de la distribution de colis alimentaires… Ainsi que les associations et collectifs du centre ville. J’en oublie sans doute…

Les zapatistes ont annoncé qu’iels voulaient aller visiter les luttes sur les cinq continents, et que l’Europe n’était que le début, sans compter qu’on parle d’une possible deuxième vague en tournée européenne. C’est un dispositif unique de rencontres de grande ampleur qui a été mis en place. Il faut imaginer ces 28 groupes de 5 personnes sillonnant quasiment toute l’Europe pendant trois mois… Le mouvement zapatiste connaîtra la réalité sociale, politique et de lutte en Europe comme personne. Un processus de transmission dans les communautés est prévu à leur retour en terres chiapanèques. Et donc, l’avenir nous dira ce qu’il ressort de ce Voyage pour la vie, que ce soit les graines semées par les zapatistes en Europe, ou ce que les zapatistes retireront pour leur mouvement de toutes ces visites et discussions, mais il est sûr que quelque chose germera de cette initiative.

Cédric, Radio Zinzine

  1. Voir Archipel 300, février 2021, «Mexique – Chiapas, Une déclaration... pour la vie»
  2. Il existe beaucoup d’écrits sur les zapatistes et leur autonomie. Voici quelques références pour retrouver l’explication de ce concept et de sa pratique: Le bon dossier réalisé suite au passage de la délégation par le journal l’Age de faire dans son numéro de novembre. L’Age de faire – le journal, 17 Av. Balard – St Auban, 04600 Châ-teau-Arnoux-St Auban. <lagedefaire-lejournal.fr/la-democratie-de-lescargot>. Mais on peut aussi citer les livres de Jérôme Baschet: Adieux au capitalisme, Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, éd. La Découverte 2014, poche 2016. Avec Guillaume Goutte, Enseignements d’une rébellion. La petite école zapatiste, éd. de l’Escargot, Paris. Sur le net, il y a le site <espoirchiapas.blogspot.com> qui suit l’actualité du Chiapas, pas seulement zapatiste et qui a de très bon dossiers historiques, entre autres sur le mouvement zapatiste.
  3. Surnom d’Andrés Manuel López Obrador, président de la République du Mexique depuis le 1er décembre 2018.