Contre l’axe de la honte, un couloir de la solidarité

de Des participant·es au Transborder Summer Camp, 1 oct. 2019, publié à Archipel 285

Un échange réussi et une ambiance encourageante au Transborder Summer Camp en France: Plus de 500 activistes de toute l’Europe ainsi que du nord et de l’ouest de l’Afrique se sont retrouvé·es, en juillet 2019, dans la région de Nantes, pour un Camp d’été transfrontalier. Cette rencontre de cinq jours avait été initiée par le réseau Welcome to Europe qui avait invité pratiquement tous les groupes et projets actifs le long des différentes routes de l’exil. Le réseau Watch The Med Alarm Phone (WTM)1 était à lui seul représenté par des délégué·es d’un peu plus de vingt villes.

Le camp a commencé avec une foire-exposition No Border composée de divers stands d’information auprès desquels les différents groupes et réseaux présents ont pu entrer en contact: des activistes de la route des Balkans ont rencontré des membres du réseau Afrique-Europe-Interact, les amis de Top Manta2 de Barcelone ont partagé leurs expériences avec des personnes agissant sur Izmir ou bien Elsinki, des «passeurs de frontières» du sud de la France purent s’entretenir avec We’ll Come United3. Ainsi, dès le premier jour, une atmosphère d’encouragement mutuel s’est développée, qui a marqué l’ambiance des ateliers de discussion, des assemblées et évidemment des soirées musicales, théâtrales et de danse des trois jours suivants.

Les expériences et les questions concrètes concernant la mise en place et le renforcement des infrastructures pour la liberté de circulation des personnes et les mêmes droits pour tou·tes ont occupé une place centrale dans de nombreuses discussions. Et le fait que le thème du «Corridor de la solidarité» se trouvait en tête de liste du programme n’était pas dû au hasard. Le groupe de travail sur ce sujet, très fréquenté, était divisé en trois sous-groupes: le premier se concentrait sur la question de la réalisation de documentations transfrontalières, multilingues et sur la création de guides imprimés ou en ligne pour les pays de transit comme pour les pays d’accueil; le deuxième avait pour sujet les espaces de protection et de soutien comme par exemple les relais, les Centres sociaux (occupés) ou les cafés-conseils; le troisième visait les diverses projets de téléphone d’urgence et d’alarme le long des routes de migration.

A titre d’exemple, voici un résumé succinct de ce dernier atelier de travail auquel ont participé non seulement le réseau WTM Alarm Phone, mais aussi quatre autres projets de téléphone d’urgence: le projet d’Alarm Phone Sahara, une ligne d’urgence contre les refoulements à la frontière Slovène, un projet de téléphone aux frontières alpines franco-italiennes ainsi qu’un téléphone d’urgence contre les expulsions à Francfort. Il est vrai que les conditions générales et les impératifs pour chacun des cinq projets sont très différents, mais lors des échanges autour des différentes problématiques sont apparues d’intéressantes convergences.

Comment évolue chaque situation et comment peut-on rester flexible? Avec qui du côté gouvernemental ou institutionnel est-il envisageable ou incontournable de coopérer? Comment diffusons-nous notre numéro de téléphone? Comment organisons-nous nos permanences? Comment gérons-nous les barrières linguistiques et les traductions? Et surtout: que faire face à la criminalisation grandissante? Nous savons tou·tes que la répression étatique accompagne les conjonctures politiques et médiatiques et, si besoin est, crée de toutes pièces de prétendues infractions. Pour chaque projet, il suffit en principe d’apporter son soutien à des exilé·es ou des migrant·es en transit pour se faire accuser de faciliter l’entrée ou le séjour irrégulier. Nous sommes donc tout·es des «criminel·les de la solidarité». En conséquence la question se pose partout de savoir jusqu’à quel point nous pouvons présenter nos réseaux publiquement et de manière offensive ou autrement dit, qu’est-ce qui devrait plutôt rester invisible dans l’intérêt des personnes directement concernées?

Dans les cercles de discussion, le WTM Alarm Phone était le groupe présentant le plus de continuité; composé de nombreux groupes et plusieurs équipes, il est actif dans de nombreuses villes. Le caractère transnational et sciemment décentralisé de ce réseau devrait compliquer un démantèlement, d’un jour à l’autre, de cette hotline par les services d’investigation. D’autant plus qu’Alarm Phone a choisi une stratégie anti-criminalisation préventive, à l’instar de l’hydre: si une tête est coupée, deux autres repousseront. En tout cas, il s’agit d’avoir le souci de maintenir une structure de réseau au sein duquel les groupes peuvent s’interchanger dans leurs fonctions.

Au beau milieu de l’assemblée de clôture, sous le grand chapiteau du Transborder Summer Camp, une taupe pas du tout intimidée est sortie de son terrier juste à côté de la modératrice. Quelques-un·es des participant·es amusé·es ont fait l’association entre cet animal et un possible flicage des services secrets. Une interprétation alternative plus sympathique semblât, après les nombreuses discussions réussies du jour précédent, tomber sous le sens: la taupe comme symbole et incitation à continuer à agir en créant et en renforçant, au quotidien, l’Underground Railroad4 pour et avec les mouvements migratoires et d’exil. La rencontre transnationale près de Nantes a enthousiasmé plus d’un·e car elle a surtout apporté de l’inspiration à un niveau concret et qu’elle a permis de s’encourager mutuellement. En ce sens elle s’inscrit comme un point fort dans l’histoire de vingt ans de camps No Border.

  1. Un réseau animant depuis 2014 une hotline 24h/24 et 7j/7 pour les personnes en détresse en mer.
  2. Syndicat populaire des vendeurs ambulants de Barcelone
  3. Réseau de migrant·es auto-organisé·es, existant depuis deux ans, qui organise en Allemagne de grandes parades anti-racistes très mobilisatrices.
  4. Le chemin de fer clandestin était un réseau informel d’opposant·es à l’esclavage, noir·es et blanc·hes, qui apportait son soutien aux esclaves en fuite des Etats du sud des USA vers le nord, par exemple vers le Canada, plus sûr. Entre 1810 et 1850, environ 100.000 esclaves ont pu être libéré·es, grâce à un maillage d’itinéraires secrets, d’abris sûrs, de «passeur·euses» et de communications clandestines.