MIGRATIONS: ITALIE/FRANCE: La violence des frontières

de Michael Rössler, FCE Suisse, 10 avr. 2016, publié à Archipel 242

La France se dit prête à accueillir 24.000 réfugiés dans les deux années qui viennent, comme prévu par la Commission européenne, et cela dans un pays de 60 millions d’habitant·e·s qui expulse chaque année 30.000 personnes!

A la frontière italo-française, des réfugié·e·s de plusieurs pays en route vers le Nord, souvent l’Angleterre, bloqué·e·s là suite à la fermeture de la frontière se sont organisé·e·s en autogestion au sein du Presidio No-Border. C’est ainsi que les migrant·e·s, dont une bonne partie vient du Soudan, décrivent leur situation.
Pingpong humain
«En juin le gouvernement français a décidé de fermer la frontière avec l’Italie. Pour protester contre ce blocage entre Menton et Vintimille, nous sommes restés sur les rochers à quelques un·e·s, démontrant notre volonté de poursuivre et revendiquant la liberté de circulation et l’ouverture des frontières. Cette protestation a rallié des personnes venant de toute l’Europe.
C’est comme cela qu’est né le Presidio No Border. C’est un espace de résistance autogéré dans lequel migrants et activistes vivent et luttent ensemble contre la violence des frontières. Depuis juin, cette lutte continue et chaque semaine le Presidio no Border manifeste devant la frontière, face à la police contre les expulsions. Contrôles de police, arrestations, détentions exténuantes sont notre quotidien à la frontières franco-italienne. Chaque jour, à la gare de Menton Garavan des personnes sont sorties du train au regard de la couleur de leur peau et déportées au poste de la Police des frontières. Une fois là bas, ils et elles sont enfermé·e·s dans des conteneurs sans eau ni nourriture ni informations sur leur situation. La Police décide alors arbitrairement de les relâcher en France ou de les renvoyer en Italie, créant un étrange ‘pingpong humain’.» (…)
L’évacuation du camp
Vintimille, 30 septembre: c’est encore l’aube quand douze camionnettes de CRS font irruption dans le Presidio No Border. Avec des bulldozers et d’énormes containers de poubelle, l’expulsion qui a été envisagée depuis longtemps va se mettre en place.
Ils arrachent et ils jettent les tentes, les vêtements, la nourriture, les brochures d’information, les livres, le matériel pour les cours en anglais, français, guitares, les ballons, les meubles, les douches et les toilettes. La violence dévastatrice de ces bulldozers détruit le travail de mois d’auto-organisation, qui a mobilisé la solidarité de beaucoup de gens, qui a vu cet espace être traversé par une multitude de personnes, dont des migrants, des activistes de toute l’Europe, des gens qui se sont joints pour apporter des pâtes, du lait, de l’eau. (…)
Organisation collective
Ce que détruisent ces bulldozers, en fait – sous les yeux attentifs et terrifiés en même temps de la police – est avant tout un chemin d’autogestion, de lutte, motivé principalement par l’urgence de vivre ensemble.
Les migrant·e·s et les personnes solidaires vivaient ensemble, mangeaient ensemble, dormaient dans le même endroit, géraient ensemble la cuisine, le nettoyage du terrain, la sécurité pour empêcher les passeurs de rentrer, et ensemble ils se confrontaient dans des réunions horizontales (en arabe, italien, anglais et français) pour s’organiser contre la violence des frontières et la répression continue que rencontrent ceux qui essaient de les traverser.
A Vintimille, il n’y avait pas de place pour la pitié, la rhétorique de la charité chrétienne. A Vintimille, il y avait les corps, les regards, l’effort constant de se connaître, de se raconter au-delà des barrières linguistiques. (…)
Mais il y avait aussi une énergie vitale qui sortait de «coups» devant la frontière, dans l’improvisation de la musique et de la danse du Soudan, dans la conviction de ne pas être seul·e·s, de lutter avec les autres, à Vintimille il y avait le désir irrésistible de liberté. (…)
Et la suite
Sur la frontière franco-italienne, en seulement un mois, deux militants ont été arrêtés, 8 autres ont été refoulés avec un mandat, tandis que les passeurs sont autorisés à mener leurs négociations en face de la gare de Vintimille ou à entrer dans le domaine de la Croix-Rouge. (…)
Ils ont détruit un Presidio, mais pas un parcours, parce que Vintimille n’est pas juste un endroit. Vintimille est une idée de résistance qui repose sur un réseau établi au cours de ces trois mois, et qu’aucun bulldozer et aucune expulsion ne pourront jamais dégager.

* Cet article est composé de passages tirés de deux Déclarations du Presidio No Border d’octobre 2015, publiées dans leur intégralité sur le site de Marseille infos autonomes:
<mars-infos.org/+-no-borders-+>.
Pour plus d’info, en italien: <noborders20miglia.noblogs.org>