POLOGNE: Des lois qui rendent possible un arbitraire total

de Gudrun Membre du FCE, 27 avr. 2017, publié à Archipel 258

Lors des rencontres internationales sur la colline en Provence pendant l’été 2016, nous avons pu en apprendre beaucoup sur le durcissement des lois sur la surveillance et la migration, grâce à nos ami·e·s polonais·e·s. Depuis, les contacts s’intensifient et nous nous sommes rendu·e·s plusieurs fois sur place.

Lors de notre dernière rencontre à Varsovie au début de cette année, nous avons mené des interviews avec des activistes politiques qui se revendiquent anarchistes, cette seule appellation les mettant déjà dans le collimateur de l’Etat. Pour elleux, cette identité est importante pour bien faire la distinction avec des mouvements autoritaires, stalinistes.
La loi antiterroriste
Le Parti national et conservateur PiS1 (Prawo i Sprawiedliwosc - Droit et Justice) a été élu en octobre 2015 à la majorité absolue. Celui-ci dirige le pays d’une manière de plus en plus autoritaire et porte atteinte aux droits fondamentaux. Trois modifications capitales de la loi concernent la mise en place de la loi antiterroriste ainsi que les modifications du droit de réunion et de la loi sur la surveillance.
En avril 2016, le PiS a proposé une nouvelle loi antiterroriste au Parlement. Les médias font preuve de peu d’intérêt pour une loi pourtant aussi décisive et la manifestation de protestation ne parvient pas à rassembler plus de 100 personnes dans les rues de Varsovie. La nécessité d’une telle loi a été justifiée par le besoin d’améliorer la coopération entre les différents services de renseignement à l’occasion du sommet de l’OTAN (juillet 2016) et des Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ, juin 2016). Les «actes terroristes» ou la nature de la «menace» ne sont que vaguement définis.
Le gouvernement peut ainsi utiliser toute une série de mesures spéciales et se dote d’un moyen efficace pour contrôler les manifestations publiques. La loi contient la possibilité de décréter un état d’urgence en quatre niveaux, de tirer pour tuer, d’interdire aux prévenu·e·s comme à leurs avocat·e·s l'accès aux dossier et de lever le secret professionnel (médecins, assurance maladie, psychiatres). Les prêtres ne sont pas concernés par ces mesures, ce qui n’est pas étonnant quand on sait les relations directes que le PiS entretient avec l’Eglise.
Grâce aux restrictions de la liberté de réunion, le chef de la police locale peut à tout moment mettre fin à une réunion publique. De plus, les manifestant·e·s peuvent tomber sous le coup de la loi antiterroriste pour le blocage d’une autoroute (par exemple). D’après le PiS, ces formes d’actions «perturbent le système économique dans une large mesure», ce qui peut désormais être assimilé à du terrorisme.
La loi de surveillance
Les modifications apportées à la loi de surveillance offrent à l’Agence de sécurité intérieure (ABW)2 ainsi qu’à la police un accès illimité aux données bancaires des établissements publics, aux registres municipaux, aux fichiers de la police ainsi qu’aux communications téléphoniques, écrites et aux mails. Cela sans obligation d’obtenir l’autorisation préalable d’un juge et sans aucun moyen de contrôle.
Sont notamment concerné·e·s par la loi sur la surveillance les personnes résidant en Pologne non détentrices d’un passeport polonais et les personnes classées comme «population de passage».
Les citoyen·e·s polonais·e·s qui sont en contact avec elleux peuvent également être concerné·e·s par les paragraphes qui veulent explicitement restreindre les droits des «étranger·e·s». Les conversations téléphoniques peuvent être écoutées sans décision préalable d’un·e juge et l’identité vérifiée à tout moment à l’aide des empreintes digitales.
Une bombe inventée
Un mois après le projet pour une nouvelle loi antiterroriste, trois anarchistes ont été arrêtés par la police à Varsovie. Ils sont engagés dans des actions antifascistes, les luttes pour les droits des migrant·e·s et deux d’entre eux font partie de l’initiative «ROD»3 qui est depuis longtemps dans le collimateur de la police. En 2015, un groupe a occupé d’anciens jardins ouvriers en friche pour créer des jardins collectifs. Cette initiative veut ainsi participer à l’autonomie alimentaire, lutter contre la privatisation et la bétonisation. Ils font partie du réseau européen Reclaim The Fields. Ils ont été inculpés sous les chefs de «terrorisme, possession illégale d’explosifs avec intention d’incendie volontaire sur une voiture et un bâtiment de la police». Ils étaient seulement en possession de deux bouteilles en plastique remplies de carburant diesel.
A la suite de leur arrestation brutale a commencé une chasse aux «terroristes». Les médias de masse reproduisent la propagande étatique, ils diffusent sur les écrans dans les transports en commun les images des trois anarchistes en tenue de prisonniers. Dans toute la Pologne, les médias rapportent des menaces d’attaques à la bombe qui se sont toutes révélées fausses. C’est dans ce climat de «peur» que la loi entre en vigueur en juin 2016, sous la houlette du Parti Droit et Justice. Après trois mois en cellule d’isolement, ces trois personnes sont libérées sous caution (20.000 zlotys chacune, soit 4.800 euros). Ils ont interdiction d’entrer en contact les uns avec les autres, de quitter le territoire polonais et doivent pointer régulièrement au commissariat. L’accusation de terrorisme est tombée après qu’une quatrième enquête du Parquet a confirmé que les bouteilles en plastique ne contenaient que du gasoil, ce qui rend inopérante l’assimilation à une bombe. Les charges pour terrorisme se transforment ainsi en «tentative de destruction d’un bien privé», ceci alors même que rien n’a été dégradé et que le matériel saisi ne pouvait être utilisé à cette fin. Contrairement à l’essence, le gasoil est difficilement inflammable. Ils encourent de trois à cinq ans de prison. La proposition des anarchistes de faire des travaux d’intérêt général en plus des trois mois de prison déjà effectués a été rejetée.
Kasia, du groupe de solidarité au wawa34 que nous avons rencontrée en janvier 2017 en Pologne nous précisait: «ce procès est une affaire politique. Les personnes ont été arrêtées juste une semaine avant l’introduction des lois anti-terroristes et tout de suite accusées de cette manière. (...) Toute cette affaire a été montrée comme une sorte de succès énorme de la police. Il y avait des conférences de presse dans lesquelles il se disait qu’ils avaient attrapé des criminels vraiment dangereux. (...) Après, nous savons que les flics ont piégé nos amis, c’est à dire qu’ils ont bien observé et se sont bien préparés avant toute cette action. Et après quatre mois, ces criminels dangereux peuvent sortir dans la rue. Maintenant, le fait que les accusations peuvent être revues à la baisse, cela signifie que c’est un jeu politique cynique dont les wawa3 ont payé le prix.»
Des conditions d’incarcération draconiennes
Nous avons questionné les trois sur leurs conditions d’arrestation, Jakub5 témoigne:
«Les premières 72 heures, j’étais au commissariat de police, beaucoup d’activistes connaissent déjà ça (...). Après, j’ai été transféré dans la cellule pour les dangereux, la cellule N [quartier de haute sécurité] ce sont des cellules d’isolement (...). Il y a des caméras dans les salles de bain et dans le dortoir et des vitres opaques aux fenêtres afin de ne pas voir à l’extérieur. Tout est fait pour que tu n’aies pas de contact avec le monde extérieur. Dans la cellule, il y a des radios que tu peux juste mettre en marche et arrêter. Tu n’as pas le choix des programmes que tu écoutes. (...) La radio est très importante pour construire chaque jour; elle a ouvert et fermé le temps que j’ai passé en prison. La première fois que je l’ai allumée, ils ont parlé d’une manifestation en face de la prison dans laquelle j’étais. Je pouvais entendre des potes crier: «Vous nous faites pas peur.»(...) J’ai aussi appris que j’allais sortir de prison par la radio.(...) Chaque personne en prison a sa propre manière de survivre. (...) Dans la cellule de haute sécurité, tous les jours commencent à 5h40. (...) C’est le moment de demander des choses aux matons.(...) La première chose que je demandais était un stylo et quelques morceaux de papier. (...) Après le petit-déjeuner, jusqu’au prochain repas, il y a moyen d’aller une heure en promenade.»
Janosh: «J’étais vraiment heureux d’avoir la promenade, je l’attendais et finalement je me suis promené dans seize mètres carrés avec des murs de quatre mètres de hauteur autour et une barre de fer au dessus, je m’en fous de ce genre de promenade.»
Jakub: «La prison de haute sécurité définit le prisonnier comme une personne dangereuse pour le système pénitentiaire, pour les matons et pour la société. (...) Du coup, toutes les interactions entre moi et les matons se faisaient à travers les barreaux. (...) Pour faire la promenade par exemple, il fallait être menotté derrière, des fois par les pieds aussi.»
Andrzej: «Pendant les cinq mois passés là-bas, j’ai reçu cinq lettres de mes proches. Quand je suis sorti, le procureur m’a donné 45 autres lettres. Je n’avais aucune idée des campagnes de solidarité en Pologne, ni du monde. Je ne savais rien. J’étais positivement impressionné.»
Isolés et maltraités
Nous avons demandé à Andrzej, qui était mineur lors de son arrestation, les conditions particulières dues à son âge.
Andrzej: «Selon les lois polonaises, passé 17 ans, tu es traité comme adulte dans le contexte pénal. (...) L’unique chose que cela aurait changé, (...) si j’avais été dans les conditions normales, dans une prison de droit commun, c’est qu’ils n’auraient pas pu me mettre en cellule avec des gens de plus de 21 ans. Mais comme nous étions arrêtés et accusés pour des paragraphes concernant le terrorisme, nous avons été directement mis en isolement.»
Selon les wawa3, les trois prisonniers n’ont pas eu de contact avec leurs avocats le premier jour, nous les avons questionnés sur ce point.
Andrzej: «Pendant mon arrestation, j’avais le numéro de mon avocat dans ma poche mais quand j’ai demandé aux flics d’aller le chercher (...) ils m’ont répondu qu’ils n’avaient rien trouvé.»
«Nous avons été arrêtés un lundi. Le mercredi, (...) nous avons vu des juges d’instruction (...), c’était la première fois que je voyais mon avocat. Du coup, je n’avais pas vu ma famille. Je les ai vus pour la première fois quand on m’a amené au tribunal le mercredi.»
Janosh: «J’ai vu mon avocat trois minutes avant de rentrer dans la pièce dans laquelle était le procureur (...) dans un couloir avec tous les flics autour.(...) J’ai pu parler vraiment la première fois avec mon avocat dix ou douze jours après mon placement en maison d’arrêt.(...) Il n’y avait aucune possibilité d’appeler, je ne pouvais même pas savoir s’il allait venir et quand. On peut s’imaginer attendre parfois 45 minutes pour l’autobus, c’est un peu trop, mais attendre sept ou huit jours sans aucune information sur le moment où cela va se passer, sans rien d’autre à faire qu’attendre, cela fait vraiment beaucoup.»
Janosh a été gravement maltraité, voire torturé, lors de son arrestation. Pendant notre séjour à Varsovie a eu lieu la seconde audience pour décider de la tenue d’un procès contre les policiers ayant procédé à l’arrestation. Le procès a été enclenché par le procureur, car pendant le transfert du commissariat à la prison de Varsovie, les fonctionnaires pénitentiers ont constaté les blessures de Janosh afin que la culpabilité ne leur soit pas attribuée. Le procés a été ajourné car le juge n’avait pas le temps de lire le dossier.
Un migrant gênant
Ameer Alkhawlany, irakien, doctorant en biologie à l’Université de Cracovie, est une autre victime du durcissement des lois et du racisme d’Etat. Nous avons pris contact avec le groupe de soutien Solidarni z Ameerm qui lui a téléphoné et a rendu publique une de ses lettres: «Quelqu’un m’a appelé peu avant les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ). Ils m’ont invité à un entretien et m’ont précisé qu’il s’agissait d’un contrôle de routine avant les JMJ. Là, les agents de l’Agence de sécurité intérieure (ABW) m’ont posé beaucoup de questions sur moi, ma famille, mes amis et mes frères. J’ai répondu à toutes ces questions. Ensuite, ils m’ont dit, très bien, nous voulons simplement que tu te rendes à la mosquée de Cracovie. Je leur ai expliqué que je ne suis pas croyant et que je ne vais sûrement pas à la mosquée de Cracovie. Ils m’ont répondu qu’il s’agissait simplement pour eux que je découvre ce qui s’y dit. J’ai refusé. A la fin de la conversation, ils m’ont contraint à signer un document qui m’obligeait à garder le silence sur cet entretien sous peine de poursuites judiciaires.»
Ameer a également refusé la proposition de l’ABW de voyager à travers la Pologne pour recueillir des informations sur les personnes de confession musulmane. Il a été contacté une seconde fois et il lui a été clairement signifié que s’il coopérait, il n’aurait pas de problème avec son droit de séjour. Cela est d’abord resté sans conséquence. En septembre, son permis de séjour a même été prolongé jusqu’à fin janvier 2017. Sa situation a toutefois changé de manière radicale le 3 octobre 2016, lorsqu’il a été arrêté par la police des frontières et présenté à la justice où il a été décidé immédiatement de l’incarcérer et de l’expulser. Il n’y a eu aucune preuve ou motif avancés, seulement une «note» de l’ABW. Il est depuis ce jour en rétention. «Le deuxième jour de mon incarcération, j’ai été appelé pour un interrogatoire. Les mêmes agents (de l’ABW) étaient présents. Ils m’ont demandé comment j’allais. J’ai répondu que j’allais devenir fou car je ne comprenais pas pourquoi j’étais ici. Ils m’ont dit que c’était de ma faute si j’étais en prison, puisque je n’avais pas voulu coopérer. Ils ont dit aussi que je ne méritais pas d’être en Pologne et que j’allais être expulsé deux semaines plus tard... Ils ont également menacé d’expulser mes frères. L’un étudie en Allemagne, l’autre à Cracovie.»
Début janvier, le groupe de soutien à Ameer a appris que le ministère irakien de l’Enseignement Supérieur et de la Science, après une visite en Pologne, a interrompu tous les programmes de bourses d’études avec la Pologne et les a transférés en Allemagne. Ameer n’a toujours aucun accès à son casier judiciaire, qui a été classé «confidentiel», ce qui rend toute défense impossible. Sa détention a été prolongée jusqu’au 3 avril 2017. N’étant pas un citoyen polonais, il doit assumer tous les coûts de procédure, les frais d’hébergement et de nourriture dans le centre de détention. En prison, Ameer a décidé d’informer sur les agissements de l’ABW. La décision de le libérer est entre les mains de l’Agence d’immigration, sa demande d’asile étant actuellement en cours d’examen.
Nous restons en contact avec les personnes poursuivies et les groupes de soutien en Pologne et continuons à relayer les informations sur la situation. Il est très important qu’ils ne restent pas seuls.

  1. Le parti Prawo i Sprawiedliwo[ a remporté les élections avec 37,6% des suffrages, ce qui lui permet d’avoir 235 sièges sur 460 au Parlement. Pour la première fois dans l’histoire de la troisième république polonaise et la fin du communisme, le gouvernement est tenu par un seul parti.
  2. L’Agencja Bezpieczenstwa Wewnetrznego est l’équivalent polonais de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur français.
  3. Pour en savoir plus sur le projet ROD: <reclaimthefieldspl.noblogs.org/obrona-rod/>
  4. Tout de suite après l’arrestation, un groupe s’est créé pour soutenir juridiquement les trois arrêtés, échanger des courriers pour soulager leur temps en prison et faire des campagnes d’information. Pour en savoir plus: <wawa3.noblogs.org/>
  5. Les noms ont été modifiés.