NUCLEAIRE - TANZANIE: Extraction de l’uranium, environnement et santé

de Hannes Lämmler, FCE-France ,Guenter Hermeyer BI-Lüchow Dannenberg, 19 févr. 2014, publié à Archipel 222

En Tanzanie, l’uranium devrait être extrait à trois endroits différents. Un terrain arraché à un parc naturel, la Selou Game Réserve, site protégé par l’Unesco comme patrimoine mondial; un vaste champ de riz à Bahi et un site fertile, actuellement géré et exploité par l’Eglise catholique à Manyoni, à une heure et demie en voiture de la capitale Dodoma. Ces terres seront ainsi transformées en dépotoirs miniers radioactifs. Le gouvernement n’apprécie guère l’opposition à ces projets.

Des experts de l’uranium, des médecins et des scientifiques de différents pays ont visité ces sites et ont mis en garde la population et le gouvernement, confrontés à ce choix «diabolique»1, à l’occasion de la conférence «Les conséquences de l’uranium pour la santé et l’environnement»2. Cette rencontre, après celle de 2012 à Bamako, était aussi l’occasion pour une délégation de trois membres de l’initiative citoyenne ARACF Falea, Mali (voir Archipel N° 204, mai 2013) qui s’oppose à un projet de mine d’uranium, de prendre contact avec l’opposition tanzanienne. Voici un bref résumé.

Le premier jour

Mardi 1er octobre 2013, notre groupe international est au complet à l’aéroport de Dodoma. Neuf véhicules nous transportent dans les environs de Bahi, où nous découvrons les terres et la situation des villageois. C’est la saison sèche et l’on voit des tubes de plastique bleu qui dépassent d’environ un demi-mètre. Ils ne sont pas étanchéifiés! Depuis que des forages d’exploration ont été effectués sur ces terres, des personnes qui y travaillent se plaignent d’irritations de la peau et d’eczéma, qui proviendraient des produits chimiques utilisés lors des forages, contaminant ainsi l’ensemble des zones humides. Après la visite des terres – comme l’exige la coutume du village, nous allons signer le livre des visiteurs à la mairie.

Devant ce bâtiment un grand nombre d’habitants nous entoure et des questions fusent dans tous les sens. Sur le chemin du retour la police arrête le convoi. Elle prétend que nous avons provoqué un tumulte dans le village et nous invite à la suivre à la station de police proche pour interroger l’un des organisateurs de la visite, Anthony Lyamunda, conseiller élu du district. Ceci dure quelques heures. Ce n’est que l’arrivée de l’avocat Tindu Lissu, venu exprès de Dodoma, qui met fin à l’interrogatoire. Nous retournons à la capitale où aura lieu le lendemain la première partie de la conférence. Les organisateurs prévoyaient d’abord Bahi, afin qu’un grand nombre d’habitants puisse y assister. Les mêmes raisons invoquées pour l’interrogatoire ont été avancées pour imposer Dodoma comme lieu de conférence. Malgré cela, plus de 250 personnes de Bahi et Manyoni viennent le lendemain par bus à Dodoma.

Plusieurs scientifiques et des intervenants du Canada, des USA, de l’Australie, de l’Afrique et de l’Europe ont informé les quatre cents participants à la rencontre de DODOMA sur les dangers et les effets de l’exploitation minière de l’uranium. Quant au ministère de l’Energie, il a annoncé par communiqué que l’extraction de l’uranium n’est pas dangereux, mais nécessaire pour le développement du pays (The Guardian, 10/02/2013).

Hellen Kijo Bisimba, directeur juridique de Legal and Human Rights Centre (LHRC), Joan Leon de la Fondation Rosa Luxemburg de Dar Es Salaam et Günter Wippel (Freiburg, D) du réseau Uranium Network se sont félicités de pouvoir accueillir une nombreuse audience en grande partie nouvelle. Plus de quatre cents personnes étaient présentes ici. Mais peu de gens de Bahi et Manyoni ont pu faire le voyage de huit heures à Dar es Salaam. Le ministre tanzanien de la Santé, Dr Hussein Mwinyi en dialogue avec Dr Andreas Nidecker (IPPNW Suisse), ouvre officiellement la conférence. Dans un entretien pour Radio Zinzine et Archipel, M. Mwinyi confirme par sa réponse ce qui se sait depuis les premières mines d’uranium: la phase de réhabilitation des sites n’est pas du tout maîtrisée.

Hilma Shindola-Mote décrit l’exploitation des ouvriers des mines et l’absence de protection du travail en Namibie. Une protection, selon les exploitants de mines, ne serait pas nécessaire puisque «de faibles doses de rayonnements ne seraient pas dangereuses», malgré la preuve du contraire apporté par Hilma dans son étude de 2008: «Mystery behind low level Radiation»3. Robert Mtonga de la IPPNW Zambie a déclaré que «la tuberculose chez les mineurs représente actuellement le pire problème de santé en Zambie». Un tiers de la population active en Zambie travaille dans les mines.

Thomas Seifert, professeur de géologie à l’Université de Freiberg (D) explique les maladies «mystérieuses» de mineurs dans l’Erzgebirge (D). Depuis le Moyen Age, on y extrait le minerai d’argent et les mineurs inhalent le gaz radon libéré dans les parties uranifères. Ceci cause des cancers du poumon et représente encore aujourd’hui l’un des principaux problèmes des mineurs.

Mariette Liefferink est d’Afrique du Sud. Elle travaille pour la Fédération pour un environnement durable. Elle décrit l’héritage des mines comme troisième fléau de la planète juste après le réchauffement climatique. «Les sociétés des mines partent ailleurs, pendant que les gens restent sur place et continuent à vivre dans le voisinage de tas de résidus au rayonnement comparable à l’intensité du rayonnement de Tchernobyl.» Les vents portent des particules d’érosion et des gaz à partir de ces mines délaissées sur de grandes distances. On a pu détecter des résidus des ces mines de l’Afrique du Sud en Tasmanie4. Les calculs coûts-bénéfices sont toujours faits pour le fonctionnement continu de la mine, sans prendre en considération les coûts après la fermeture des mines. La gestion des post mining costs5 n’existe pas dans les calculs des grandes organisations telles que la Banque Mondiale, qui élaborent les normes internationales. La mine de Wismuth SDAG6 – la plus grande mine d’uranium de l’Europe – n’a jamais généré de bénéfices, selon le Professeur Urs Ruegg, pharmacologue et président de IPPNW Suisse. 80-90% de l’uranium extrait ont été utilisés dans la technologie des armes.

Nouhoum Keita, de l’initiative Citoyenne de Falea ARACF (Mali), a déploré l’ignorance quasi généralisée sur les activités des sociétés transnationales et la précarité de son pays malgré l’extraction annuelle d’au moins 50 tonnes d’or destinées à l’exportation. Son compatriote Cheik Oumar Camara, vice-président du cercle (département) de Kéniéba, auquel appartient la communauté Falea (<www.falea21.org>) décrit les agissements des sociétés transnationales comme «un génocide régional». Il est déterminé à poursuivre la lutte «sans armes mais avec intelligence jusqu’à la fin». Enfin, nous entendons Soly Ramatou du Niger, où la transnationale AREVA extrait depuis 40 ans l’uranium pour les centrales nucléaires françaises et pour le marché mondial. «A partir de trois heures du matin, il est possible de se procurer pendant une heure de l’eau, alors que les mines d’Arlit7 consomment environ 900.000 m3 par heure.» AREVA est le plus grand employeur au Niger, mais l’argent va dans ses poches et dans celles de quelques membres du gouvernement, alors que la population est l’une des plus pauvres du monde. La conclusion de Soly: «Contrairement à nous, Falea a toujours le choix de refuser la mine. Et nous devons les aider.»

La Commission de l’énergie atomique Tanzanie (TAEC) a été créée en 2003 avec la Loi N°7 sur l’énergie atomique et son utilisation sûre et pacifique, pour promouvoir la santé et la prospérité de la population tanzanienne. Selon le conseil national de gestion de l’environnement (National Environnement Management Council (NEMC), l’attribution d’une concession d’extraction oblige la réalisation d’une étude d’impact environnementale et sociale (EIES) mais la Tanzanie ne dispose pas encore d’experts qui peuvent, d’une manière critique, accompagner une telle étude.

Là où l’extraction de l’uranium s’effectue déjà depuis quelques années, comme au Niger ou au Canada, on peut constater les erreurs désastreuses commises par des politiciens et des sociétés transnationales, qui veulent profiter aujourd’hui et dans les années à venir des normes environnementales et sociales particulièrement faibles en Afrique pour réaliser des bénéfices encore plus grands. Dans le cas de la Tanzanie, il y a des entreprises d’Australie, de Russie et d’Afrique du Sud dans cette course.

La deuxième journée

Elle débuta avec un rapport d’Andreas Nidecker (IPPNW Suisse) sur la situation du marché de l’uranium comme source d’énergie, notant entre autres que les coûts de production d’uranium sont actuellement plus élevés que la valeur de sa vente. Il constate que les changements dans le marché de l’énergie dans son ensemble expriment une tendance vers une réduction de l’approvisionnement en énergie nucléaire.

Le Professeur Sebastian Pflugbeil explique l’histoire de Wismuth en Allemagne de l’Est, qui était alors la plus grande mine d’uranium au monde et met en garde tout le monde au sujet de l’extraction de l’uranium: «il est impossible de renaturer entièrement les zones minières.» Il explique comment Areva, la transnationale française, a appris de l’exemple de Wismuth. Ainsi elle exploite au Niger un hôpital privé dans les mines pour éviter que les maladies des mineurs soient évaluées de manière indépendante.

David Fig de Johannesburg, combattant de longue date contre les mines d’uranium et les centrales nucléaires en Afrique du Sud, met en évidence l’importance de comprendre toute la chaîne nucléaire. Depuis seulement dix mille ans, l’humanité est impliquée dans l’agriculture. A l’exemple de Bahi, il explique qu’une mine d’uranium transforme un champ de riz en une fosse à déchets, qui peut contaminer l’environnement pour des centaines de milliers d’années. Face à ce propos, les arguments du gouvernement tanzanien ne pèsent pas lourd. Celui-ci claironne que «la nouvelle mine va créer quelques centaines d’emplois et que la durée de l’exploitation minière de l’uranium est estimé à 30, peut-être 50 années». Ce qu’il ne dit pas: après ces années, la rizière restera un désert radioactif pour des générations.

«Les gens qui vivent ici doivent être impliqués dans la prise de décision. Le gouvernement ne voit apparemment que l’argent à court terme qui devrait être généré par la mine». Amani Mustafa Haki-Madini du Niger souligne la dépendance du gouvernement par rapport aux sociétés transnationales et son attitude qui en résulte face aux activités minières. Les gouvernements écartent systématiquement les voix de la population, tandis que les entreprises dépensent une part toujours plus importante de leurs bénéfices pour la sécurité8, parce que l’exploitation minière chasse toutes les autres activités, comme l’agriculture, et conduit à l’expulsion des personnes qui vivent près de ces mines.

L’espérance de vie moyenne en Tanzanie est actuellement de 56 ans mais de 40 ans dans les zones minières. Madini plaide pour impliquer les habitants au bon moment et se demande comment le pays peut gagner de l’argent avec des mines d’uranium sans avoir réussi cela jusqu’à présent avec les mines d’or.

Anthony Lyamunda, directeur de l’ONG coorganisatrice Cesope9 décrit les visites des futurs sites miniers d’uranium à Bahi et Manyoni et l’expérience avec la police. Divers intervenants locaux complètent son récit. Un conseiller du district de Bahi souhaite que les ressources locales soient détenues par les habitants de Bahi et non pas par le gouvernement comme c’est imposé par la loi.
Anthony constate une fois de plus que la Tanzanie n’a pas pu tirer bénéfice des investissements internationaux et qu’ils vont attendre le moment où ils auront leurs propres experts pour décider alors comme Tanzaniens. Après l’adoption d’une déclaration commune, le Congrès prend officiellement fin.

Bien que l’extraction d’uranium ne soit actuellement pas rentable, on continue dans plusieurs pays africains à attribuer des concessions d’exploration et d’exploitation.

L’énergie nucléaire existe encore à cause de financements étatiques annuels à hauteur de millions d’euros par le traité de l’Euratom10, grâce aux subventions accordées aux lobbies de l’armement militaire, à cause des avantages dus à la situation accordée aux exploitants des centrales nucléaires et la socialisation à la fois de la renaturation et de la réhabilitation des sites. Ce sont les Etats – et donc ceux qui payent les impôts – qui prennent en charge les sommes gigantesques nécessaires pour l’élimination des déchets d’uranium.

A cela s’ajoute la soumission de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA)11. Le lobby nucléaire empêche ainsi, grâce à cette agence internationale basée à Vienne, l’indemnisation des travailleurs et de leurs familles subissant des irradiations dans les mines d’uranium et dans les centrales nucléaires; l’adaptation des polices d’assurance pour les dommages potentiels causés par les accidents nucléaires, la poursuite juridique des responsabilités personnelles des dirigeants, la participation de la population selon les principes fondamentaux du «consentement préalable, libre et éclairé», la création de fonds publics pour la gestion des réserves des exploitants de centrales nucléaires et - à ne pas oublier - le traitement international et indépendant de la catastrophe de Fukushima.

* L’intégralité de l’article est disponible sur le site <www.falea.fr>

  1. Titre du Guardian du samedi 5 octobre 2013 «Uranium Mining: Tanzania faces the devil’s choice, experts warn».
  2. Organisée par Internationale des Médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW), l'uranium network, le Cesope, la LHRC et la Fondation Rosa Luxemburg.
  3. Mystère de l’irradiation à doses faibles.
  4. Petite île au sud de l’Australie (Melbourne).
  5. Les frais après l’arrêt de l’extraction des minerais.
  6. La société mixte soviétique et allemande SDAG WISMUT en RDA.
  7. Arlit se trouve au Niger, lieu principal de l’extraction de l’uranium.
  8. «L’avenir appartient aux sociétés qui engagent à bon compte des mercenaires pour protéger leurs intérêts sur place. De toute façon, les Etats africains, faibles et corruptibles, ne sont pas en mesure de faire respecter le code du travail et le code minier, alors nous piétinons la législation écologique et sociale, nous intimidons la population locale... ainsi, l’extraction des matières premières se fait au meilleur prix!» Source FCE.
  9. Civil Education is the Solution for Poverty and environmental management.
  10. Voir, entre autres, Was ist EURATOM? <http://www.plage.cc/cms/antiatom/euratom.php>
  11. Agnès SINAI Le Monde diplomatique, décembre 2012: «Un gendarme du nucléaire bien peu indépendant».