La mort de Ascencion Uriarte, Ascen pour nous, est une énorme perte pour le FCE. En tant qu’Espagnole, elle avait été bouleversée par les exactions racistes perpétrées à El Ejido, en Andalousie, elle a donc participé activement aux actions du FCE dans ce domaine. Mais pour elle, il ne s’agissait pas seulement de protester contre l’inacceptable, elle voulait aussi construire une vie solidaire. C’est ce qu’elle a fait au sein des coopératives Longo maï. Elle nous a quittés abruptement, à l’age de 47 ans le 24 février dernier, suite à une hémorragie cérébrale.
Ascen est arrivée à Longo maï en été 81, au moment où, en France comme en Espagne, on entrait dans une ère nouvelle. Elle avait 22 ans alors et finissait ses études d’astrophysicienne. Franco était mort l’année où elle était entrée à l’Université, en novembre 1975. A ce moment-là, l’Espagne était une véritable cocotte-minute. Après quarante ans de répression, de mutisme, les interdits commençaient à se lever et la société pouvait enfin se réveiller. Ascen n’était pas attirée par une carrière scientifique, ni par cette folie consumériste qui s’annonçait. Révoltée, elle s’est mise à chercher une autre manière de vivre et de se battre. Elle voulait partir en Amérique Centrale mais rencontra Longo maï sur son chemin. Pour les fondateurs de Longo maï, c’était ici, en Europe, qu’il fallait se battre, là où se trouvait le cerveau de la bête. Alors elle décida de rester.
Elle avait commencé à s’occuper des animaux: vaches, cochons, lapins, poules au début, puis dindes, oies, pintades… Alors qu’elle venait d’une grande ville, Madrid, elle s’était tout de suite passionnée pour tous les métiers de la campagne, mais l’élevage de volailles était sa passion première. Elle partait dans tous les coins de France pour chercher des bestioles, toujours soucieuse de préserver des races rustiques et elle participa à la mise en place d’un élevage impressionnant et bien apprécié par la population locale.
Très rapidement, Ascen commença à relayer les initiatives de Longo maï et du CEDRI1 en Espagne2. Avec d’autres, elle mobilisa une quarantaine de villes et villages espagnols qui se jumelèrent avec la ville turque de Fatsa, victime d’une sauvage répression après le putsch militaire du 12 septembre 1980, après avoir été le cadre d’une expérience autogestionnaire municipale. 268 des 759 inculpés, soit 3% de la population, risquaient la peine de mort.
Puis ce fut la campagne pour la libération d’Otelo de Carvalho, principal stratège de la Révolution des Oeillets au Portugal, une révolution pacifique qui avait mis fin à la dictature de Salazar et permis l’accession du Mozambique à l’indépendance. Elle avait mobilisé des juristes espagnols comme observateurs au procès où Otelo était accusé d’appartenance à un groupe «terroriste». L’aboutissement fut sa libération.
Plus tard, quand nous avons appris que les journaliers agricoles andalous étaient passibles de lourdes peines parce qu’ils occupaient d’immenses latifundias pour réclamer une réforme agraire, elle a de nouveau mobilisé des juristes européens et a organisé des tournées d’information en Europe avec les syndicalistes andalous. De ces actions sont nées plusieurs coopératives agricoles en Andalousie et une longue amitié avec le SOC3, que nous retrouverons plus tard, en 2000, pour réagir ensemble face aux émeutes racistes d’El Ejido et à l’exploitation sauvage des migrants dans cette agriculture industrielle dévastatrice. Auparavant, en 1988/89, Ascen s’était plongée avec quelques ami-e-s de Longo maï dans une enquête approfondie sur les agissements du GAL, «Groupe Antiterroriste de Libération», sinistres escadrons de la mort envoyés par l’Etat espagnol pour liquider des réfugiés basques en France (près d’une trentaine de morts entre 1983 et 87), à un moment où personne ne parlait de ce scandale. Cette enquête fut publiée par le CEDRI, puis éditée en Espagne. Peu après sa publication, l’affaire éclata dans la presse espagnole et donna lieu à de grands procès, condamnant ministres, secrétaires d’état et commissaires… à de la prison dorée, certes, mais quand même…
En 1993, c’était pour les déserteurs et insoumis de la guerre en ex-Yougoslavie qu’elle avait cherché des soutiens.
Elle a aussi participé aux efforts de l’ATELIER4 pour relancer la filière laine.
Son rêve de jeunesse de partir en Amérique du Sud s’était quand même réalisé, d’abord en 1985 quand elle s’était engagée avec d’autres dans des brigades de travail au Nicaragua, assailli par la Contra. Elle était constamment en relation avec des mouvements paysans latino-américains, de la Colombie au Brésil en passant par le Venezuela, où elle s’est rendue à deux reprises ces dernières années pour mieux connaître le «processus bolivarien».
Toutes ces actions ne l’ont pas empêchée de poursuivre ses activités agricoles dans la Coopérative Longo maï de Limans où nous avons vu se dresser un poulailler en briques de terre au Pigeonnier, pousser du safran dans le jardin de Grange Neuve, se développer des contacts avec le réseau des vétérinaires homéopathes et les artisans boulangers.
C’était sa base d’où elle continuait ses incursions en Espagne, pour participer à la Marche Bleue contre le transfert de l’eau de l’Ebre vers l’Andalousie, ou pour contribuer activement à l’implantation d’une ferme près de Madrid, à la Puebla, où une communauté d’irréductibles s’essaie à l’utopie autogestionnaire. Ces deux dernières années, elle s’était lancée avec beaucoup de passion et une bande d’ami-e-s sur les traces de l’anarchisme espagnol, à l’occasion d’un travail de recherche autour du récit d’Antoine Gimenez, «Souvenirs de la guerre d’Espagne». Une histoire qui lui tenait particulièrement à cœur et dont elle nous laisse un feuilleton radiophonique magnifique et un livre en français, dont elle n’a malheureusement pas pu voir la publication (voir Kiosque «Les fils de la nuit»), et en espagnol, bien sûr élaborés en équipe. Un autre projet radio a été initié depuis peu par Ascen avec la journaliste Ruth Stégassy: une série d’entretiens témoignages avec des habitant-e-s des Alpes de Haute-Provence sur l’évolution sociale et économique de notre région depuis une trentaine d’années…
La liste est trop longue et de toute façon incomplète, les projets réalisés innombrables et nous avons découvert, quand nous l’avons accompagnée pour son dernier voyage, que presque tous les ami-e-s présents, de Longo maï ou d’ailleurs, avaient un projet en cours ou en vue avec elle. Nous tenterons, en sa mémoire, d’en réaliser quelques-uns.
Son chemin parcouru a été riche et fleuri de rencontres. Partout où Ascen passait, de belles et profondes amitiés naissaient, donnant lieu souvent à de nouveaux projets et en tout cas à de merveilleux moments de rire et de dire le monde, tout en le refaisant constamment; en rêve mais avec les deux pieds bien sur terre. Elle nous manquera terriblement.
Hasta siempre, compañera!
Lourdes Mendez* - Longo maï
* avec la collaboration de Johanna Bouchardeau
Comité Européen de Défense des Réfugiés et Immigrés
Il existe des brochures et des articles d’Archipel sur la plupart de ces actions, disponibles à l’adresse du FCE - France
Sindicato Obreros del Campo, syndicat des journaliers agricoles andalous
Association Textile Européenne de Liaison, d’Innovation, d’Echange et de Recherche