Le texte qui suit est la transcription d?une interview de Victor Nzuzi, de la R
Le texte qui suit est la transcription d’une interview de Victor Nzuzi, de la République démocratique du Congo, réalisée par Dieter Behr lors du Forum Social Maghrébin*, Bouznika, 27 janvier 2008.
J’aimerais montrer l’importance du lien entre l’agriculture et les migrations dans le cas de la République Démocratique du Congo, je veux dire que c’est notamment la destruction de l’agriculture qui provoque des déplacements de populations.
On ne peut pas parler du Congo sans parler de la guerre, et c’est la guerre qui est la première cause de destruction de l’agriculture: dans les zones de combat, les agriculteurs sont les premières victimes, parce qu’ils sont dans des villages sans protection. Et ces agriculteurs fuient la guerre, ils perdent leurs semences, leurs cheptels, et quand ils reviennent encore traumatisés, ils retrouvent leur lieu de travail détruit ou le terrain miné, alors ils s’en vont définitivement, vers les villes, vers d’autres pays d’Afrique, ou en Europe.
La deuxième raison de la destruction de l’agriculture, c’est que le sous-sol du Congo est riche en minerais. Et les mines, c’est sous terre! Dans les zones minières, avec tous les contrats qui sont en train d'être signés avec les multinationales, quand quelqu’un se présente avec son document d’exploitation minière, les agriculteurs sont expulsés!
Même chose concernant l’exploitation de la forêt, même si vous savez que dernièrement, le Conseil de la Banque Mondiale par rapport à la question forestière au Congo a finalement donné raison aux Pygmées. On fait signer des contrats aux exploitants de la forêt et ces exploitants-là, ils ne savent pas que dans la forêt vivent des paysans, des pêcheurs et des chasseurs! Les pêcheurs et les chasseurs subissent le même sort que les paysans: eux aussi perdent leur emploi, ils sont chassés des concessions, parce que la signature d’une concession stipule qu’on peut immédiatement exploiter la forêt. Alors ces gens sont condamnés à aller en ville et les jeunes cherchent à quitter le pays.
Invasion des produits d’importation Mais le plus gros problème de l’agriculture congolaise aujourd’hui ce sont les produits agricoles importés qui envahissent le marché. Ces produits viennent d’Europe et même d’Amérique. Il y a des produits qui viennent du Brésil, par exemple du poulet. Certains maïs viennent d’Argentine. Alors qu’on trouve tout ça sur les marchés au Congo, mais les produits d’importation coûtent moins cher à cause des subventions à l’exportation. Et donc les gens qui n’ont pas de revenus – vous imaginez la situation dans laquelle vivent les Congolais qui n’ont pas de revenus – n’ont pas le choix. Ils achètent le produit qui coûte le moins cher, venant d’Europe ou d’Amérique, plutôt que d’acheter le maïs ou le manioc produits par les villageois. Les poulets, la viande, le maïs, le blé, ils achètent ce qui coûte le moins cher et les agriculteurs n’arrivent plus à vendre leurs propres productions. Selon moi, il s’agit d’une véritable campagne de changement de nos habitudes alimentaires. On profite de la pauvreté des consommateurs, du manque de pouvoir d’achat des Congolais pour leur inculquer d’autres habitudes alimentaires, pour dire le matin on doit prendre un petit déjeuner, donc un café, un thé avec du pain. Nous, quand nous prenions le café dans nos villages ou dans nos villes, nous le prenions avec du manioc, de la banane ou de la patate douce. Mais aujourd’hui, au lieu d’acheter ces produits, on achète du pain, fabriqué avec du blé d’importation. Donc les agriculteurs locaux n’ont plus de revenus. Et c’est pareil pour la viande et le poisson.
Et les jeunes, les enfants de ces agriculteurs, ne veulent pas continuer dans cette voie, car ils espèrent gagner leur vie, alors ils vont en ville, mais en ville, il n’y a pas de travail non plus, ou alors des emplois mal rémunérés.
Modernisation? Il y a maintenant un autre projet au Congo pour moderniser l’agriculture et attirer les investisseurs, ce sont les agrocarburants à base d’huile de palme. Alors nous faisons une grande mobilisation pour dire: «Oui on va produire de la palme. Mais si c’est aux détriments de l’agriculture vivrière, ça risque de faire des dégâts». Et on sait déjà que ces productions se feront à l’aide de grosses machines, ce ne sont pas les paysans du Congo qui feront cela, on va leur acheter leurs terres, ils vivront un an avec cet argent puis iront comme les autres chercher un moyen de subsistance en ville. Le gouvernement vient de signer un accord avec la Chine pour planter des palmiers au Congo. Il s’agit d’environ 600 millions de dollars. Mais il y a aussi d’autres expérimentations que je connais, par exemple un projet allemand, une fondation qui est en train d’expérimenter, à environ 150 km de Kinshasa, la culture de jatropha. La jatropha c’est une petite plante à partir de laquelle on peut produire du carburant. Nous nous disons: «Est-ce qu’on analyse les conséquences que cela peut avoir sur la vie quotidienne? Ca va occuper des surfaces énormes, mais cette terre est toujours occupée par des agriculteurs!» Et on pense souvent seulement aux cultures vivrières. Mais nous, quand on parle de la vie des paysans, on parle aussi des champignons, des chenilles, des plantes médicinales que l’on trouve aussi dans ces espaces-là. Des espaces peuvent paraître vides donc «libres» aux yeux des investisseurs étrangers mais ce n’est pas du tout vrai. Les espaces vides chez nous, ça n’existe pas, ce sont des espaces pour aller récolter des chenilles, des espaces où nous pratiquons la chasse, et ce sont des apports importants dans notre alimentation. Quand vous venez les occuper pour planter vos palmiers à huile, les animaux perdent leur milieu naturel, et les paysans risquent la sous-alimentation. Ils vont partir en ville, or en ville il n’y a pas d’emplois, alors ils vont quitter le pays.
Conséquences sur la pêche A propos de destruction de l’agriculture, il faut parler aussi de la pêche. Vers Muanda, sur la côte Atlantique, les zones de pêches sont saccagées par le pétrole. Actuellement, dans cette zone, on ne peut plus pêcher. Et il n’y a pas d’indemnisations!
Il y a aussi un problème avec des bateaux de sociétés internationales qui longent la côte et arrachent les filets des pêcheurs qui du coup perdent leur emploi. Que peuvent-ils faire? Ils vont ailleurs! Il y a des pêcheurs qui vous disent: «Nos enfants ne peuvent pas pêcher, les poissons importés envahissent le marché; la côte se couvre d’usines qui polluent, les poissons fuient, donc nous perdons notre emploi, nous devenons malheureux, nos enfants ne peuvent pas faire ce travail». Ces enfants, ils vont chercher à gagner leur vie ailleurs.
Donc voilà un peu la situation de la destruction de l’agriculture et ses conséquences migratoires.
Des plans d’ajustement imposés
Ces importations ont pris de l’ampleur à partir de la crise au Congo, qui a commencé dans les années 1970, 1980, avec la crise pétrolière et les programmes d’ajustements structurels du Fond Monétaire International. La Banque Mondiale a imposé au Congo de payer sa dette, parce que la construction du barrage hydro-électrique n’avait finalement pas rapporté autant que prévu. Il fallait réduire les dépenses de l’Etat au moment même où l’Etat n’avait plus d’argent, alors on a licencié dans les services publics, il a fallu importer beaucoup de produits d’Europe, pour éviter ce qu’on a appelé les émeutes de la faim. La situation s’est aggravée pour l’agriculture du pays.
Aujourd’hui, compte tenu de la guerre, il n’y a plus non plus d’extraction minière, qui était une source importante de revenu public, l’Etat n’a plus les moyens d’importer des produits alimentaires. Ce sont donc des entreprises privées qui importent les denrées.
Cette situation est comparable à celle d’autres pays africains. Il y avait par exemple autrefois beaucoup de producteurs de poulets avec des petites fermes, mais qui ne pouvaient pas continuer. Avant, les agriculteurs nourrissaient leurs bêtes avec des aliments de la région – le maïs, le soja. Puis il y a eu une grosse campagne médiatique des multinationales et des importateurs pour nous dire: «Pour qu’une poule pousse bien il faut la nourrir avec des aliments qui viennent d’Europe». On est devenu alors dépendants de la société qui produit l’aliment pour les bêtes. Ces aliments, au départ, ils coûtent moins cher, et ensuite ils augmentent, donc les petits producteurs sont amenés à disparaître.
Et il faut aussi dire qu’il y a un grand impact des importations de viande. Chez nous, pour les agriculteurs, la banque, c’était la chèvre, le mouton ou le porc. Quand on avait un problème, un enfant malade ou bien chassé de l’école pour non-paiement des frais scolaires, on prenait sa chèvre, ou bien son mouton, on allait le vendre sur le marché, et on avait l’argent pour payer les soins ou l’école. Aujourd’hui, quand vous vous présentez avec votre poule, avec votre chèvre sur le marché, vous trouvez déjà les côtelettes de porc venues d’Europe. Le prix est cassé, donc votre enfant ne va pas à l’école. Et les jeunes qui voient ça, ils quittent leur village. Et c’est comme ça que Kinshasa a 8 millions d’habitants.
Mobilisation Toutes les grandes villes en Afrique aujourd’hui sont en train de s’accroître, et les bidonvilles aussi. Les gens y vivent sans hygiène ni eau potable, et ils voient à la télé des films où les Européens et les Américains ont de grosses voitures. Evidemment on ne nous montre pas de films où l’on voit les sans abri et tout ça. Alors les gens se demandent: «Pourquoi je dois continuer à vivre dans le village ou dans des bidonvilles où il ne fait pas bon vivre». Alors c’est aussi le travail que nous faisons, de mobiliser et sensibiliser la population en disant: «Nous avons des valeurs, nous avons des richesses». Par rapport à la migration nous devons dire que l’Afrique a des richesses. La jeune génération, qui est en train de partir, c’est une richesse. Ils ont de l’énergie pour travailler. On présentait toujours l’Afrique comme un petit continent sur les vieilles cartes! Mais aujourd’hui on voit que l’Afrique est un grand continent et que l’Europe, c’est bien petit. Le problème, c’est qu’on présente toujours l’Afrique des guerres, l’Afrique de la corruption, du SIDA, des maladies, l’Afrique de la faim. Mais on ne montre pas ces richesses de l’Afrique que nous devons nous réapproprier. C’est le cas aussi de nos aliments! En Europe on ne mange pas de chenilles, ce sont pourtant des aliments qui contiennent beaucoup d’éléments nutritifs. Mais aujourd’hui on nous présente ces aliments comme étant des aliments qui n’ont pas de sens. On nous présente le poulet local, comme la poule qui mange sur les tas d’ordures, il ne faut pas consommer ça, il vaut mieux manger ce qui est importé.
La politique agricole dans nos différents pays n’est pas faite pour soutenir la petite production agricole, mais pour attirer les investisseurs étrangers. Il y a même une loi qu’on appelle «loi d’encouragement aux investissements dans le secteur agricole». Pour un pays tel que le Congo, il faut que le gouvernement soutienne les agriculteurs. Parce qu’ils constituent 80 % de la population. Mais on importe des aliments. On aurait largement assez à manger si l’agriculture locale pouvait fonctionner, si on avait fait des routes pour amener les produits aux consommateurs, si on avait investi pour faciliter la transformation et la conservation de nos produits. Ce n’est pas la politique du gouvernement, ni celle qu’imposent l’Union Européenne et les institutions financières internationales, qui parlent de moderniser l’agriculture, alors qu’il s’agit de déverser sur notre continent une surproduction européenne de mauvaise qualité. Il s'agit d'un processus pour casser l’agriculture africaine et c’est vraiment malheureux.
Migrations intérieures et extérieures Il y a beaucoup de migration à l’intérieur de l’Afrique. La première vague, c’est l’exode rural, les paysans qui vont vers les villes. Et puis des gens quittent leur village pour aller dans les zones minières. Par exemple pour le diamant, des Congolais vont en Angola. Mais certains Angolais sont depuis très longtemps au Congo comme réfugiés. Ils vivent, je dirais, assez bien, mais demain, peut-être qu’on va les chasser. Parce que le Congo va prendre exemple sur le Mozambique, l’Angola, ou la Libye. Parce qu’on lui dit, les migrants quand ils sont chez vous, vous pouvez leur appliquer telle réglementation, comme on le fait en Europe. Quand ils sont en situation irrégulière, il faut les faire partir. Alors que chez nous, les Angolais ou Camerounais qui sont entrés travaillent dans le petit commerce, dans les entreprises, comme les Congolais. Ils sont intégrés. Mais aujourd’hui, avec cette campagne européenne, il y a des pays qui commencent à chasser les migrants. Il y a chez nous maintenant, il faut le dire, des tracasseries qui font que les réfugiés se sentent parfois très mal à l’aise. L’année passée, vers le mois d’octobre ou novembre, il y a eu une grève des Nigériens, ils ont manifesté à Kinshasa, parce que le service de sécurité à Kinshasa avait arrêté une dizaine des Nigériens. C’est pour vous dire qu’il existe un effet de contamination, alors on doit vite arrêter tous ces discours ségrégationnistes et ces discours racistes de criminalisation des migrants. On doit arrêter parce que ça commence à avoir un impact très négatif en Afrique. Le discours raciste en Europe est en train de prendre en Afrique.
Moi, quand j’étais petit, il y avait des Angolais chez nous, j’avais des oncles angolais. Mais aujourd’hui on commence à dire «non celui-là, c’est un Angolais». Avant, on n’avait pas cette barrière. C’était la même chose jusqu’au Gabon. Et ce changement des mentalités et des discours a un lien direct avec l’exploitation économique. Parce que la terre prend une valeur commerciale, une valeur financière. La terre n’a plus cette valeur culturelle qu’elle avait. Chez nous, c’était la terre de la pêche, la terre de l’agriculture, la terre de la chasse. Aujourd’hui la terre c’est la terre de l’exploitation de minerais. C’est la terre où il faut planter le café ou l’huile de palme. Donc c’est ce problème économique qui est à la base de tout cela.
Qui prend la terre? Les multinationales, ou bien leurs façades congolaises. Parce que des multinationales se cachent derrière des Congolais. Ainsi, elles échappent à la taxation sur les firmes étrangères, or les Etats manquent d’argent, ils ne peuvent pas prendre en charge les charges sociales, et voilà, les gens partent. Voilà comment l’aspect économique joue un rôle central dans la migration.
* Voir archipel No 158