Quand on évoque la situation des travailleurs sous contrat OMI*, il faut tout d’abord dénoncer les abus résultant de pratiques illégales de certains exploitants agricoles.
De nombreuses situations peuvent être apparentées à un véritable esclavagisme moderne résultant de pratiques que l’on peut observer tout au long du contrat mais également avant sa signature et au terme de celui-ci.
Avant la signature
Une négociation s’effectue souvent soit directement entre l’employeur et le futur ouvrier, soit par l’intermédiaire d’un chef d’équipe, d’un membre de la famille, voire la communauté du futur ouvrier qui se spécialise dans ce genre de transaction.
Cette transaction fixe la somme à payer pour obtenir le contrat, somme qui comprend le plus souvent la redevance que l’employeur doit régler à l’OMI pour l’introduction d’un contrat, complétée par un «impôt clandestin» dont le montant varie suivant la durée et la nature du contrat (renouvellement ou primo contrat et suivant le degré de vénalité de l’exploitant.
Pendant la durée du contrat
Non respect des conditions légales de travail et des conventions collectives agricoles:
Dépassement d’horaires, pas de repos hebdomadaire, paiement des heures au SMIC quelle que soit la qualification de l’emploi, obligation de faire des heures supplémentaires le plus souvent non déclarées et sous-payées voir non payées, absence de visite médicale du travail, mise à disposition chez un autre employeur, jours fériés, congés, primes d’ancienneté non payés, absence d’information sur les risques et sur les protections contre les pollutions (produits chimiques et pesticides utilisés sans gants ni masque), etc.
Non respect des conditions de logement: insalubrité, surpeuplement, manque d’hygiène et non respect des consignes de sécurité, eau non potable, etc.
Au terme du contrat
L’éventuel retour de l’ouvrier l’année suivante peut faire l’objet d’une nouvelle négociation si le patron n’est pas satisfait ou si de nouvelles possibilités de pression lui sont offertes.
Pour exemple, on peut citer les conséquences directes induites par la possibilité en 2001, pour les employeurs, de faire entrer des primo contrats. Plusieurs centaines de saisonniers venant depuis de nombreuses années ont été remplacés par des primo contrats car l’ancienneté ne donne droit à aucune garantie. Trop âgés, usés et moins rentables pour certains, trop revendicatifs ou pas assez dociles pour d’autres.
Certains, faute d’accord leur assurant la possibilité d’un retour, se retrouvent sans papiers.
Dénoncer ces infractions et réclamer qu’elles soient condamnées par la justice française est certes primordial mais il faut aussi comprendre qu’elles sont favorisées par la législation relative aux travailleurs sous contrat OMI qui contient de surcroît des discriminations.
Rapport de force et impunité: clef de voûte du système
La relation de travail entre employeur et employé est si défavorable à ce dernier que les Prud’hommes ne seront jamais saisis des illégalités précédemment énoncées. En effet, le système de recrutement des travailleurs OMI prévoit que l’employeur peut désigner à l’administration la personne qu’il souhaite embaucher ou réembaucher. Il est le seul à décider le renouvellement du contrat d’un salarié ou l’embauche de l’un de ses proches et pourra ainsi exercer chantages et pressions sur celui qui désire faire valoir ses droits. Les institutions aggravent ce rapport de force comme la Mutualité Sociale Agricole qui clôt hâtivement les dossiers d’accident du travail en les consolidant systématiquement et arbitrairement. Cette pression patronale explique en outre que les travailleurs ne bénéficient pas pleinement des droits qui découlent de leurs couvertures maladies (maladies et accident du travail sont «déconseillés»).
L’obligation légale pour le salarié de retourner dans son pays au terme de son contrat est aussi un facteur de l’impunité dont jouissent les exploitants. Comme aucun droit au séjour ni au travail n’est reconnu, même en cas de dépôt d’une plainte, le salarié qui s’est maintenu illégalement en France n’osera pas demander justice et il est difficilement envisageable, pour celui qui est rentré au pays, de défendre convenablement ses droits.
Plainte de sept Marocains, extradition d’un huitième
Ce système bien rôdé pendant trente ans commence à grincer. Et ce sont souvent des jeunes Marocains venant en Europe pour travailler qui refusent d’accepter n’importe quelles conditions: ils ne veulent plus être considérés comme des machines à travailler, sans aucune dignité humaine, sans droit de faire venir leur femme et leurs enfants. Le durcissement des lois sur l’immigration rend aujourd’hui pratiquement impossible de partir et de revenir au gré des possibilités d’embauche. Ces déplacements, à l’époque courants et sans trop de tracasseries administratives, sont devenus beaucoup trop chers et dangereux.
Ainsi pour la première fois depuis longtemps au printemps 2002, sept Marocains sous contrat OMI, chassés à coups de fusil par leur faux employeur (l’employeur officiel les a «prêtés» à un copain, qui était tombé en disgrâce auprès de l’administration pour non respect de ses obligations) ont porté plainte à la Gendarmerie de St Martin de Crau. Trois de ces Marocains étant identifiés comme meneurs ont été forcés de creuser des fossés d’arrosage à la pioche pour les faire craquer et rompre le contrat de travail. Finalement l’employeur qui les a chassés a été ensuite condamné devant le Conseil des Prud’hommes à leur rembourser tous les arriérés de salaires. La plainte pénale est à cette date toujours en suspens.
Le 3 juillet 2002 à Marseille, au cours d’une conférence de presse, le collectif a attiré l’attention sur le sort d’El Gahmri, un jeune Marocain en attente d’être reconduit au Maroc. Il a été arrêté en possession d’un titre de séjour falsifié. Entré en France avec un contrat OMI, il travaillait durement depuis huit mois dans une exploitation maraîchère. A la fin du contrat, le patron a refusé de lui régler son reliquat de salaires en expliquant que pour un premier contrat de travail OMI, l’ouvrier devrait payer environ 50.000 francs français, ce qui correspondrait à la somme due. Sa famille au Maroc lui réclamait d’urgence de l’argent. Il s’est procuré alors un faux titre de séjour en espérant trouver du travail au noir. Expulsé, il a demandé au collectif de suivre les plaintes déposées auprès du Conseil des Prud’hommes et au pénal.
Réunion publique houleuse à Arles et plus studieuse à Marseille
Pour ce premier débat public sur les OMI, bien annoncé dans la presse, la salle de la Maison des Associations était comble. Une vingtaine de paysans de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats agricoles) y étaient venus pour défendre leur point de vue. Et cet «impossible dialogue» (Provence du 07/02/2003) montrait bien la raideur idéologique de certains d'entre eux, qui avaient du mal à cacher leur racisme primaire: Ahmet Saou, un salarié OMI depuis plus de vingt ans, témoigne: jeté aux orties depuis qu’il souffre d’une hernie discale, il n’envoie plus le moindre sou à sa femme et ses huit enfants. S’il a cotisé comme n’importe quel salarié, il n’a pas droit aux congés maladie dès lors que son contrat est terminé (comme c’est le cas pour tous les OMIstes). Commentaire d’un paysan du fond de la salle: «T’as qu’à rentrer chez toi!».
Ces paysans cautionnent une agriculture productiviste qui est en train de faire disparaître bon nombre de petites et moyennes fermes dans notre département. En revendiquant des contrats OMI à moindre frais, ils sont en train de se mettre eux-mêmes la corde autour du cou: en abaissant le revenu de leurs ouvriers, ils diminuent également la valeur de leur propre travail. Dans une agriculture hyper intensive et mondialisée où seul le prix de vente final compte, d’autres pays et d’autres régions sont encore plus favorisés. D’ailleurs, les investisseurs français, hollandais et espagnols l’ont bien compris: des unités de production ultramodernes, en maraîchage et arboriculture, sont en cons-truction dans les pays du Maghreb et ailleurs: vu la pauvreté de la population et le fossé entre le Nord et le Sud, la protection sociale, les réglementations du monde du travail, etc. y sont pratiquement inexistantes.
La deuxième rencontre à l’Espace/Accueil aux Etrangers à Marseille s’est déroulée dans une atmosphère plus sereine. Des amis de Grenoble et de Paris ainsi qu’un syndicaliste suisse sont venus partager nos préoccupations. Un programme a été esquissé pour les mois à venir:
Il a été mis à l’ordre du jour de poursuivre une réflexion déjà bien avancée en Suisse pour créer un label social. Ce «label social» veut codifier les règles de base d’une production agricole respectant des conditions sociales décentes pour les travailleurs et travailleuses de ce secteur économique. Il s’agit de promouvoir une agriculture humaine et donc de mettre fin aux abus, à l’exploitation, voire à l’oppression que subissent trop souvent les ouvriers de la terre.
Avec le soutien d’avocats, c’est le contrat OMI lui-même qu’il faudra soumettre à un examen approfondi. C’est un contrat à durée déterminée qui peut durer huit mois sans compter les nombreuses heures supplémentaires. En fait, il s’agirait plutôt d’un CDI (contrat à durée indéterminée) détourné, comme le dénonce la Confédération Paysanne 13: «Elle (la Confé) propose de transformer ces contrats OMI précaires en CDI. La situation actuelle de l’agriculture en général est difficile et parfois dramatique. Les aides (importantes) profitent en grande partie à l’agriculture industrielle. Le seul poste compressible serait le coût de la main-d’œuvre. La pression se fait alors sur le maillon le plus faible, le salarié agricole. Le statut de l’OMI se prête trop facilement à l’abus et devrait être remplacé par un contrat de travail qui respecte mieux le cadre légal. Ceci impliquerait également de dénoncer l’exploitation éhontée dans d’autres pays et de refuser l’importation des produits 'non-éthiques' pour éviter une concurrence déloyale, qui fragiliserait encore plus notre agriculture.
La Confédération Paysanne demande au préfet de fournir aux rares ouvriers agricoles qui ont le courage de porter plainte contre ces abus un titre de séjour, afin qu’ils puissent suivre le procès.»
* Office des Migrations Internationales, voir Archipel no 103