Cette chronique nous est envoyée depuis l’Etat de Oaxaca, où réside Georges Lapierre, co-auteur de «l’Incendie millénariste». En différents chapitres que nous avons publiés au fil des numéros, il nous propose une vision philosophique et politique des événements en cours au Mexique et, à travers eux, nous interroge sur l’Europe actuelle.
L’autonomie n’est pas seulement la résistance ou la défense d’une communauté contre toute agression de l’extérieur, elle est aussi conquête, construction, élargissement de son propre espace par la mise en œuvre de projets communs, qui nécessitent une organisation collective. Si nous avons des exemples de gouvernements autonomes au niveau des communes indigènes (avec les limites que nous avons signalées précédemment), en dehors du Chiapas, nous n’avons pas d’exemple d’instances régionales. Pour l’instant, le mouvement indigène se définit essentiellement par son auto organisation, par des initiatives prises dans différents domaines et qui dépassent à la fois le cadre de la communauté villageoise et celui de la commune, ces initiatives vont de la police et de la justice communautaires de la Montaña et de la Costa Chica du Guerrero aux projets éducatifs du CMPIO *, auxquels sont associés maîtres d’école indigènes, communautés et parents d’élèves. Va aussi dans ce sens la création de coopératives agricoles mises en place par l’Union des Communautés Indiennes de l’Isthme (UCIRI) ou par l’Organisation des peuples indigènes de la Chinantla (OPICH), dans ce domaine les exemples sont nombreux.
Où il est question du mouvement indien au Mexique et de ses initiatives
L’autonomie se construit peu à peu à travers les organisations indiennes qui sont à l’initiative de tous ces projets d’alternative sociale au monde capitaliste. Les organisations indiennes qui font partie du Congrès national indigène (CNI) ne sont pas seulement des organisations de défense et de résistance, elles sont plus que cela: en prenant appui sur les cultures, sur les usages et les coutumes, sur les fondements, elles participent à la reconstruction des peuples indiens. Des instances de gouvernement au niveau d’une région, comme le sont las juntas de buen gobierno zapatistes, viendront en leur temps pour couronner et rassembler toutes ces initiatives. Nous n’en sommes pas encore là et, à mon sens, ce n’est pas le plus important.
Des bœufs et de la charrue
Ce serait une erreur de chercher à mettre la charrue avant les bœufs.
En même temps que les zapatistes fêtaient à Oventik la mort des aguascalientes et la naissance des caracoles , la communauté huichole de Bancos de San Hipólito accueillait le Congrès national indigène de la région Centre pacifique. Les peuples wixárika, purépecha, mayo, nahua, totonaque, ñañhúe, amuzgo, rarámuri, mixtèque, chinantèque, zapotèque, cuicatèque, ikood ont salué dans leur résolution les communes autonomes zapatistes, les conseils de bon gouvernement, les caracoles et l’EZLN: «Notre pas chemine à vos côtés, nous sommes compagnons de route et nous aussi nous nous consacrons à la construction de l’autonomie, à la reconstitution intégrale de nos territoires et de nos peuples.»
De l’Etat contre les peuples
C’est sur ce terrain des initiatives sociales que les affrontements sont les plus visibles et les plus immédiats, c’est à ce niveau que la volonté de pouvoir et de domination d’un monde sur un autre est la plus sensible, la plus manifeste et la plus violente. C’est sur ce terrain qu’est engagé le bras de fer entre les zapatistes et le gouvernement, qui compte avec la complicité de tous les partis politiques pour lesquels l’initiative ne peut, en aucun cas, venir des gens, mais doit toujours venir de l’Etat.
Je lis dans La Jornada par exemple que la junta de buen gobierno d’Oventik dénonce la pression que subissent les habitants de la commune autonome 16 de Febrero de la part des autorités de l’Etat pour qu’ils acceptent les aides du gouvernement et qu’ils participent aux programmes de développement:
«On oblige les habitants à recevoir les aides du gouvernement et à signer des documents sans qu’ils sachent de quoi il s’agit. Parce qu’ils n’acceptent pas les aides et qu’ils refusent de signer, ils sont harcelés et menacés d’être dépouillés de leur terre et expulsés de la communauté de la part des gens affiliés au PRI.»
C’est en imposant ses programmes et ses projets, comme celui d’un centre touristique aux cascades du rio Bascán dans la région de Palenque, projet auquel s’opposent fermement les communautés zapatistes du coin, que le gouvernement pense reprendre peu à peu le contrôle des régions autonomes. Il compte sur l’appui de tous ceux qui espèrent tirer un avantage des aides et des programmes gouvernementaux et qui se trouvent, du coup, entre les mains des partis politiques.
George Lapierre
* Coalition des maîtres et promoteurs indigènes d’Oaxaca.