SCHWEIZ :Ein weiterer Abbau des Asylrechts oder «Sparen durch Vertreibung»

von Yves Brütsch, Vivre Ensemble, Genf, 23.09.2003, Veröffentlicht in Archipel 108

Selon les estimations des Nations Unies, il y aurait plus de 150 millions de personnes travaillant hors de leur pays d’origine, exilées, pour une période plus ou moins longue, limitée ou illimitée. Par courage ou par désespoir, elles sont parties se confronter à un environnement inconnu, voire à une autre culture. Elles ont pris ce risque dans l’espoir que ça n’aille pas trop mal pour elles. Malheureusement cet espoir est très souvent trompeur.

La globalisation en marche n’a pas seulement internationalisé les marchés des biens et des capitaux. Elle a aussi disloqué les frontières des marchés nationaux du travail. Mais les conditions dans lesquelles les forces de travail se déplacent sont beaucoup moins organisées et réglementées que celles qui s’appliquent à la circulation des marchandises et de l’argent. Les conséquences en sont d’autant aggravées. Les travailleurs migrants philippins sont traités comme des esclaves à Hong Kong, les travailleurs agricoles marocains triment en Espagne dans des conditions inhumaines, les ouvriers ukrainiens du bâtiment sont embauchés illégalement en Allemagne, avec des salaires de misère.

Le 1er juillet 2003 entrera en vigueur une convention de l’ONU visant à protéger les migrants du monde entier contre ces méthodes d’exploitation. Le syndicaliste Leo Monz se félicite de cette convention car la garantie des droits des migrants ne pourra plus dépendre du pays où ils se rendent. Il faut une volonté commune des Nations Unies pour imposer des normes contraignantes et universelles.

Leo Monz travaille au centre de formation de la fédération allemande des syndicats et il est responsable du département des migrations et de la qualification. Le centre informe les employés nationaux et étrangers sur les migrations et sur les modifications qu’elles entraînent au niveau des réalités quotidiennes. Il veut aider les Allemands à se débarrasser de leurs préjugés envers les immigrés et soutenir ces derniers dans la défense de leurs droits. Les quelques Etats qui ont pris l’initiative d’élaborer et d’adopter la convention sont ceux d’où ont émigré depuis des années des millions de personnes. Cinq millions de Philippins, par exemple, travaillent en Asie du sud-est, un million de Marocains ont émigré au Proche-Orient et en Europe, plusieurs centaines de milliers d’Ukrainiens ont émigré dans les pays d’Europe occidentale et orientale. En élaborant cette convention, ces Etats visaient à protéger leurs citoyens contre la discrimination, la violence et l’exploitation. Selon le spécialiste des migrations Steffen Angenendt, de l’Institut de Recherche de la Société allemande pour la politique étrangère: "les pays d’origine des migrants espèrent que leurs citoyens seront mieux protégés avec la convention si elle est aussi contraignante pour les pays où vont leurs ressortissants. Car actuellement les travailleurs migrants, même légaux, sont relativement mal protégés. Pour les pays exportateurs de main-d’œuvre, comme les Philippines, c’est un problème depuis longtemps. Toutes les organisations intéressées demandent au gouvernement de faire quelque chose pour la défense de leurs forces de travail. Et ce sont donc ces pays qui sont très intéressés à ce que cette convention, qui signifierait une meilleure protection pour leurs citoyens, je crois, soit mise en place au niveau mondial et que plus d’Etats la ratifient".

Jusqu’à présent, ces exigences n’ont pas vraiment été couronnées de succès. Pas un seul Etat industrialisé n’a ratifié cette convention qui fut pourtant adoptée par l’assemblée générale de l’ONU dès 1990. En treize ans, seuls vingt Etats ont adhéré, tous des Etats "exportateurs" de migrants; Maroc, Philippines, Bosnie-Herzégovine, Egypte ou Bolivie par exemple. Le vingtième Etat, le Guatemala, vient tout juste de la ratifier. La convention a donc obtenu le quorum nécessaire et elle peut maintenant entrer en vigueur. Mais ceci signifie seulement que les vingt Etats signataires transfèrent dans leur droit national les conditions de la convention et qu’ils protègent ainsi les rares migrants qui vivent et travaillent dans ces pays. Mais les millions de migrants issus des pays qui ont ratifié la convention continueront à attendre leurs droits ancrés dans la convention.

La protection exigée par la convention aurait des répercussions non négligeables pour les migrants en Allemagne puisque celle-ci se base sur l’indivisibilité des droits de l’homme et va bien au-delà du droit actuel des étrangers. C’est aussi l’avis de Volker Rossocha, directeur du département de politique syndicale internationale et européenne au DGB*. Selon lui, le droit allemand considère les étrangers, les migrants, comme des citoyens de seconde zone qui n’ont pas les mêmes droits que les citoyens allemands ou que les membres de l’UE, alors que dans la convention, on part du principe que, autant que faire se peut, les mêmes droits en matière de vie, de sécurité, de salaire, etc. doivent s’appliquer aux migrants comme aux nationaux. Mais le droit allemand considère toujours les étrangers comme une menace plutôt que comme des personnes égales en droit.

En général, l’émigration entraîne trois problèmes majeurs. Tout d’abord, les migrants sont majoritairement réduits par les pays d’accueil au statut de matériel humain. Deuxièmement, leur présence est souvent utilisée pour faire baisser les salaires en usage dans le pays et à assouplir les règlements sur les conditions de travail. Enfin, les migrants sont discriminés et utilisés pour susciter la peur de l’étranger et pour augmenter les tensions entre employés. Sur ces trois types de problèmes, la convention de l’ONU fixe des règles de protection. Par exemple, pour le droit au regroupement familial, selon Volker Rossocha: "pour les membres de la famille, la convention va au-delà de ce qui a été stipulé au Conseil de la Communauté Européenne comme ligne directrice du regroupement familial. Selon la convention, le travailleur migrant doit avoir en général le droit au regroupement familial. Selon l’UE, il existe un droit limité au regroupement familial, restreint aux parents au premier degré".

Le débat sur la loi d’immigration en Allemagne se déroulerait différemment si la Convention de l’ONU avait ici force de loi. Les politiciens ne pourraient plus proposer que seuls les enfants de moins de 16 ou même de 12 ans puissent suivre leurs parents en Allemagne. La convention autorise les enfants à rejoindre leurs parents jusqu’à leur majorité. Pour Volker Rossocha, l’affirmation selon laquelle un flot d’enfants à intégrer viendrait de l’étranger si l’âge limite n’est pas abaissé, est totalement infirmée par les faits: "il y a quelques années, nous avons commandé une étude à l’Institut Fédéral de la formation professionnelle, comparant les enfants turcs qui ont fait ici leur scolarité et ceux qui sont allés à l’école en Turquie et qui sont venus juste après en Allemagne. Les enfants qui avaient fait leur scolarité en Turquie étaient, à l’âge de 25 ans, mieux intégrés que ceux qui avaient fait leurs études en Allemagne. La politique d’intégration deviendrait un non-sens si l’âge limite devait être réduit à 12 ans. Ces enfants seraient ainsi arrachés à leur formation scolaire dans leur pays d’origine".

La législation allemande concernant les étrangers enfreint la convention de l’ONU dans d’autres domaines. Celle-ci interdit expressément d’expulser des étrangers s’ils deviennent chômeurs et bénéficient de l’assistance sociale. Alors que, selon le droit allemand, même ceux qui ont vécu là de nombreuses années sont passibles d’expulsion s’ils n’ont pas encore obtenu un statut de long séjour.

Pour Leo Monz, "c’est une épée de Damoclès qui va être utilisée de plus en plus, y compris contre les citoyens de l’UE. Nous avons justement toute une série d’exemples dans le Bade-Wurtenberg où on a essayé d’y parvenir. Notre campagne "Jetz handeln" (agir maintenant), dans laquelle les étrangers demandent le droit de séjour et des permis de séjour illimité, est une réponse à cette politique de refoulement. Je crois qu’en Allemagne beaucoup de personnes qui ont droit à une aide sociale ne l’exercent pas, pas seulement, comme pour les Allemands, par honte, mais aussi parce qu’elles craignent les conséquences du droit des étrangers. Il en va tout autrement dans la convention. Le mouvement migratoire est le cas normal, et le cas normal doit être assuré socialement et réglementé".

L’ensemble des dispositions de la convention de l’ONU est révolutionnaire pour le droit allemand des étrangers: les droits de l’homme sont indivisibles et valent pour tous, indépendamment de leur statut. La convention protège ainsi également les migrants séjournant dans un pays sans permis et y travaillant. Ils ont les mêmes droits que tous en matière de santé et de formation et le droit de réclamer en justice le salaire retenu. La commission Süssmuth a ainsi proposé de garantir les droits de ces "illégaux". Le gouvernement fédéral les nie complètement dans sa proposition de loi sur l’émigration. Conséquence: les migrants illégaux sont utilisés sans scrupules pour détériorer conditions de travail et salaires. Christa Nickels, président de la commission des Doits de l’Homme au Parlement Fédéral, n’a pas réussi à transmettre au gouvernement fédéral la demande de signer la Convention de l’ONU sur les travailleurs migrants. Bien que la commission des Droits de l’Homme l’ait explicitement demandé en mars dans deux projets de résolution, "nous n’avons pas réussi à avancer. En tant que responsables politiques de la coalition pour les Droits de l’Homme, nous avons élaboré deux motions: l’une portant sur les droits économiques, sociaux et culturels, l’autre sur la politique des droits de l’homme comme fil conducteur de la politique allemande. Nous y avions énoncé les conventions que le gouvernement devrait ratifier. Mais ces demandes ont été rejetées par les ministères concernés. Tout ce qui concernait le domaine de l’illégalité a été supprimé par le ministère de l’Intérieur. Nous n’avons pu sauver ce thème que dans deux notes de bas de page, avec un avertissement à la Commission Süssmuth".

Cet avertissement n’aura certainement pas un grand impact. Bernard Schwarzkopf, expert en migrations auprès de la fédération des associations patronales allemandes, sait pourquoi. Certes il condamne le fait que des employeurs exploitent l’absence de droits des immigrants illégaux. Mais son association ne veut pas de règlements de protection. L’emploi d’illégaux deviendra inutile quand les conditions générales de rémunération et d’assurances sociales seront modifiées: "si nous avons des travailleurs illégaux en Allemagne, nous devons nous demander pourquoi. Et ceci provient des conditions de travail ici en Allemagne, des charges sociales élevées et des impôts très hauts. L’Etat doit donc mettre en place des règlements plus favorables à l’emploi".

En d’autres termes, jusqu’à ce que les salaires et conventions collectives actuelles soient revus à la baisse. Nous avons déjà bien avancé sur ce chemin comme le montre le projet actuel de "réforme" du Chancelier Schröder.

La convention de l’ONU sur les migrants peut conduire à des difficultés certaines lors de l’établissement de cette politique et c’est la raison pour laquelle le gouvernement ne la signera pas de son plein gré. Selon l’expert en migrations Steffen Angenendt, "si la convention entre en vigueur, même si ce n’est que pour les vingt premiers Etats, activistes, groupes et associations peuvent toujours s’y référer et exiger des Etats que si cette convention existe, ils y adhérent, s’y conforment et respectent ses règlements".

* Deutscher Gewerkschaft Bund, principal syndicat allemand

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