ACTUELLES: Génétique de l'agressivité ou agressivité de la génétique?

09.05.2010, Veröffentlicht in Archipel 154

Il y a deux ans, un institut de santé publique (l’INSERM) établissait une soi-disant étude appelée «Troubles des conduites chez les enfants de trois ans» visant à faire croire que des signes de délinquance à venir peuvent être repérés et traités dès cet âge. En 2006, N. Sarkozy déclarait à l’Assemblée Nationale que «les mineurs de 1945 n’ont rien à voir avec les géants noirs des banlieues d’aujourd’hui», lançait la construction de prisons pour mineurs et laissait entendre qu’une partie de la population, jugée fondamentalement mauvaise, ne méritait rien d’autre que d’être passée au kärcher. En mars 2007, il affirmait que l’on peut naître selon lui «pédophile» ou «suicidaire».

Ces différentes études et déclarations convergent vers l’idée que nos comportements seraient déterminés, codés par nos gènes (ou notre couleur de peau), ancrés en nous de manière définitive. L’éducation, la société, la culture, les discriminations n’y seraient pour rien ou si peu...

Dans une société obsédée par la «sécurité» et la «délinquance», nourrie médiatiquement par la peur des jeunes, des terroristes, des pauvres, des étrangers, on cherche à définir des rapports entre les gènes et des comportements considérés comme déviants («troubles», «nervosité», «rébellion», «agressivité»...). Il s’agit d’identifier des personnes «malades de naissance» qu’il faudrait éduquer différemment, soigner, enfermer, contrôler, diriger vers des institutions spécialisées au plus tôt.

Une question scientifique, ou politique? «Je crois comprendre qu’il pense que le mal existe comme une entité séparée, claire, métaphysique, objectivable, à la manière d’une tumeur, sans aucune relation avec le social, la société, la politique, les conditions historiques. Je le questionne pour vérifier mon intuition: de fait, il pense que nous naissons bons ou mauvais et que, quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse, tout est déjà réglé par la nature.» Michel Onfray, philosophe, à propos de son entretien avec M. Sarkozy en mars 2007.

Malgré l’abondance de la remise en cause de l’importance du déterminisme génétique, pourquoi certains scientifiques et politiciens continuent-ils, à grands renforts médiatiques, à faire croire à l’existence de gènes de la fidélité, de l’homosexualité, de l’agressivité chez les Noirs ou du suicide chez les jeunes, ainsi qu’à promouvoir des recherches dans ce sens?

L’importance que l’on accorde aux gènes ou à l’environnement n’est pas tant une question scientifique que politique. Elle implique avant tout une vision du type de société dans lequel on entend vivre. Poser l’importance du contexte environnemental, c’est concevoir qu’on ne naît ni bon, ni mauvais, que chaque individu peut évoluer si on lui en donne les moyens. C’est partir du principe que les êtres humains sont avant tout le reflet de la société dans laquelle ils vivent et que l’on peut à tout moment débattre collectivement de ce type de société et le faire évoluer en fonction de ce qui pourra être épanouissant pour chacun-e.

Au contraire, dans l’histoire des idées, le déterminisme (ici déterminisme génétique) a généralement permis de justifier un ordre établi. Il a plus d’intérêt en tant que moyen de cautionner un état de fait et les stéréotypes qui l’accompagnent qu’en tant que moyen de modifier le monde.

Inné et acquis

Pourquoi d’un point de vue politique, la conception du monde selon laquelle «l’inné» (les gènes) prédomine sur «l’acquis» (l’expérience) présente-elle de nombreux avantages pour les pouvoirs en place?

Cette conception minimise la responsabilité de l’Etat et de l’organisation sociale dans les souffrances de la population. Affirmer la prédominance génétique de telle ou telle pathologie, c’est faire passer à l’arrière-plan le contexte social et environnemental. C’est couper l’herbe sous le pied de tous les individus et toutes les organisations politiques qui considèrent l’actuel système social comme la principale cause des souffrances psychiques, des maladies, des suicides et de la misère sociale.

La fatalité du chromosome qui se substitue à la condition humaine et à son contexte, quoi de plus pratique en réalité pour une société qui ne sait plus comment traiter ses propres vices: ses inégalités sociales, son absence de perspectives en dehors de la consommation et du petit écran, son exploitation des 3/4 de la population mondiale pour la prospérité d’une minorité d’Occidentaux, ses ghettos et son rejet des étrangers... Nous voilà d’un coup de baguette magique déchargés d’inutiles remises en question et de dérangeantes introspections.

Justifier les discriminations par la «Nature» Plus profondément, cette idéologie donne ainsi un pseudo-sens moral et «naturel» à certaines formes de discriminations «sociales». Certain-e-s seraient fait-e-s pour commander, d’autres pour être guidé-e-s, certain-e-s pour être riches, d’autres pour vivre dans des HLM...

Pour ceux qui accordent un rôle primordial au déterminisme biologique, la Nature, équivalent à un dieu bienveillant, donnerait un rôle à chacun qu’il s’agirait de suivre. Des tenants du darwinisme social, en passant par les eugénistes nazis jusqu’aux néo-conservateurs d’aujourd’hui, la Nature ordonne de se mettre au service de son mari, des Blancs ou d’accepter que les échanges économiques reposent sur la loi du plus fort...

En réalité, le discours d’une Nature intelligente dont il faudrait suivre les ordres a toujours servi d’argument à ceux qui voulaient entretenir leurs privilèges.

Les luttes pour les droits des femmes ou contre la colonisation et les mouvements ouvriers ont heureusement prouvé que la Nature ne prévoyait pas que les dominés demeurent soumis aux normes qu’on tentait de leur imposer.

Encourager les logiques répressives et carcérales Cette conception du monde encourage les logiques répressives et carcérales. Si certains individus sont intrinsèquement agressifs ou pédophiles, ils sont incurables. Plutôt que de changer les rapports sociaux, il ne reste qu’à les repérer, les enfermer ou les «neutraliser» socialement par la camisole physique ou chimique. Cela permet de remplacer les expériences éducatives par des prisons pour mineurs et les pions par des caméras de vidéo-surveillance, d’établir des quartiers entourés de barrières et de vigiles pour protéger les riches des pauvres aux gènes «mauvais».

La logique du déterminisme génétique poussée à son extrémité peut faire renaître des formes d’eugénisme. L’eugénisme, c’est définir ce que serait un «bon» être humain dans une société réservée aux «valides» et justifier d’éliminer avant la naissance ceux qui auraient des gènes comportementaux considérés comme «handicapés».

Encourager une société gérée par des machines La promotion du déterminisme génétique nous familiarise avec un certain discours, certains mots, une certaine vision des êtres humains. Dans une société automatisée et gérée par des machines, la génétique participe à légitimer un rapport mathématique et binaire au monde. Face à des machines, la complexité des relations sociales disparaît, il n’y a plus possibilité de dialoguer, de négocier, de s’adapter au contexte et aux situations, «d’empathir».

La promotion de la génétique comme une science exacte, rigoureuse, positive aide à faire accepter une société basée sur des outils de contrôle qui utilisent la génétique et plus généralement les outils qui caractérisent, sélectionnent, différencient les êtres humains en fonction des seules différences biologiques et corporelles.

C’est le cas du fichage ADN, de machines de reconnaissance biométrique qui se multiplient dans les lycées ou les lieux de travail, des nouveaux passeports, des projets de puces informatiques implantées sous la peau pour suivre nos déplacements... A l’inverse, l’énorme propagande faite autour des enquêtes de police à base d’ADN aide à faire admettre petit à petit la génétique comme une science sur laquelle se reposer.

Créer une grille de valeur réductrice des comportements Il y a plus de personnes qui volent pour survivre chez les pauvres, est-ce parce que ceux-ci ont des gènes différents ou parce que les situations désespérées, l’ennui, l’aliénation poussent à certaines formes de débrouille? Est-ce que les pauvres sont génétiquement plus violents ou est-ce que les médias stigmatisent plus volontiers leur violence? Pourquoi l’exploitation, l’accumulation de richesses, les magouilles financières et la cruauté punitive orchestrée quotidiennement par les classes dominantes n’apparaissent-elles jamais (ou presque) comme une violence, et surtout pas comme une tare génétique? Peut-on réellement réduire la violence tant qu’on ne change pas les inégalités, le racisme, le sexisme, la compétition économique sur laquelle se base notre société?

En fonction des contextes (sociaux, économiques, démographiques, et autres), certains comportements sont plus ou moins bien vus, plus ou moins utiles. On peut se poser la question de la valeur des comportements que l’on vise à attribuer aux gènes. L’agressivité, par exemple, est décriée chez les «jeunes des banlieues», et dans toute inscription dans un mouvement de contestation de l’ordre établi. Elle est par contre fortement valorisée par l’idéologie libérale en ce qui concerne les jeunes cadres blancs, poussés à se battre pour être les meilleurs sur le marché.

Les définitions de la déviance et de la violence englobent aujourd’hui quasiment toutes les réactions de refus vis-à-vis de l’ordre établi ou de survie face à la misère économique, affective et sociale. Dans le rapport sur la prévention de la délinquance de l’INSERM, «l’attrait pour la nouveauté», «une diminution du sentiment de peur» sont catalogués dans les facteurs de «Trouble Oppositionnel avec Provocation» poussant à la violence. On ne voit plus les «jeunes» qu’en terme de potentiel de nuisance, pour questionner s’ils sont délinquants ou non. On s’apprête à créer un «enfant bulle» que l’on rêve inoffensif ou enfermé et médicamenté à la Ritaline s’il est trop actif. Des facteurs équivalents jugés nuisibles ne peuvent-ils pas en fonction de l’environnement et de l’analyse politique de la situation être ce qu’il y a de plus créatif? La capacité de prendre des risques, l’attrait pour la nouveauté ne sont-elles pas cruciales dans le développement d’une personnalité, d’un rapport autonome au monde?

Qui la génétique intéresse-t-elle? La discrimination génétique présente par ailleurs un intérêt certain pour le système capitaliste. Pour une compagnie d’assurance ou une entreprise, sélectionner ses clients ou ses employés en fonction de leurs prédispositions génétiques représenterait un nouveau critère de rentabilité.

Dès aujourd’hui, des discriminations génétiques se profilent par le biais des compagnies d’assurances ou des entreprises. En effet si on découvre qu’une personne a «un terrain génétique favorable à la maladie B32I, avec le risque de mourir dans un temps réparti entre 1 ans et 20 ans» alors que feront les assureurs, les patrons? «Désolé, mais on ne peut pas prendre le risque de vous assurer, de vous employer, vous comprenez bien, 20 ans, si c’était sûr, se serait encore envisageable, mais un an, non on ne peut pas!».

Dans une société ou de plus en plus de gens sont fichés génétiquement, que se passera-t-il si ces fichiers sont utilisés par des employeurs, des compagnies d’assurances, des propriétaires...? Qui peut garantir que dans dix ans, le gouvernement ne leur en donnera pas l’accès?

Que faire face à l’idéologie génétique? Malgré la peur entretenue par les médias et politiciens, malgré l’envie de se soumettre pour l’illusion de plus de sécurité, il y a encore une résistance aux outils de surveillance et de contrôle, une méfiance vis-à-vis d’utilisations néfastes des sciences et nouvelles technologies, une volonté de protéger les libertés individuelles et publiques. Certains regroupements d’industriels le savent bien et n’hésitent pas à écrire dans leurs colloques privés qu’il va falloir proposer le plus possible d’applications récréatives ou orientées vers les enfants pour faire accepter ces outils à la population.

Le retour actuel de l’idéologie génétique, reflet d’une société pourrissante, devrait rappeler dans la mémoire collective certaines des heures les plus sombres du 20ème siècle: celles ou l’on a pu arrêter et déporter des millions d’êtres humains parce qu’ils étaient «fichés» comme n’ayant pas la bonne «race» ou les bons comportements, celles où des eugénistes décidaient de stériliser de force les personnes de couleur ou les pauvres. Divers résistant-e-s de la Seconde guerre mondiale rappellent d’ailleurs aujourd’hui qu’ils ont pu agir et désobéir à l’époque parce que tout le monde n’était pas encore fiché parce que l’on ne pouvait pas encore contrôler à tout moment les faits et gestes des gens par des images vidéos, traces ADN, puces, machines biométriques 1...

Il est aujourd’hui de notre devoir moral de désobéir aussi, pendant qu’il en est encore temps. Ne nous laissons pas avoir par la propagande génétique et refusons de collaborer aux outils de contrôle qu’elle génère. Il est possible de refuser de répondre aux enquêtes ou à la base-élève 2, de refuser catégoriquement de donner son ADN 3 ou celui de ses enfants à la police ou à des organismes d’études, de faire pression sur les commanditaires des enquêtes ou ceux qui les autorisent (les rectorats par exemple...), de refuser les lois et organismes qui voudront trier les enfants et leur affirmer qu’ils naissent bons ou mauvais, de développer des formes de solidarité et d’éducation qui vont à l’encontre des discriminations sociales... Parlons autour de nous, organisons-nous collectivement.

Collectif «La génétique est mythée»

genemythee(at)no-log.org

  1. Voir Archipel No 148 d’avril 2007, «Le devoir de désobéissance»

  2. Expérimenté depuis 2004 et généralisé d’ici quelques mois, le fichier «base-élève» recense les enfants scolarisés, leurs «origines» géographiques, la langue parlée au domicile, leur culture d’origine, leurs résultats et difficultés scolaires, l’absentéisme, l’éventuel suivi médical, psychologique ou psychiatrique, ou encore la situation de la famille. Dans le contexte sécuritaire évoqué plus haut, ce fichier risque d’aller dans le sens de la discrimination des populations dès le plus jeune âge, en partant de l’école.

  3. Pour faire pression sur la Justice française, le refus en masse est une possibilité. La saturation des tribunaux s’envisage, en effet, avec seulement 10% de refus. Plusieurs organisations soutiennent cette démarche: les Faucheurs volontaires, la Ligue des Droits de l’Homme, la Confédération Nationale du Travail (CNT), la CGT, les Verts et le Syndicat de la magistrature.

Quelques sites internet permettent de se tenir informé des lois, des initiatives privées ou publiques qui vont dans ce sens:

www.indymedia.org

www.pasde0deconduite.ras.eu.org

www.ldh-france.org/

L’INSERM, Les politiques de «prévention de la délinquance» et la génétique L’INSERM c’est l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, un organisme public à caractère scientifique et technologique, placé sous la double tutelle du ministère de la Santé et du ministère de la Recherche.

En novembre 2005, le «rapport Bénisti», remis par le député UMP du même nom à l’Assemblée nationale, abondait dans ce sens. Basé sur une étude de l’INSERM, il prédéfinissait notamment les stigmates de la «délinquance» en fonction du comportement des enfants, dès l’âge de trois ans. Les origines étrangères y étaient présentées comme des circonstances aggravantes. Ce rapport provoqua un certain tollé, notamment chez les médecins et travailleurs sociaux lors de sa publication, jusqu’à entraîner des excuses publiques de l’INSERM.

Pourtant, deux ans plus tard, la nouvelle loi sur la «prévention de la délinquance» concrétise l’essentiel de ce projet. Votée en mars 2007, cette loi multiplie les outils de fichage des comportements jugés «déviants». Les agents sociaux (assistantes sociales, éducateurs...) sont désormais incités à jouer le rôle d’informateurs auprès des forces de police. Des fichiers municipaux rassemblant les personnes présentant des «difficultés» sociales, éducatives, psychiatriques et financières sont créés, consultables par les autorités. Les établissements scolaires sont également mis à contribution.

L’INSERM a récidivé cette année dans les lycées de Champagne-Ardennes où il a mené une enquête chez 4000 élèves sur le lien entre les gènes et consommation de stupéfiants avec un prélèvement ADN à la clé.

La généralisation du fichage ADN «Les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance.» Christian Estrosi remplaçant N. Sarkozy à une réunion européenne des ministres de l’Intérieur en 2007.

Début mai 2007, deux enfants de 8 et 11 ans étaient convoqués pour relever leurs empreintes génétiques. Motif? Avoir volé deux «Tamagotchi» et deux balles rebondissantes dans un hypermarché du Nord de la France. Suite à la protestation des parents et quelques articles dans la presse nationale, le procureur a finalement fait marche arrière.

Depuis mars 2003, la police réalise un prélèvement ADN des personnes présumées ou jugées coupables de presque toute action illégale, sans limite d’âge. Tag sur un panneau publicitaire, vol à l’étalage, fauchage d’un plant de maïs OGM, collage d’affiche, outrage au drapeau français... Les seuls délits écartés du fichage ADN sont ceux des riches et puissants: la corruption, les abus de biens sociaux. Avec la loi Sarkozy, le fichage génétique s’est démultiplié jusqu’à atteindre 330.000 personnes en 2006...

Des laboratoires en biotechnologies tentent cependant d’aller encore plus loin dans l’utilisation des gènes à des fins policières. Leurs recherches visent à déduire, d’un simple prélèvement ADN, un maximum d’informations sur son propriétaire: portrait-robot, groupe ethnique, maladies congénitales, séro-positivité... C’est le cas de la firme états-unienne DNA Print Genomics, sollicitée par les polices du monde entier. Pour obtenir les échantillons d’ADN nécessaires à ses recherches, cette start-up effectue des campagnes de prélèvement génétique sur toute la planète. Elle sollicite notamment les clubs de généalogie, promettant à leurs membres de leur révéler leurs origines lointaines, en échange de leur ADN.

L’Express, 28/03/2007